Michèle Delaunay, ministre déléguée aux personnes âgées et de l'autonomie, est la nouvelle interlocutrice des professionnels de la gérontologie. Si sa feuille de route reste à définir, les intentions sont bien là. Forte de son expérience en Aquitaine, la ministre prône l'anticipation et l'imagination. Deux qualités indispensables dans un contexte budgétaire délicat.
" Mon ministère doit être celui de l'imagination "
Les sujets Personnes âgées, handicap... font souvent l'objet d'un secrétariat d'État. Ici elles bénéficient d'un ministère. Les professionnels doivent-ils y voir un signe de la détermination du gouvernement sur le sujet ?
En dédiant un ministère délégué à la politique de l'âge, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a voulu signifier aux Français qu'il prenait toute la mesure de l'importance des questions liées à l'allongement de la vie, qui a été le plus grand progrès du XXe siècle et qui est aujourd'hui le plus grand défi du XXIe. De mon côté, j'ai obtenu que ce ministère soit celui de " l'autonomie " et non de la " dépendance ". Car je n'ai d'autre ambition que de combattre la dépendance, et de retarder le plus possible la perte d'autonomie. Et puis, imagine-t-on un ministère de la maladie ? Nous devons avoir une vision positive de cette chance incroyable qui nous est donnée de vivre longtemps, et longtemps en bonne santé.
Comment voyez-vous votre mission ?
Ma priorité est que les âgés soient considérés comme des adultes à part entière, comme tous les autres. Dans leurs droits : je pense notamment à la liberté d'aller et venir dans les maisons de retraite. Mais en actes, aussi : nous devons anticiper l'avancée en âge, la prévenir, l'accompagner, aider à l'autonomie, promouvoir une culture de bientraitance et de sollicitude, renforcer le lien intergénérationnel, et permettre aux âgés d'être pleinement acteurs de la société.
Vous êtes présidente de la commission Politique de l'Âge du Conseil Général de la Gironde. Quelles ont été vos réalisations en faveur des personnes âgées, à ce poste et dans vos différents mandats en général ?
En Gironde, nous avons initié un programme départemental innovant. J'ai introduit une action " lien intergénérationnel et TIC (technologies de l'information et de la communication) ", qui a permis de proposer aux résidents de certains EHPAD l'utilisation d'ordinateurs ou de la Wii. La dimension " nouvelles technologies " doit être une ambition forte de ce quinquennat et je crois qu'internet constituera l'apport de ma génération à l'avancée en âge. Un âgé qui tweete est un âgé qui ne vieillit pas ! Les TIC apportent une stimulation cognitive et font de l'aîné un être actif qui échange, participe, et reste en lien avec l'évolution de la langue, avec la politique, avec les jeunes. Il faut promouvoir ce lien.
Notre Commission " politique de l'âge " a aussi impulsé le projet " Bien vieillir au Grand Parc ", un quartier urbain d'habitat social dont je suis l'élue. Ce quartier abrite beaucoup d'âgés, dans des tours de 10 à 20 étages. En mettant en réseau tous les acteurs concernés, nous avons voulu leur permettre de rester dans les meilleures conditions possibles dans leurs logements, où ils sont venus s'installer jeunes et où ils ont construit leurs vies. Des logements ont été adaptés, des gardiens d'immeubles formés pour être " référents ", les commerces de proximité ont été maintenus, et le réseau médical et d'aide à domicile y a été soutenu.
Ces projets menés à l'échelle de la Gironde sont, à mon sens, deux bons exemples de la politique que j'entends mener à la tête de ce ministère. Mais il faut aller plus loin encore. Mon ministère doit être celui de l'imagination.
Les discussions sur le PLFSS 2013 vont démarrer sous peu et les attentes du secteur sont fortes. Comment résoudre l'équation rigueur budgétaire/besoins du secteur ?
Les attentes sont nombreuses, c'est vrai, et le plus souvent légitimes. Mais ni le Président de la République ni les candidats aux élections législatives n'ont caché que la période était difficile et qu'elle réclamerait des efforts qui doivent être justement partagés. Cela ne veut pas dire que l'on ne va pas mener une politique différente, innovante et active pour améliorer la situation de ceux qui en ont le plus besoin.
Le fait que les budgets soient gérés par le ministère de tutelle ne va-t-il pas pénaliser la marge de manoeuvre du ministère délégué aux personnes âgées et à l'autonomie ?
La ministre, ses ministres déléguées et leurs équipes vont travailler main dans la main. Les professionnels du secteur n'ont pas d'inquiétude à avoir.
Alors que le travail préalable a été fait avec le débat national sur la réforme de la dépendance, à quel terme peut-on envisager la grande réforme de la dépendance ?
Le candidat François Hollande a annoncé une réforme de la prise en charge de la perte d'autonomie. Le président de la République l'a confirmé tout récemment devant le Conseil Économique, Social et Environnemental. Cette réforme sera réalisée, parce que c'est une nécessité pour notre société. Et je suis là pour cela. Toutefois, elle ne figurera pas à l'agenda de la première année du changement, cela a déjà été annoncé.
Quels seraient les axes essentiels à développer pour préserver l'autonomie des personnes vieillissantes ?
Notre premier axe de travail est d'adapter la ville et les logements au vieillissement. Nous avons ainsi l'ambition de rendre accessibles aux plus âgés 80 000 logements par an. Nous mettrons aussi en oeuvre un plan ambitieux de prévention de la perte d'autonomie. Trop souvent, les personnes en situation de fragilité basculent lors d'une hospitalisation évitable ou prolongée. Il nous faut donc améliorer les parcours de soins des âgés. Notre objectif est de reculer le plus possible l'âge d'une éventuelle perte d'autonomie.
La convergence entre le handicap et le grand âge est une revendication des professionnels du grand âge. Pensez-vous leur donner satisfaction ?
Je connais cette revendication, et elle est parfaitement légitime. Avec Marie-Arlette Carlotti, ma collègue ministre déléguée en charge du handicap, nous allons travailler ensemble pour faire des avancées concrètes. Il nous faut apporter des solutions convergentes, communes, partagées. C'est une nécessité absolue.
Les Français ont selon les sondages une très mauvaise image des maisons de retraite, alors même que les professionnels font bien leur travail. Comment expliquer ce décalage ?
Cette mauvaise image des maisons de retraite est bien souvent injuste. Elle s'explique surtout pour deux raisons. La vieillesse et plus encore la fin de vie restent un tabou dans nos sociétés et tout est fait pour que nous en soyons tenus écartés. Ensuite, il est vrai que les familles rencontrent souvent beaucoup de difficultés pour trouver une place en maison de retraite. Il nous faut donc rendre ce secteur lisible et accessible, valoriser les projets ouverts sur la cité, sur la vie, développer les accueils de jour et les solutions d'hébergement temporaire, et soutenir les démarches de professionnalisation du personnel.
Les aidants naturels sont un élément-clé pour que les personnes en perte d'autonomie puissent rester à domicile. Comment les aider ?
Le rôle des aidants est essentiel, mais il est hélas trop peu reconnu. 8,3 millions de personnes, en grande majorité des femmes, aident de façon régulière un ou plusieurs proches, menant souvent une vie épuisante. Les plateformes de répit leur permettent de prendre du repos. Mais il faut aller au-delà : mieux organiser l'offre au domicile, mieux informer, réfléchir à des aménagements dans l'organisation du travail, pour mieux concilier vie professionnelle, épanouissement personnel et obligations familiales.
Alors que la France compte 2,9 millions de demandeurs d'emploi, peu de personnes rejoignent le secteur du grand âge. Comment donner à ce secteur l'attractivité qu'il mérite ?
La gérontologie et la gériatrie, le soin des âgés, continuent hélas de connaître un déficit d'image, de ressources et de compétences. Un de mes objectifs est de mettre en valeur ces métiers, qui sont au coeur de la recherche scientifique et détiennent une des clefs de notre destin : la meilleure connaissance des processus de vieillissement et des causes de la mort cellulaire.
Plus globalement, des expérimentations ont été lancées ces dernières années pour rendre plus attractif le secteur. Mais cela reste insuffisant. Les conditions de travail et perspectives de carrières doivent être améliorées pour les professionnels du domicile. C'est un chantier extrêmement stimulant, pour lequel nous devrons innover. Et si le ministère de l'âge était aussi celui de l'innovation, de la recherche et qu'il détenait une des clefs du XXIe siècle ?