L'épidémie de Covid-19 a bouleversé l'accompagnement de fin de vie, les pratiques des soignants, les relations avec les familles. Comment accompagner les plus fragiles dans la mort, et maintenir notre humanité dans un contexte sécuritaire ?
Mourir à l'heure de la Covid
Sommes-nous un corps ou avons-nous un corps ? interrogeait le Pr Roger Gil, directeur de l'espace de réflexion éthique Poitou-Charentes en introduction d'une journée éthique sur le thème « Corps, chair et relation de soin » le mardi 29 septembre à Poitiers.
Si le corps est un médiateur entre l'intériorité et l'extériorité, que devient-il après le décès ? Comment lui conserver toute sa dignité, alors qu'il a pu être abîmé, maltraité par le vieillissement ou la maladie ? Si ces questions sont déjà délicates en temps ordinaire, qu'en est-il à l'heure de la Covid, quand les soins mortuaires sont parfois inexistants... que les familles n'ont pu se recueillir auprès de leur proche... ou que les avis du législateur ont laissé place à des interprétations individuelles...
Comprendre le chemin parcouru
Le confinement des Ehpad a démarré une semaine plus tôt que celui de la population. Certains directeurs se sont trouvés enfermés dans le piège sécuritaire, appliquant les règles à la lettre, ce qui a parfois entraîné un isolement en chambre de tous les résidents, y compris des Covid -. Devant cette situation inédite, certains ont pu confondre les incitations d'Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la santé, à ''aller vers'' l'application de telle ou telle mesure, avec des recommandations officielles. « Cela a généré beaucoup de souffrance et des syndromes de glissement », confirme le Pr Gil. « On nous a alertés sur des situations de fin de vie difficiles, dans une solitude totale. Dès le mois de mars, avec l'accord de l'ARS, nous avons écrit à tous les directeurs d'Ehpad de Nouvelle-Aquitaine pour leur demander de veiller à ne pas écarter les proches dans l'accompagnement de fin de vie. C'est précisément parce qu'une règle est importante qu'éthiquement il est possible d'en faire exception. Une règle édictée par la République ne peut pas être responsable du malheur des gens. C'est bien l'articulation et la négociation entre justice et équité qui prévaut ici. Un accompagnement furtif vaut mieux que l'absence d'accompagnement. C'est la première étape du deuil. »
Faire évoluer les règles
Pour réduire les risques de transmission du virus, le Premier ministre a durant cette période signé un décret promulguant la mise en bière immédiate après le décès, contre l'avis du Haut Conseil de santé publique. « Certains ont compris qu'il n'y avait pas une minute à perdre et qu'il ne fallait pas réaliser de toilette mortuaire. C'était d'une grande violence pour les soignants », ajoute le Pr Gil. « Les espaces éthiques ont fait remonter leurs inquiétudes auprès du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dont l'avis a permis d'alerter sur le fait qu'on ne pouvait pas, d'un point de vue psychologique comme anthropologique, priver les proches d'un dernier aperçu du visage du défunt. C'est en effet notre manière d'être humain en société depuis la nuit des temps. » Mais l'intéressant est que cet avis du CCNE a permis de modifier le décret, démontrant l'existence de l'action sur un plan éthique.
Les obsèques, le dernier volet de l'épreuve
Même si la présence physique y était limitée, les obsèques ont pu être partagées grâce aux dispositifs vidéos mis en place, favorisant une unité. « On a vu d'ailleurs un certain nombre de familles réorganiser des réunions à la sortie du confinement », ajoute le Pr Gil. « La Covid-19 a mis à nue la finitude de l'humanité, et les rites qui tentent de rendre moins souffrante la fin de vie. Cette ritualité de la mort appartient anthropologiquement à l'espèce humaine. La mettre à mal génère de la culpabilité, le sentiment d'avoir abandonné ses proches, le manque de courage, une épreuve perçue comme démesurée pour tous ».
Et maintenant ?
« Nous assistons à une accumulation de souffrances successives, un épuisement des professionnels, des postes vacants non pourvus... L'inquiétude concerne aujourd'hui surtout l'état des soignants. » Pour tenter d'y remédier, l'ARS a installé des réunions de dialogue pour les établissements médico-sociaux réunissant l'ARS, dans ses composantes régionales et départementales, l'association France Alzheimer, le monde des usagers, l'espace régionale d'éthique, des directeurs d'Ehpad et leurs équipes. « Dans ce dialogue, on peut tenter de trouver des compromis. On observe un besoin du personnel soignant d'être accompagné, notamment par l'HAD, les équipes mobiles de soins palliatifs. Mais il faut aussi les former. » L'accompagnement de fin de vie est souvent abordé sous l'angle du droit. « Or c'est l'aspect humain qui est essentiel. Il faut enseigner l'écoute, apprendre à détecter les besoins et considérer cet accompagnement comme une pièce essentielle du soin ».
« L'éthique permet de toujours cheminer vers des compromis, vers des attitudes médianes qui tiennent compte de la sécurité sanitaire et de l'humanité. Le grand enjeu éthique est donc là. Il réclame une aptitude au questionnement qui va au-delà des prises en charge psychologiques, aussi importantes soient-elles. Mais on observe chez beaucoup de personnels soignants une forme de culpabilité sur ce qu'ils ont fait ou pas. Ils ont besoin d'aide pour relire les événements, lutter contre cette angoisse éthique, trouver des clés d'interprétation et répondre à la question essentielle "Comment faire pour bien faire ?" »