Etre vieux, qu'est-ce que c'est ? Geneviève Laroque, présidente de la Fondation Nationale de Gérontologie, tente de répondre à la question. Avec le franc-parler qu'on lui connaît...
" Ne nous faisons pas dévorer par cette vieillesse fragilisée ! "
Quel regard portez-vous sur la gérontologie ?
D'abord, de quoi parle-t-on ? J'ai appris que la gérontologie était une science qui traitait du vieillissement et des phénomènes liés à la vieillesse, dont la santé. Or aujourd'hui, on ne s'intéresse qu'aux malades très âgés et très dépendants, c'est très réducteur. Seul le quart des personnes de 85 ans et plus ont besoin d'une aide importante au quotidien Il ya quelques semaines, il m'est arrivé une aventure édifiante. J'étais allée à Paris en voiture. Je me gare puis j'entre dans une petite boutique pour acheter des bols. Lorsque le vendeur commence à emballer les bols, il me demande si je vais loin. Je lui explique que je suis garée tout près. Le vendeur me regarde alors d'un air ébahi et me demande où j'habite. Je lui réponds et il me dit : " Vous n'avez pas d'ennuis avec les gendarmes ? " Et bien non, je n'ai pas plus d'ennuis avec les gendarmes en conduisant à 80 ans que n'importe qui ! Après bavardage et explications, le vendeur m'a dit " Merci ! Grâce à vous, j'aurai moins peur de vieillir. " Cette anecdote est représentative de la double phobie qu'inspirent les vieux. D'un côté, on a peur de sa propre vieillesse, de l'autre on a peur des vieux. Quand on écoute le discours permanent autour de la dépendance, d'Alzheimer, les montants annoncés, on ne peut plus imaginer la vieillesse autrement que déficitaire. De plus, les vieux symbolisent la mort car dans notre société seulement 7% des gens meurent avant 45 ans. Autrefois, maladies et infections diverses tuaient à tout âge et notamment les petits enfants. Il y a deux mots qui polluent les discours et pèsent lourd dans les représentations. Le premier est " Alzheimer ". Certes il ne faut pas nier la maladie : elle existe, elle est terrible pour le malade et son entourage mais elle ne frappe heureusement qu'une minorité de personnes. Le mot " aidant " me fait aussi réagir. Bien sûr, le rôle des proches aidants est essentiel et souvent très lourd à assumer. Mais les relations affectives et sociales des vieux ne sont pas limitées aux relations d'aide ! A partir de quel âge une personne n'a plus de famille, plus d'amis, plus de commerçants mais uniquement des aidants ? Si j'ai 40 ans, je reçois une amie, nous bavardons autour d'un verre. Si j'en ai 80, la même visite devient une intervention d' " aidant ". C'est aberrant ! Ce peut être à ce point exaspérant et humiliant (à tort peut être) qu'on en arrive à refuser des aides justifiées : combien de vieilles personnes refusent-elles un soutien pour gravir les marches d'accès au bâtiment de consultation gériatrique (!) de la FNG ?
Notre société n'aime pas ses vieux...
Attention, les vieux ne sont pas une peuplade exotique ! Quand on parle des enfants, on ne les résume pas aux enfants handicapés, quand on parle des femmes, on ne parle pas que des femmes battues... Ne nous faisons pas dévorer par cette vieillesse fragilisée ! Je le dis à tous et spécialement à ceux dont le métier est de s'occuper des vieux fragilisés. Il faut regarder au-dessus, resituer les personnes fragilisées dans un ensemble. Si les vieux sont tous catastrophiques, c'est désespérant. J'ai beaucoup travaillé avec l'enfance handicapée. Pour donner du plaisir à un enfant handicapé, il faut regarder les autres enfants - qui constituent la majorité ! _ et s'inspirer de leur plaisir. Avec les les personnes désorientées aussi, il faut avoir un regard " constructeur " et se rappeler que la majorité n'est pas comme cela. A la FNG, nous jouons sur les deux volets social et sociétal. D'un côté nous travaillons sur la maladie d'Alzheimer, avec notamment notre Directrice, le Professeur Françoise Forette, de l'autre, nous travaillons sur les vieillesses ordinaires, sur ces personnes qui doivent trouver leur place dans la société avec le programme " grandir-vieillir ". Notre revue " Gérontologie et Société " va publier bientôt un numéro sur les " vieillesses ordinaires ". Les professionnels doivent voir le monde comme cela aussi.
Comment caractériser un vieux ?
Il y a 30 ans, la sociologue Maximilienne Levet-Gautrat avait défini les quatre " valeurs tierces " de la vieillesse : la lenteur, la frugalité, la fragilité, la disponibilité. J'ai commencé par les démonter : on est forcément lent, puisqu'on ne peut pas faire autrement, forcément frugal si on a peu d'appétit, forcément fragile puisque le corps a vécu, et forcément disponible puisqu'on n'a rien à faire ! Et puis je me suis rendu compte que ces valeurs étaient très profondes et qu'elles faisaient de plus en plus écho aux attentes de la société. Aujourd'hui, la valeur lenteur revient, on parle de slow-food, le yoga fait école, etc. La frugalité s'entend dans les discours autour du développement durable. La fragilité incite au respect, qu'il s'agisse d'une tradition, d'un objet ou d'une personne. Enfin la disponibilité, c'est l'ouverture aux autres et le contraire de l'égocentrisme.
Les vieux sont-ils forcément dépendants ?
Nous sommes tous dépendants les uns des autres car nous sommes des animaux sociaux. Dans son roman " Face aux feux du soleil ", l'écrivain Azimov, décrit un monde où chaque habitant vit seul sur sa propre planète, sans contact avec les autres. Dans un autre roman, il donne à voir un monde surpeuplé et marqué par la promiscuité. Ce que nous avons à développer aujourd'hui, c'est la combinaison entre un mode où l'on vit seul et autonome et un mode solidaire, où chacun donne et reçoit. Certes en avançant en âge, on reçoit plus et le système de relations évolue : il rajeunit et les contemporains disparaissent. La personne se trouve confrontée à d'autres systèmes de références. Mais attention, on vit dans le même temps ! Je peste contre l'expression " de mon temps ". Cela veut dire quoi ? De quel temps parle-t-on ? Sortirait-on du temps en vieillissant ?
La société pense que les vieux n'apportent plus rien...
Le vieux a accumulé des âges, des années. Si les professionnels ont cette vision, la personne âgée reprend une valeur intrinsèque. Son apport à la société est immatériel. La personne âgée ne sait pas toujours qu'elle donne. Cela tient par un rayon de lune, comme il est dit dans ce conte d'un auteur inconnu. C'est fragile et peut être cassé par une aile de papillon... Un étudiant, Frédéric Ballard, a fait une thèse d'ethnologie sur " Les plus âgés des âgés "(1). Une étude sur les vrais vieux, pas les vieux malades. A lire absolument ! Qu'est-ce qui caractérise un vieux ? Pas facile. On est resté à 60 ans, l'âge de la retraite. L'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) aussi est restée à l'âge de 60 ans car elle prend en compte la population mondiale. Enfants, adultes, vieux, on manque de termes sans doute... On parle maintenant des seniors, soit les personnes de 55 à 75 ans. Maryvonne Gognalons-Nicolet proposait le mot de " maturescence "(2) pour la période située entre 45 et 65 ans. Après la maturité, avant la grande vieillesse. Le terme est joli, il fait écho à adolescence. Les personnes âgées seraient celles de plus de 75 ans (dans les années 1980, ce terme d'appliquait aux personnes de plus de 60 ans...) et celles qui dépassent 85 ans seraient les " grands Aînés " en risque -mais seulement en risque-, de perte d'autonomie. Etre vieux ou pas, c'est aussi une question de catégorie sociale. L'espérance de vie moyenne d'un manoeuvre est inférieure de sept ans à celle d'un cadre...
Le mot de la fin ?
Retenir que les vieux ne sont pas une peuplade exotique. Etant dans la société ils en ont souvent les mêmes préjugés ! Et ces quatre valeurs tierces, pourquoi pas ?
Propos recueillis par Marie-Suzel Inzé
Bio-express
Geneviève Laroque, mère de trois enfants, grand-mère de trois petits-enfants et arrière-grand-mère de trois arrière-petits-enfants, inspectrice générale des Affaires sociales honoraire.
Diplômée de l'ENA en 1965, elle sert dans plusieurs ministères. Elle évolue ensuite une dizaine d'années à l'Assistance-Publique-Hôpitaux de Paris, dans des hôpitaux dits de " moyens et longs séjours ". Adjointe au directeur général de la Santé (ministère chargé de la Santé), elle participe à la reconnaissance des soins palliatifs. Elle sera ensuite directrice de cabinet du secrétaire d'État chargé des Accidentés de la vie, puis du ministre des Personnes âgées.
Elle est présidente de la Fondation Nationale de Gérontologie (FNG) depuis 20 ans.
Elle a écrit de nombreux articles et signe les éditoriaux de la revue de la FNG, Gérontologie et Société.