Récemment élu à la présidence de la CNDEPAH, Emmanuel Sys entend redonner légitimité et place à cette institution, pour répondre aux attentes d'un secteur qu'il reconnaît en crise mais porteur de savoirs multiples, savoir être et savoir faire. Entretien.
"Notre représentation plurielle constitue une ressource de compétences et d'expertise majeure que j'entends mobiliser"
Quels sont les missions et objectifs de la CNDEPAH ? Combien avez-vous d'adhérents ?
La Cndepah compte 100 membres titulaires ou suppléants, désignés par les organisations syndicales. 44 représentent le champ des Ehpad, 6 celui du handicap. Sa légitimité provient de sa représentation nationale et de ses diversités territoriales, mais aussi des diversités d'établissements. Nous nous sommes donné plusieurs objectifs : peser dans les débats nationaux, influer sur les arbitrages de l'État et des collectivités territoriales, être force de proposition au service de nos établissements, de leur personnel mais surtout de leurs populations accueillies. Je pense que nous avons aussi un rôle de pédagogie : faire mieux entendre et comprendre les problématiques des établissements pour personnes âgées et handicapées, alors même que les réformes qui les traversent sont éminemment complexes pour ne pas dire technocratiques. Nous devons ainsi concourir à améliorer l'attractivité et le regard porté sur nos établissements.
Comment expliquer vous le manque de visibilité de la Cndepah ?
Nous disposons d'un siège au conseil d'administration de la FHF ainsi qu'à celui du CNG. Nous étions aussi présents lors des réunions du comité de suivi de la réforme de la tarification. Pour autant, il faut bien reconnaître que la CNDEPAH n'a sans doute ni la visibilité ni toute la légitimité de sa consoeur la Cndch (conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers). Le secteur PA/PH fait l'objet de représentations déjà denses, les moyens de la Cndepah sont limités et reposent surtout sur un militantisme qui tend à se raréfier. Il m'appartient, avec l'ensemble des équipes, de relever ce défi passionnant. Mais la visibilité doit surtout servir l'objectif que nous nous donnons : porter la voix et les attentes d'un secteur à la fois en crise et à la croisée des chemins.
Comment entendez-vous vous imposer dans le paysage médico-social ?
S'imposer n'est pas une fin en soi. Nous pouvons concourir, comme d'autres (la FHF, l'AD-PA et les organisations syndicales), à nourrir et faire progresser nos deux secteurs PA/PH : les enjeux sont tels, et les attentes de nos collègues, du personnel et bien sûr des usagers sont à un niveau sûrement mésestimés par les pouvoirs prennent la mesure. Notre représentation plurielle constitue une ressource de compétences et d'expertise majeure que j'entends mobiliser : je viens de créer un groupe de travail au sein de la Cndepah sur le modèle de l'établissement de demain. Nous allons également réfléchir sur la psychogériatrie et l'accueil des personnes handicapées vieillissantes. Régulièrement, nous produirons des analyses de fond, ou réagirons à l'actualité. Je crois enfin à notre mission d'aide aux collègues, en matière de formation ou de création d'outils pédagogiques, tels que des fiches techniques. Il me faut aussi garantir que nos interlocuteurs majeurs, que sont les cabinets ministériels, la DGCS, la DGOS notamment, nous associent systématiquement aux travaux à venir. C'est un travail de pédagogie et de lobbying auquel je suis évidemment appelé.
Avez-vous été entendu dans le cadre du rapport Libault, ou pour préparer la future loi ?
Emmanuelle Gard, directrice de la Fondation Aulagnier à Asnières et de l'Ehpad de Levallois-Perret, nous a représentés au sein de l'atelier 8 « l'Offre de demain pour les personnes âgées en perte d'autonomie » , nous permettant de participer au débat. Ce rapport brosse de manière très claire et organisée l'ensemble des problématiques de notre secteur, en mettant en lumière les questions majeures. Sans tomber dans la facilité ni la langue de bois. Qu'il s'agisse des effectifs en Ehpad ou de la nécessaire rénovation du parc public, Dominique Libault n'a pas cherché à cacher la dure réalité. C'est sans doute le premier rapport à être aussi simplement exhaustif, à mettre en perspective les problèmes, les propositions ET les financements envisageables. C'est pour cette raison notamment qu'il a reçu un accueil très favorable des représentants du secteur. La Cndepah ambitionne désormais que ce rapport puisse trouver une réelle traduction à la hauteur des attentes. Les 1ères annonces du premier ministre nous inquiètent. J'espère que le rendez-vous historique ne soit pas gâché, pour accoucher d'une énième réforme de saupoudrage.
Le secteur public représente 50% des places d'Ehpad. Il doit être rénové (ce que prône le rapport Libault), réorganisé aussi... Quels sont les chantiers et les financements à engager ?
Notre parc, bien qu'hétérogène, est globalement plus vétuste que celui des autres secteurs. En 2015, selon la Drees, 11% des places en Ehpad publics sont en chambre double, ce qui est très supérieur au secteur privé lucratif. La tendance est assez proche concernant la présence de douche dans les chambres. Enfin, 23% des Ehpad n'ont pas été vraiment rénovés depuis 25 ans, le secteur public y étant plus représenté. A l'heure où les attentes des usagers et de leurs familles augmentent, il n'est pas possible de laisser le parc immobilier public se détériorer. C'est un choix politique majeur. L'effort budgétaire doit être à la hauteur des enjeux, sous peine de voir nos établissements dépérir. La proposition du rapport Libault de 300 millions d'euros par an est un minimum. Nos projets de reconstruction doivent s'inscrire dans une vision d'ouverture sur l'extérieur, de poursuite du mouvement de l'innovation. Dans une certaine limite, nos établissements doivent trouver des configurations plus regroupés, ou plus mutualisées.
Dans votre profession de foi, vous indiquez vouloir "Concourir à l'amélioration du regard porté sur nos établissements et à leur attractivité". Quelles sont les actions prioritaires à mener ?
La crise des Ehpad en 2018 a eu ce mérite de mettre en lumière les problèmes les plus criants. Elle a permis de faire émerger dans l'agenda gouvernemental la question du grand-âge. Pour autant, elle a aussi endommagé l'image de nos établissements, phénomène accentué par des pratiques médiatiques peu bienveillantes. C'est aujourd'hui un regard global qu'il nous faut avoir : les écoles d'aides-soignants et infirmiers peinent à recruter, comme par voie de conséquence, les établissements. Les conditions salariales et les conditions de travail concourent à cette perte d'attractivité. C'est le modèle qu'il nous faut revoir pour permettre de renforcer l'attractivité : il faut atténuer ce sentiment permanent de frustration des soignants. Cela passe par l'augmentation des ratios en personnel. Oui à la QVT, mais qu'elle ne nous fasse pas oublier le temps quotidien que nous pouvons passer auprès des résidents. Et il faut enfin reconnaitre, en termes de rémunérations, la filière soignante. La Cndepah va réaliser une fiche sur les effectifs en Ehpad : il s'agira de rendre compréhensible et palpable cette question majeure, pour contribuer à la prise de conscience et peser dans le débat.