Dans le n° 165-décembre 2024  - Paul Christophe, ministre des Solidarités, de l'Autonomie et de l'Égalité entre les femmes et les hommes  17330

« Nous avons besoin de nos 7 500 Ehpad »

Nommé ministre des Solidarités, de l'Autonomie et de l'Égalité entre les femmes et les hommes le 21 septembre dernier, Paul Christophe répond aux questions de Géroscopie. Interview.

Michel Barnier n'a pas dit un mot du Grand âge dans son discours de politique générale. Quelle est votre feuille de route ?

Permettez-moi de vous corriger : le Premier ministre a mis au coeur de son discours la fraternité et l'intergénérationnel. Faire vivre la fraternité par l'attention à toutes les vulnérabilités, dont celles liées à l'avancée en âge, soutenir la cohésion de notre société par celle entre tous les âges, voilà ma feuille de route.

Nous devons continuer à nous préparer dès maintenant au défi de la prise en charge d'un nombre croissant de personnes de plus de 85 ans susceptibles d'avoir besoin d'un soutien à leur autonomie. Et ce sera davantage le cas à partir de 2030.

Mon objectif est de permettre à chacun de nos concitoyens âgés de continuer à vivre bien, conformément à leurs besoins et à leurs envies. À cette fin, Je souhaite agir selon deux temporalités :

D'abord, parce que c'est l'urgence, répondre aux difficultés financières des Ehpad, qui sont pour moi une préoccupation majeure, tout en tenant compte de l'impératif de retour progressif à l'équilibre de nos comptes sociaux et d'efficience de nos moyens publics. Je viens ainsi d'autoriser la réorientation d'une enveloppe de fin de gestion de la branche Autonomie de 100 millions d'euros vers les Ehpad en difficulté, en plus des crédits déjà alloués. Cette enveloppe n'est pas un énième fonds d'urgence. Son emploi sera strictement conditionné à des engagements de retour à l'équilibre et de transformation que je souhaite appuyer par la mobilisation de l'ensemble des leviers désormais disponibles pour renforcer l'efficience : rechercher des mutualisations entre établissements, oeuvrer à l'amélioration de la qualité de vie au travail des personnels, mettre en place les tarifs différenciés...

Ensuite, nous allons consolider une offre diversifiée, ouverte sur la cité et adaptée aux besoins de nos aînés, en fonction de leurs évolutions et de leur choix : des Ehpad, bien sûr, qui restent nécessaires dès lors qu'ils proposent un accompagnement et des soins adaptés aux besoins des personnes présentant par exemple plusieurs pathologies ou des troubles neuro-cognitifs, mais aussi des services à domicile ainsi que toute une gamme de solutions intermédiaires innovantes comme les accueils de jour, les collocations intergénérationnelles ou encore les résidences autonomie.

Comment se traduit-elle concrètement ?

Cette consolidation trouve déjà une traduction dans le cadre du PLFSS qui prévoit une hausse du financement de la branche autonomie dédié aux personnes âgées d'environ 6 % en 2025, et donc supérieur à celle de l'année dernière. Ces financements vont permettre le recrutement d'environ 6 500 professionnels supplémentaires aux côtés des résidents en Ehpad, mais aussi la poursuite du développement des SSIAD et la consolidation de l'aide à domicile avec la mise en place du fonds d'aide à la mobilité prévu par la loi bien vieillir. C'est le volet « diversification ». Nous allons aussi pouvoir engager une réforme structurelle de la tarification des Ehpad autour du financement de l'entretien de l'autonomie qui va être pris en charge par les ARS et harmonisé à la hausse. L'objectif est de renforcer l'équité entre les structures et de simplifier le travail des gestionnaires, avec un seul budget « soin et autonomie » afin de privilégier le temps passé auprès des résidents. Des investissements immobiliers sont également prévus pour soutenir non seulement la qualité de vie des personnes âgées mais aussi la qualité de travail des professionnels. L'idée est de soutenir la transformation des Ehpad et accélérer le développement et la réhabilitation de l'habitat intermédiaire, pour continuer à diversifier les choix d'habitation des personnes âgées.

Au-delà de tout le soutien que la solidarité apporte à nos aînés, je suis conscient que leur « bien vivre » repose sur leurs aidants. Je vous confirme que le PLFSS prévoit une augmentation des moyens pour le déploiement de nouvelles places de répit et je souhaite par ailleurs donner un nouveau souffle à la stratégie aidant. Un comité de suivi aura bientôt lieu.

Je souhaite insister sur un point : nous avons besoin de nos 7 500 Ehpad. La diversité des attentes et des besoins des personnes âgées et de leurs familles suppose de mettre en place un panel de solutions au sein duquel les Ehpad ont pleinement leur place. L'Ehpad n'est pas une offre par défaut, une structure dans laquelle on s'oriente quand les autres structures se sont plus adaptées ou quand le maintien au domicile n'est plus possible. C'est un lieu dans lequel on continue à vivre et qui répond à des besoins spécifiques. D'abord, l'Ehpad évite l'isolement, la rupture des liens sociaux, d'autant plus qu'il s'ouvre sur la cité. Les activités et le soutien proposés favorisent ensuite le maintien des capacités fonctionnelles et cognitives, et une prise en charge globale ; en particulier pour des personnes qui ne sont plus en mesure de s'alimenter ou de se déplacer seules. Les Ehpad sont et doivent encore plus devenir une ressource pour le territoire, qui offre des interventions spécialisées pour les personnes âgées dépendantes et leurs aidants : accueil de jour, solutions de répit ou de transition.

L'article 10 de la loi Bien Vieillir prévoit avant le 31 décembre 2024 une loi de programmation pluriannuelle pour le Grand âge. Est-elle reportée ? Enterrée ? Quel message envoie-t-on aux citoyens à travers une loi votée qui serait inappliquée ?

Vous reconnaîtrez comme moi qu'il n'est pas possible que le Parlement adopte une loi de programmation pluriannuelle pour le Grand âge d'ici le 31 décembre prochain. La loi « Bien Vieillir » entrée en vigueur tout récemment, le 8 avril 2024, prévoit un ensemble de mesures à la fois structurelles et opérationnelles en matière de prévention de la perte d'autonomie, de maltraitance et de droits des personnes, dans le champ des aides à domicile et des Ehpad. Je pense en particulier à la conférence nationale de l'autonomie, aux droits aux visites pour les résidents en Ehpad et à l'accueil de leur animal de compagnie, au soutien financier par la CNSA des aides à domicile pour leurs déplacements, mais aussi à l'accueil de nuit expérimental en Ehpad et résidences autonomie et à la suppression de l'obligation alimentaire pour les petits-enfants (et leurs descendants) des résidents bénéficiant de l'aide sociale à l'hébergement. Je vais m'attacher à faire vivre l'ensemble de ces mesures et vous le dis avec toute la conviction du député que j'étais il y a encore très peu de temps : la loi votée sera appliquée.

L'activité réglementaire mise sur pause à la dissolution ne donne pas vraiment de signes de reprise. De nombreux décrets et arrêtés sont attendus par le secteur, certains depuis longtemps. Une parution rapide est-elle à espérer ?

La loi nécessite l'entrée en vigueur de 34 décrets d'application et de 6 arrêtés. L'essentiel est effectivement encore à paraître. Leur publication sera une de mes priorités en 2025.

Vous êtes un expert du terrain (et très bien entouré avec Virginie Magnant notamment). Quelle place souhaitez-vous donner aux départements dans l'accompagnement du Grand âge ?

Leur place, essentielle, leur a été donnée par le législateur qui a souhaité la décentralisation des politiques sociales, et notamment des politiques du Grand âge aux conseils départementaux. Ils sont chefs de file de l'action sociale. Mais les relations entre l'État et les collectivités territoriales sont aussi traversées de questionnements permanents dans lesquels les enjeux croissants des politiques qu'ils pilotent (notamment la perte d'autonomie) ne sont pas étrangers. Nous devons nous mobiliser collectivement pour renforcer la structuration de notre relation, trouver nos outils les plus adaptés : la contractualisation, la fédération autour de services publics (tels que le service public départemental de l'autonomie). Ma méthode restera celle que j'ai utilisée dans mes mandats antérieurs : la co-construction, le partenariat, et donc la confiance. Nous devons aussi structurer notre relation avec les autres collectivités territoriales et leurs représentants de manière à intégrer dans nos dialogues la diversité des territoires. Les enjeux de l'accompagnement de la perte d'autonomie nous obligent à nous coordonner, ensemble.

Nombre de contrôles ont été réalisés suite à l'affaire Orpea. Avez-vous pu en obtenir un bilan ? Qu'indique-il ?

Le Gouvernement a repositionné l'inspection-contrôle des établissements et services médico-sociaux, comme un des principaux leviers pour lutter contre la maltraitance et améliorer la qualité de la prise en charge au sein des structures. Lancé en 2022, le plan national d'inspection et de contrôle, sur pièces et sur place, de l'intégralité des 7 500 Ehpad est mené par les ARS. C'est une politique prioritaire du gouvernement. 98 % des Ehpad auront fait l'objet d'un tel contrôle d'ici à la fin de l'année. J'attends une évaluation globale qui a été confiée à l'IGAS et à laquelle j'attache une grande attention. Je relève déjà qu'un grand nombre de mesures correctrices ont été demandées à la suite de ces contrôles, au travers d'injonctions ou de prescriptions. Mais que peu de sanctions administratives ont été nécessaires. C'est un bon signe. Celui que tout n'est pas parfait et que des efforts continus d'amélioration de la qualité doivent être faits. Mais aussi celui que les dérives mises en évidence par l'affaire Orpea sont celles d'un « mouton noir » qui a malheureusement éclaboussé des professionnels engagés au quotidien au service de nos aînés les plus fragiles. Ma ligne sera claire : zéro tolérance pour les prises en charge défaillantes et sanction maximale pour l'enrichissement personnel associé.

Ces contrôles nous permettront de restaurer la confiance des personnes âgées et de leurs familles dans les établissements. Des mesures pérennes ont été prises et sont effectives pour moraliser le secteur, renforcer la transparence financière des établissements (dans l'information, les prix, la gestion financière). D'autres visent à renforcer les capacités de contrôle national (Cour des Comptes, Inspection Générale des Affaires Sociales) des groupes d'Ehpad privés lucratifs.

La fonction d'inspection-contrôle revêt un caractère régalien, en participant à la protection des personnes vulnérables, au contrôle de l'utilisation des fonds publics. C'est aussi un outil stratégique, qui contribue à l'évaluation et au pilotage des politiques publiques.

Comment engager une politique de long terme quand les ministres changent tous les 6 mois sans concrétiser les promesses de leurs prédécesseurs ?

Les engagements du Gouvernement visent à la fois à consolider l'existant et améliorer nos organisations, poursuivre les transformations. C'est le sens de mon action.

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