Reconduite à la présidence de la FEHAP en juin 2020, Marie-Sophie Desaulle entend promouvoir les solidarités de terrain et participer à changer le regard sur les métiers du grand âge et de l'accompagnement à l'autonomie. A l'aube du congrès national, les 25 et 26 novembre 2020, elle revient pour Géroscopie sur les enjeux et les transformations provoquées par cette crise sans précédent. Interview.
« Nous avons besoin de simplicité, d'action et de financements solides »
Comment la FEHAP a-t-elle traversé la crise ?
La fédération a été bousculée comme tout le monde. Nous avons été obligés de nous réorganiser de façon significative pour pouvoir accompagner, informer et soutenir au mieux nos adhérents. Nous avons ainsi mis en place une cellule de crise disponible 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, afin de répondre à toutes les sollicitations. Cette crise a révélé un immense besoin de communication. Nous avons donc créé un fil info très apprécié par nos adhérents, et proposé un soutien psychologique pour les professionnels. Les directeurs d'Ehpad et de Ssiad ont été confrontés à de difficiles questions éthiques, notamment autour des problématiques liées à l'isolement et au confinement en chambre. Pour les aider, nous avons installé un espace de parole sous la forme d'ateliers de 1h15, menés en visio-conférence. On y retrouvait des directeurs mais aussi des infirmières coordinatrices ou des médecins, avec l'idée de pouvoir échanger sur les difficultés rencontrées et les solutions envisagées. Cela a permis d'élaborer des réponses communes même si aucun de nos adhérents ne vit exactement la même chose tant en matière d'organisation architecturale, que de territoires. On ne peut donc pas envisager une réponse unique pour tous.
Parallèlement, nous avons mis en place une plateforme d'achat, via Unisara, pour faciliter l'accès au matériel (masques, blouses, lunettes) et rationaliser les coûts.
Enfin, grâce aux soutiens de la famille Bettencourt et de la Fondation des Hôpitaux de Paris, nous avons pu mener des actions de mécénat autour du maintien du lien social des personnes isolées. Nous avons ainsi financé 118 projets au profit des personnes âgées mais aussi de la protection de l'enfance, des mineurs isolés ou des personnes en situation de handicap... Et nous venons aujourd'hui de répondre à un appel à projets de la CNSA pour évaluer l'impact de ces projets pour le maintien du lien social.
Face à des adhérents confrontés à des difficultés qu'ils n'avaient jamais connues, nous avons essayé, au sein de la Fédération, d'être dans une dynamique de relais, d'accompagnement, de communication et de soutien.
Les adhérents envisagent-ils les mois à venir plus sereinement ?
Les établissements sont mieux préparés. Même si nous sommes confrontés à quelques tensions sur les EPI car nous manquons encore de blouses et de gants, nous n'allons pas être dans la même difficulté que la fois précédente. Sur l'équilibre entre lutte contre l'isolement et logique de confinement, sur le lien avec les familles, nous avons aussi appris. Nous ne partons pas de zéro. En revanche, une attention toute particulière doit être portée à la fatigue des professionnels, des personnels de direction aux aides-soignants. Ils voient tous avec une certaine appréhension l'arrivée d'une seconde vague qui va de nouveau les confronter à de grandes difficultés. Il va donc falloir décider d'une véritable mobilisation de la réserve sanitaire et des étudiants, au niveau ministériel et pas seulement des ARS, pour pouvoir répondre aux besoins des Ehpad. Pour l'instant, on reste dans un pilotage régional avec une mobilisation des énergies qui semble moindre.
Comment recruter et valoriser ces métiers ?
Il y a selon nous plusieurs portes d'entrée. D'abord, la question de l'image. Je continue à ne pas comprendre pourquoi le ministère ne mène pas une vraie campagne sur les métiers de la santé et de l'accompagnement. Certains ont su le faire de manière très efficace pour modifier le regard de la population sur l'armée.
La question du recrutement s'améliorera grâce au développement de l'apprentissage. A la FEHAP, nous avons réalisé un tour de France de l'apprentissage pour inciter nos adhérents à développer cette formule. Reste enfin la question de la rémunération et des parcours professionnels dans ces métiers. Nous sommes d'ailleurs en train de travailler sur des modifications de notre convention collective pour mieux intégrer les parcours professionnels.
Concernant le recrutement, notre difficulté est double. Qu'il s'agisse des formations d'aide-soignant (IFAS) ou de soins infirmiers (IFSI), les écoles peinent à trouver de nouveaux élèves. Ensuite, avec les récentes mesures (prime gériatrie pour les aides-soignants ou revalorisation des salaires dans le cadre du Ségur qui ne concerne pas les services de soins à domicile), on note des risques déjà avérés de départs vers des lieux qui rémunèrent mieux. On ne comprend pas, alors qu'on participe au service hospitalier, comment il peut y avoir des logiques de traitement aussi différentes.
Comment envisagez-vous l'établissement pour personnes âgées de demain ?
Faut-il encore continuer à parler d'établissement ? La structure de demain doit plutôt répondre aux besoins d'un certain nombre de personnes âgées sur un territoire donné, en adoptant une logique de contractualisation où la structure est responsable de suivre x personnes qui peuvent être à domicile, avoir besoin d'un hébergement temporaire ou définitif. Les professionnels peuvent dès lors intervenir à domicile ou en structure, avec une plus grande diversité des métiers. On garantit à la personne âgée une réponse adaptée à ses besoins. On passe ainsi à un suivi populationnel plutôt que de conserver l'idée d'autorisation de places. La structure doit pouvoir répondre à toutes les modalités possibles en fonction des besoins des personnes et favoriser un passage souple d'une solution à l'autre.
Mais on en est encore loin vue la rigidité de nos organisations administratives, de nos autorités de tarification et de contrôle, et des financements, en logique de silo. Je ne crois pas que la volonté ou la formation des professionnels manquent. Le secteur est en capacité de s'adapter mais notre quotidien n'est pas facilité par le double pilotage conseil départemental/ARS, la double logique de financement, et le financement par place et non par file active. Nous avons besoin de simplicité, d'action et de financements. Nous demandons 10 milliards supplémentaires et le vote de la loi Grand âge et autonomie. Il n'y a pas de décision politique aujourd'hui concernant la gouvernance et le financement du secteur. La 5è branche, même si nous y sommes favorables, n'est pas non plus alimentée.
Le PLFSS est-il à la hauteur des enjeux ?
On est bien obligé de dire que l'Ondam progresse de manière significative mais c'est l'effet de la crise. Il faut payer les surcoûts liés à l'épidémie et les accords du Ségur. Mais le 1,7 milliard lié aux personnes âgées permettra juste de financer la revalorisation des salaires dans les Ehpad. Il n'y a pas de renforcement de moyens. Pour l'heure, on n'améliore pas la situation en matière de taux d'encadrement en Ehpad et on n'est pas non plus dans une logique de transformation de l'offre. Ça n'est pas très enthousiasmant.
Comment se présente votre prochain congrès ?
Il sera digital cette année compte tenu du contexte*. L'avantage, c'est que ce format permettra aux adhérents de visionner les débats après le congrès et peut-être de l'étendre à l'ensemble des équipes.
Nous avons tenu à maintenir cet événement car c'est un lieu d'échanges et de réflexion. C'est important de conserver avec nos adhérents une réflexion stratégique sur ce que nous avons envie de faire. Le thème de la prévention, décidé avant la crise, est d'une grande actualité. Au-delà de la crise, il nous faudra tenter de comprendre ce que cette épreuve a nécessité comme adaptation dans la communication avec les familles ou les résidents, ou dans l'utilisation des outils numériques.
On réfléchit aujourd'hui à l'évolution de notre centre de formation avec une orientation très forte sur l'e-learning, notamment sur l'apprentissage de gestes techniques, mais aussi de réflexion autour des pratiques.