Entretien avec le Dr Christian Müller, président de la Conférence nationale des présidents de commissions médicales d'établissements de centres hospitaliers spécialisés (CME-CHS).
« Nous avons eu très tôt le souci d'éviter une hécatombe »
« Dès le début de la crise sanitaire, le dispositif de psychiatrie publique s'est mobilisé de manière très active. La Conférence nationale des Présidents de CME de CHS a mis en place un groupe Ressource psy Covid dès le 24 mars 2020, avant même que ne soit créée la cellule de crise au sein du ministère de la Santé.
Ce groupe qui a réuni des professionnels d'horizons très divers (médecins, pharmaciens, universitaires, psychologues, infirmiers et des représentants de patients) a collecté des informations souvent en temps réel auprès de l'ensemble de nos établissements, ce qui nous a permis de définir des orientations sur la conduite à tenir, lesquelles ont bien souvent nourri les Messages alerte rapide sanitaire (Mars) de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS). Cette réactivité, qui prend sa source au coeur de notre engagement, a mis en lumière notre capacité de résilience alors même que nous sentions monter l'inquiétude des patients, de leurs familles mais aussi des professionnels. De nombreuses équipes de psychiatrie craignaient en effet de voir resurgir de nouvelles stigmatisations. Car, comme l'a montré l'histoire de la médecine, les patients de psychiatrie n'ont jamais été considérés de façon prioritaire. Ni même parfois de façon égalitaire. Nous avons encore tous en mémoire le fait que plus de 45 000 d'entre eux ont disparu pendant la Seconde Guerre mondiale : une plaque commémorative, que nous avons inaugurée avec le président de la République de l'époque, en témoigne d'ailleurs sur le parvis des Droits de l'Homme du Trocadéro à Paris.
Nous nous sommes donc très vite mobilisés pour que les patients ayant des troubles psychiatriques accèdent aux soins somatiques, à tous les moyens de protection, à l'information sur les gestes barrières, etc. Grâce à cette vigilance de tous les instants, notre discipline a enregistré moins d'impacts négatifs que ce qui a été observé dans d'autres pays européens et aux États-Unis(1). Nous avons ainsi fait la démonstration que les commissions médicales d'établissement sont une aide précieuse, ne serait-ce que parce qu'elles possèdent une connaissance très fine des réalités de terrain et qu'une grande solidarité anime les communautés médicales. Cet engagement sans faille a aussi été facilité par la qualité des liens que nous avons tissés avec nos collègues des hôpitaux généraux et universitaires. À ce titre, nous n'avons rencontré aucun problème dès lors qu'il a fallu transférer certains de nos patients dans les services de réanimation.
Dans le contexte difficile que nous connaissons - saturation des centres médico-psychologiques, baisse des capacités d'hospitalisation sans transfert des moyens sur l'ambulatoire, désertification territoriale... -, nous avons immédiatement compris que nous devions agir sans attendre les premières recommandations des pouvoirs publics. Notre mobilisation durant la crise sanitaire s'est donc inscrite dans un contexte très critique. Je rappelle qu'en septembre 2018, nous avons alerté le ministère des Solidarités et de la Santé et sur le fait que la psychiatrie était en situation « d'urgence républicaine » et proposé, aux côtés de 20 représentants de professionnels et d'associations de patients, dix mesures urgentes à mettre en place dans les deux années à venir. En mars 2019, nous avons adressé un courrier au Président de la République après l'annonce, lors de son déplacement à Pessac, d'une « initiative d'ampleur » pour notre secteur. Notre demande est malheureusement restée sans réponse. Et nous avons lancé la même année le SOS de la psychiatrie publique après avoir constaté qu'elle était totalement absente dans les 14 mesures du plan « Ma santé 2022 » et renvoyée au déploiement de la feuille de route.
Vous me demandez où nous avons trouvé l'énergie ? Il fallait agir, nous avons agi. Résilients et engagés. D'ailleurs, le groupe Ressource psy Covid a donné des résultats si probants que son principe est désormais pérennisé sous la dénomination de Groupe opérationnel de psychiatrie. (GOP) coordonné par le Dr Radoine Haoui du centre hospitalier Gérard-Marchant à Toulouse.
Quant à l'impact de la pandémie et de ses conséquences sur la population générale, il conviendra de réaliser dans quelques mois un bilan sur ce sujet afin d'objectiver les faits. Ce qui est malheureusement certain à ce jour, c'est que la situation de la psychiatrie s'est encore dégradée depuis notre appel à l'urgence républicaine. »