À la veille de son 48e congrès, la Fehap, par la voix de sa présidente, plaide pour un changement de modèle des Ehpad et l'introduction de mesures fortes. Interview.
« Nous demandons une loi de programmation pour pouvoir agir concrètement et efficacement »
Votre 48e congrès va s'ouvrir dans quelques jours. Quels en sont les enjeux et priorités ?
Le congrès de la Fehap est un événement majeur pour notre fédération et notre secteur. Il réunit chaque année plusieurs centaines de présidents et directeurs d'établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux, et de nombreux exposants. Sur le thème « Le secteur privé solidaire, un modèle pour s'engager durablement », ce 48e congrès propose un programme où les questions liées à la transition écologique dans le champ de la santé et du médico-social seront à l'honneur. Comment les politiques publiques peuvent-elles répondre aux enjeux de transition écologique pour le secteur de la santé et de l'accompagnement ? Comment une démarche écologique peut-elle apporter du sens aux professionnels ? Comment faire face au défi de la durabilité environnementale ? Tables rondes, conférences, partages d'expériences sur des innovations... Différents formats nous permettront de réfléchir collectivement à ces grands défis.
Comment vos établissements appréhendent-ils la question du développement durable quand les prix de l'énergie flambent et que l'inflation les met en précarité économique ?
Il est vrai que parler durabilité quand on s'inquiète très concrètement pour le présent relève parfois d'un jeu d'équilibriste. Cependant, même si le monde est plein d'incertitudes, la Fehap privilégie l'action. Oui, nous nous plaçons dans une dynamique d'action pour ne pas nous replier sur nous-mêmes, pour être force de proposition et préparer l'avenir. Aborder la question du développement durable n'est donc pas une option : c'est une évidence. Certains adhérents ont largement avancé sur le sujet, d'autres sont en train de le faire. La Fehap entend bien sûr être à leurs côtés, par la formation, l'accompagnement. Un exemple ? Alors que le dispositif réglementaire éco efficacité tertiaire impose une réduction progressive des consommations énergétiques dans les structures, nous avons monté un programme pour sensibiliser, former et outiller nos établissements et services.
LE PLFSS est toujours en débat. Que pensez-vous des diverses mesures proposées ?
Chaque année, le PLFSS est une occasion pour notre fédération de faire entendre sa voix, la voix du secteur sanitaire, social et médico-social privé solidaire. Les débats sont encore en cours mais, pour la Fehap, ce PLFSS 2024 doit être synonyme de changement : il doit mettre un terme aux inéquités de traitement subies depuis trop longtemps par les établissements de soins et d'accompagnement associatifs. Nous plaidons pour l'introduction de mesures fortes, comme une meilleure articulation entre les agences régionales de santé et les départements, un financement à la hauteur des enjeux (pour faire face à l'inflation), une simplification administrative et la mise en oeuvre d'un plan vert pour booster l'obligation liée à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Des revalorisations salariales (nuit et dimanche) pour infirmières et aides-soignants ont été étendues aux Ehpad publics mais toujours pas aux privés, associatif ou commercial. On n'a donc rien appris du Ségur ?
Cette nouvelle inégalité entre acteurs vient perturber un secteur déjà en grande difficulté. L'annonce de l'extension des mesures de revalorisation du travail de nuit et du week-end pour les Ehpad du seul secteur public a été vécue comme un coup de massue par nos adhérents. Le secteur privé solidaire représente plus de 30 % des Ehpad. Une nouvelle fois, nous déplorons de devoir nous battre pour obtenir une équité de traitement, alors que les besoins en matière d'accueil ne cessent de croître et que la pénurie de professionnels s'intensifie de jour en jour. Les Ehpad associatifs et publics ont exactement les mêmes métiers, les mêmes contraintes et font face aux mêmes enjeux de manque d'attractivité des métiers. Par conséquent, nous demandons le rétablissement de l'équité dès que possible. Nous souhaitons que les établissements qui accueillent des personnes en situation de handicap et qui, par définition, sont ouverts 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 bénéficient de ces mesures.
Loi grand âge ou PPL... Comment avancer ?
La Fehap souhaite plus qu'une PPL. Depuis plusieurs années maintenant, nous demandons une véritable loi Grand âge pour que les personnes âgées soient considérées comme il se doit au sein de la société. Certes, le cinquième risque a été créé, avec l'octroi de moyens financiers. Mais ils sont insuffisants. Ce que nous demandons, c'est une loi de programmation pour pouvoir agir concrètement et efficacement pour les dix millions de personnes âgées que compte notre pays. Il est plus que temps de passer à l'action.
Les Ehpad ont-ils encore un avenir ?
Comme évoqué précédemment, la situation des Ehpad est très tendue, et les Ehpad privés solidaires ne font pas exception. D'après les données collectées dans le cadre de l'atterrissage 2022 des Ehpad, près de 62 % des Ehpad Fehap interrogés étaient en situation de déficit financier en 2022, soit une hausse de 10 % par rapport à 2021. En 2022, le déficit total des Ehpad Fehap était ainsi estimé à 110 millions d'euros. Dans un tel contexte, la création d'un fonds d'urgence, mesure que nous avons demandée, va dans le bon sens. Mais que va-t-il se passer quand il sera consommé ? Faudra-t-il en créer un nouveau ? Jusqu'où est-il possible d'aller ? Le problème fondamental est celui du modèle économique des Ehpad. Pour qu'ils aient un avenir, il faut travailler sur ce modèle économique, en bonne intelligence avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et les départements. Nous avons fait connaître nos propositions pour avancer en ce sens.
Vous avez rejoint Future4care en juillet dernier. Qu'en attendez-vous ? Comment les projets primés lors des trophées de l'innovation se développent-ils sur le terrain ?
Durant l'été, la Fehap et Future4care, écosystème européen ayant pour mission d'accélérer le progrès en santé numérique, ont signé une convention de partenariat pour unir leurs forces. Si l'innovation fait partie de l'ADN du privé solidaire, ce récent partenariat est pour nous synonyme de nouvelles perspectives, notamment parce qu'il permettra de mettre en relation les besoins de nos adhérents avec les solutions proposées par les start-up de demain. La Fehap est présente dans tous les champs du soin et de l'accompagnement, de la naissance à la fin de vie. Certains adhérents sont familiers des enjeux liés à l'innovation, d'autres un peu moins. L'appui de Futur4care aidera donc à avancer dans la bonne direction, tout en suscitant des rencontres, des échanges, des temps d'études et de travaux communs.
Comme le montre le rendez-vous des trophées, l'innovation est au coeur des préoccupations des établissements et services adhérents à la Fehap. Le secteur privé solidaire est reconnu pour cela et, à chaque édition, la diversité des projets primés le confirme. Ces propositions sont le fruit d'initiatives des structures, qui constatent un besoin non couvert sur leur territoire, découvrent une nouvelle façon d'y répondre et/ou décident de tester des solutions inédites. Ainsi, ce sont bien la liberté et l'intelligence collective propres à notre secteur privé solidaire qui permettent cette richesse de projets et d'innovations.