A l'heure où la vaccination contre la grippe est fortement encouragée chez les personnes âgées et où des candidats vaccins contre le SARS-CoV-2 sont annoncés aux quatre coins de la planète, Géroscopie ouvre un dossier complet sur les médicaments. Quelles sont les avancées dans le champ de la gériatrie ? Quel traitement administrer à des personnes âgées souffrant de la Covid-19 ? Que penser de la polémique liée au Rivotril ? Les experts répondent.
« Nous devons disposer d'unités de production de médicaments d'intérêt sanitaire et stratégique en Europe »
Thomas Borel, Directeur scientifique du Leem (Les entreprises du médicament).
La question de la pénurie de médicaments s'est une nouvelle fois posée lors de la crise de la Covid-19. Quelles réponses proposez-vous ? Êtes-vous par exemple favorable à la relocalisation en France de la fabrication de traitements essentiels ?
Dès février 2019, nous avons proposé un plan d'action pour lutter contre les pénuries de médicaments. La pénurie de traitements est un sujet international et multifactoriel car des problèmes peuvent survenir depuis l'exploitation des matières premières jusqu'à la commercialisation. La réponse ne peut donc pas être unique. Nous sommes évidemment favorables à la relocalisation afin de ne pas dépendre de façon trop importante de territoires géographiques lointains et sur lesquels des enjeux géopolitiques peuvent générer des tensions d'approvisionnement. Mais si le plan de relance industriel fait sens, il ne permettra pas de couvrir la production des médicaments essentiels qui sont, pour une partie d'entre eux, produits en dehors de notre continent. Depuis trente ans, la politique industrielle et économique française n'a plus été suffisamment incitative en matière d'investissement. Après avoir été longtemps première en Europe, la France est quatrième en matière de production de médicaments finis sur son territoire. Aujourd'hui, la réponse ne peut être construite qu'au niveau européen. Nous devons réduire notre niveau de dépendance à d'autres continents et disposer d'unités de production de « médicaments d'intérêt sanitaire et stratégique » (MISS) en Europe.
Dans un décret du 2 avril 2020, le gouvernement a permis de contrer une pénurie potentielle de médicaments par le recours à des produits vétérinaires dans les hôpitaux. Quelle est votre réaction ?
Quelques médicaments à usage vétérinaire ont été utilisés chez l'homme dans le contexte très particulier de la Covid-19 et sous le contrôle de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Il importe également de préciser que ce sont les médicaments d'origine humaine qui sont utilisés dans le champ vétérinaire. La présentation et les formes diffèrent mais la molécule est équivalente. Il n'y a donc aucune inquiétude à avoir et cette mesure a permis de faire face à la pénurie de certains anesthésiques.
Les médicaments dits anti-Alzheimer ont été déremboursés en août 2018, une décision confirmée par le Conseil d'État en décembre 2019. Regrettez-vous ce choix ?
Cette décision a fait l'objet d'une évaluation longue et complexe de la Haute autorité de santé qui a conclu à un service médical rendu insuffisant. Au-delà de la décision qui relevait ensuite de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, j'aimerais que nous pensions aux millions de personnes concernées par la maladie d'Alzheimer. Quel parcours de soins et de prise en charge avons-nous proposé à ces patients ? Car même si l'efficacité de ces molécules a été jugée modeste, elles permettaient de les maintenir dans un parcours de prise en charge. Il faut parfois sortir de l'Evidence Based Medicine et interroger l'impact organisationnel des soins qu'il pourrait d'ailleurs être utile d'utiliser comme critère d'évaluation.
Le champ de la gérontologie vous semble-t-il suffisamment investi par l'industrie pharmaceutique, en termes de recherche et d'avancées thérapeutiques ?
La moitié des essais menés au niveau mondial portent sur des anti-cancéreux. Ce n'est certes pas une pathologie spécifique du sujet âgé mais j'aimerais rappeler ici l'engagement de l'industrie pour combattre des pathologies que l'on retrouve avec une forte prévalence chez les personnes qui avancent en âge. Par ailleurs, toutes les études cliniques comptent une part importante de personnes âgées car la pharmacologie et la pharmacocinétique des médicaments peuvent être sensiblement différentes pour cette classe d'âge.
Enfin, êtes-vous optimiste quant à la mise à disposition prochaine d'un vaccin contre la Covid-19 ?
Une dynamique extraordinaire a permis d'accentuer les partenariats de recherche entre équipes académiques et entreprises du médicament, mais aussi entre entreprises du médicament. Tous les acteurs sont mobilisés pour trouver des réponses à cette épidémie. Moins de six mois après l'apparition de la Covid-19, plusieurs essais cliniques de phase 3 sont en cours incluant plusieurs dizaines de milliers de patients dans le monde. C'est une excellente nouvelle. Cette accélération peut faire peur mais les standards de la recherche garantissent aujourd'hui une sécurité sanitaire et une qualité maximale des projets en cours.