Dans le n° 15-décembre 2011  571

" Nous devons prendre exemple sur les politiques à destination des personnes handicapées "

Pour Bérengère Poletti, présidente du Groupe d'études sur la dépendance de l'Assemblée Nationale, une prise en charge de qualité des personnes âgées s'appuie sur la clarification de l'offre, le travail en réseau, le développement des services à domicile,... Entre deux discussions sur le PLFSS, la députée des Ardennes livre sa vision.

Vous êtes une des personnalités politiques les plus impliquées dans les questions de dépendance. Pourquoi ?

Dès le début de mon deuxième mandat, j'ai décidé de m'intéresser au handicap et à la dépendance et c'est une volonté personnelle. J'ai demandé la présidence du groupe d'études sur la dépendance et la maladie d'Alzheimer dans le but de m'impliquer dans le dossier important de la création du 5e risque. Nous avons donc auditionné tous les grands acteurs et mené une réflexion approfondie. J'ai été membre de la mission d'information sur l'étude du 5e risque, et rapporteure de la mission sur la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie). Bien évidemment, durant toutes ces auditions sur ce rapport, mon groupe d'études a été mis en sommeil. J'ai identifié durant ces missions la problématique des SAD (Services d'Aide à Domicile) que dans le même temps, des groupes de travail mis en place par Roselyne Bachelot autour de la perte d'autonomie faisaient valoir que les français souhaitaient par dessus tout un maintien à domicile de qualité. Sous l'effet de la crise financière et économique d'ampleur internationale, le gouvernement a dû renoncer temporairement à la mise en place du risque dépendance. C'est à ce moment que Roselyne Bachelot a accepté de me missionner sur les SAD et m'a établi une lettre de mission en juillet dernier.

Peut-on concilier rigueur budgétaire et développement de l'aide à la dépendance ?

Oui ! Roselyne Bachelot a réussi à convaincre le gouvernement que c'était possible. Dans le PLFSS tel que l'a voté l'Assemblée Nationale, l'ONDAM (objectif national de dépenses d'assurance-maladie) concernant les établissements et services pour personnes âgées s'élève à +6,3% pour 2012 pour un ONDAM médico-social global à +4,1%. La volonté du gouvernement est clairement indiquée. De plus, une enveloppe de 50 millions d'euros a été votée sur le PLF (Projet de Loi de Finances) dans la section Solidarités pour venir en aide aux services à domicile en difficulté.

La réforme du financement de la dépendance a été reportée. Comment voyez-vous la suite ?

Tout en regrettant ce report, je soutiens la décision de François Fillon. Dès l'été 2010 j'avais dit dans un communiqué de presse que je ne voyais pas comment étudier un texte conduisant à faire payer davantage les Français. Que ce soit par une journée de solidarité, une augmentation de la CSG ou une récupération sur la succession. Je suis par ailleurs contre une assurance privée obligatoire, laquelle serait de toute façon coûteuse pour l'Etat : il faudrait créer l'équivalent de la CMU. Aujourd'hui, la situation est encore plus complexe : entre le contexte préélectoral et le marasme financier, il est impossible d'avancer. Augmenter la pression fiscale pour une dépense nouvelle, c'est augmenter le risque de décote de la France par les agences de notation. Je suis souvent sur le terrain, je discute avec les Français, ils le comprennent bien : régler le problème de la dette est une priorité. Je souhaite qu'un gouvernement responsable et non démagogique, que je soutiendrai, soit le choix des Français en mai et juin prochain.

Quel est votre regard sur le secteur des personnes âgées ?

En travaillant sur le rapport de la CNSA, j'ai été stupéfaite par la complexité de la circulation des crédits, de la tarification. L'accès aux services par les personnes âgées est tout aussi compliqué. Dans ce domaine nous devons prendre exemple sur les politiques à destination des personnes handicapées. Elles sont beaucoup mieux organisées. Avec la loi de 2005 qui a créé les MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), le point d'entrée est bien identifié. Dans les MDPH, les personnes handicapées et leurs familles peuvent trouver l'ensemble des réponses à leurs besoins. Pour les personnes âgées, les points d'entrée sont moins lisibles. Aujourd'hui les structures sont trop nombreuses et souvent mal nommées. Les Français ne savent pas ce qu'est un CLIC (Centre Local d'Information et de Coordination), et le pilotage des CLIC est confié à des structures trop diverses. De même on pourrait croire que les MAIA (Maison pour l'autonomie et l'intégration des malades Alzheimer) sont de véritables maisons mais ce sont des réseaux... Pourquoi ne pas créer des Maisons des personnes âgées ? La loi du 11 février 2005 imposait une convergence entre la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées d'ici 2011. L'idée était d'organiser un travail coordonné à un niveau local, proche des usagers, et de préparer la mutualisation des procédures entre les secteurs du handicap et de la perte d'autonomie. Le département des Ardennes a mis en place une Maison de l'Autonomie mais globalement l'expérimentation a été peu suivie.

Quelles sont les pistes d'amélioration ?

Il faut développer le travail en réseau et faciliter le maintien à domicile. Le premier maillon me semble être celui des médecins traitants. C'est à eux de connaître les dispositifs, à eux d'orienter vers une consultation mémoire, un accueil de jour, des solutions de répit pour les aidants. Cela passe aussi par davantage de formation en gériatrie, je passe sur la pénurie de médecins traitants dans certaines zones. Tout cela permettrait de favoriser le maintien à domicile, qui est le souhait des personnes âgées. L'enjeu est autant en termes de qualité de vie qu'en termes d'enjeux économiques. Comme le souligne le rapport de Denis Piveteau de l'HCCAM (Haut conseil pour l'avenir de l'Assurance maladie), le coût de la prise en charge par l'hôpital des personnes âgées qu'on ne sait pas réorienter, s'élève à 2 milliards d'euros. Pour permettre aux gens de revenir chez eux, il faut développer les services à domicile. Il faut aussi expliquer aux personnes âgées et aux aidants ce qu'est l'aménagement d'un domicile et ce que sont vraiment les EHPAD (ancienne maisons de retraites), les MARPA (Maison d'accueil rurale pour personnes âgées : non médicalisée), les foyers-logements et les structures de répit et d'accueil temporaire.

Vous menez actuellement une mission sur les services à domicile. Qu'avez-vous pu observer ?

Le secteur souffre ! La première difficulté tient à la décentralisation. D'un département à l'autre les réponses sont différenciées. La crise a réduit les recettes des Conseils Généraux et le nombre des bénéficiaires de l'APA (Allocation personnalisée d'autonomie) a augmenté. Les Conseils Généraux demandent maintenant aux associations de services à domicile d'optimiser l'organisation des services, de limiter les frais de structures. Autre difficulté : la montée en qualification des équipes, qui était nécessaire pour offrir des parcours professionnels et donner ainsi de l'attractivité à ces métiers, a alourdi le coût des salaires. Ainsi une personne formée au soin et intervenant aussi pour l'entretien de la maison est payée sur deux taux horaires différents, et ce supplément est à la charge des structures. Le rapport que la ministre m'a demandé doit proposer des pistes d'expérimentation pour une nouvelle tarification. Les coûts sont aussi alourdis par le paiement des temps de transport de l'intervenant entre deux domiciles. Certaines structures disent avoir souffert de l'arrivée d'intervenants privés lucratifs. Pourtant la concurrence me semble saine et les intervenants commerciaux n'assurent que 5% des heures. Bref les associations sont aux abois ! Dans le cadre du PLF 2012 (Projet de loi de finances), en cours de discussion, l'Assemblée Nationale a voté une dotation de 50 millions d'euros pour les ARS (Agences régionales de Santé) afin d'aider les services à domicile. De plus la suppression d'une exonération spécifique de cotisations patronales dite " exo service à la personne " avait gonflé les charges des structures. J'ai fait voter en octobre un amendement qui en limitera l'effet : l'aide à domicile aux familles fragiles va bénéficier, dès janvier 2012, de l'exonération de charges patronales actuellement réservée aux seuls services d'aide à domicile aux personnes âgées et handicapées. Un dispositif unique d'exonération dit " exo aide à domicile " va donc désormais s'appliquer à l'ensemble des publics fragiles.

Propos recueillis par Marie-Suzel Inzé

Bérengère Poletti est députée de la première circonscription des Ardennes et Conseillère régionale de Champagne-Ardenne.

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