Dans le n° 100-janvier 2019  -  Bernard Bonne, Sénateur Les Républicains de la Loire depuis 2017  10239

Nous devons sortir du choix binaire EHPAD/domicile et créer une organisation différente autour des personnes âgées

Président du Conseil départemental de la Loire pendant près 10 ans, Bernard Bonne est aujourd'hui Sénateur, rapporteur médico-social pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale et auteur d'un rapport remarqué sur la situation dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, publié en mars 2017. Interview d'un observateur aguerri.

La révolution démographique de 2030 approche à grands pas. La France est-elle en mesure de faire face aux enjeux qui se présentent à elle ?

On sait qu'il y aura près de 5 millions de personnes de plus de 85 ans en 2050. A ce jour, nous ne sommes pas suffisamment préparés pour affronter cette révolution démographique. Il faut que l'on travaille collectivement pour inventer les moyens qui permettront de faire évoluer la prise en charge des personnes âgées.

Que peut-on selon vous espérer de la concertation Grand Age ?

Le Sénat aura une réflexion propre, suite aux propositions que feront les instances de la Concertation Grand Age mise en place par le gouvernement. Nos propositions resteront très pragmatiques pour prévoir et organiser sur le long terme les différents modes d'accueil des personnes en perte d'autonomie. Nous devons sortir du choix binaire EHPAD/domicile et créer une organisation différente autour des personnes. Le but est de diversifier les alternatives, mutualiser les services médicaux et paramédicaux, et coordonner l'ensemble des dispositifs sur un même territoire. Il faut bâtir des systèmes intermédiaires pour accueillir les personnes pour lesquelles l'EHPAD ou le maintien à domicile n'est pas la meilleure solution.

Qu'est ce qui empêche aujourd'hui ces systèmes de se mettre en place ?

Les réglementations trop nombreuses. Elles sont si contraignantes qu'elles entravent les initiatives sur les territoires. Je me suis occupé des affaires sociales dans mon département depuis les années 90, en tant que Vice-président en charge des affaires sociales, puis comme Président du Département, et j'ai proposé plusieurs fois aux différentes autorités de tutelle d'entendre et de répondre à nos propositions pour une organisation plus souple et tenant compte du contexte local. Chaque fois, nous nous sommes heurtés à des contraintes administratives et à un manque de souplesse. Je pense qu'il faut laisser aux structures médico-sociales la possibilité de s'organiser, et de répondre aux nécessaires besoins, différents d'un point à l'autre du territoire. Les demandes ne sont pas les mêmes à Paris, à Bordeaux ou en Corrèze.

Autre sujet qui remonte régulièrement, les problèmes de personnels...

Il s'agit certainement du problème le plus préoccupant. Il n'est pas possible d'imposer un ratio de 1 pour 1 (comme indiqué dans le Plan solidarité grand âge). Les besoins des personnes âgées dépendantes ne sont pas identiques et les structures qui les accueillent doivent pouvoir adapter le nombre de personnels en fonction de ces différentes situations. Il faut tendre à ce que plus d'aidants puissent intervenir auprès des personnes âgées dépendantes mais sans fixer un ratio trop contraignant. Dans certains établissements, il sera nécessaire d'avoir un ratio de 1,2 ou 1,3 et inversement un ratio de 0,65 ou 0,67 suffira dans d'autres structures. Je crois qu'il faut laisser aux directeurs le soin de proposer et d'adapter le nombre de personnels en fonction des personnes dont ils ont la charge. Nous avons besoin de plus de souplesse mais ces personnels ont besoin aussi de plus de reconnaissance. L'attractivité de ces métiers est notoirement insuffisante.

On voit que les directeurs n'arrivent plus à recruter, les écoles ne se remplissent même plus...

...parce que le travail est très difficile, les rémunérations ne sont pas à la hauteur de l'engagement demandé et de la charge de travail, et l'évolution des carrières n'est guère facilitée. On ne peut pas continuer à rémunérer si faiblement ces soignants. Ce n'est pas un travail comme les autres. Il nécessite beaucoup d'empathie et de dévouement. Il faut absolument les aider et leur donner la possibilité d'envisager des évolutions de carrière, si besoin par la formation.

Pour aller dans ce sens, votre dernier rapport préconisait une refonte des missions des différents personnels travaillant en EHPAD, notamment celles du médecin coordonnateur.

Oui, il s'agit de permettre au médecin coordonnateur de prescrire sans enlever la possibilité d'intervention du médecin traitant lorsque son patient le demande. J'avais déjà proposé cette mesure en 2017 qui malheureusement n'a pas alors été mise en place malgré les préconisations concordantes du rapport de Monsieur Ricordeau. Cette année, lors de l'examen du PLFSS, mon amendement a été adopté à l'unanimité au Sénat et repris en seconde lecture à l'Assemblée Nationale. Cette mesure, très simple, permettra d'accélérer les décisions et prescriptions médicales et soulagera l'ensemble du personnel, qui souvent est tributaire des disponibilités du médecin traitant. Car en plus, dans certains établissements, il arrive qu'un grand nombre de médecins interviennent. Ce médecin coordonnateur permettra aussi d'éviter beaucoup d'hospitalisations, donc de transports. Les économies seront loin d'être négligeables. Je propose aussi que le champ d'intervention des aides-soignants soit, sous le contrôle du médecin et des infirmières, réorienté et élargi, notamment par l'aide à la prise de médicaments ; cela soulagerait le personnel infirmier et renforcerait l'attractivité du métier.

Comment financer ces dispositifs ?

Il s'agit certainement de la principale difficulté mais il faut repenser le financement global dans le cadre du PLFSS. Aujourd'hui les financements ARS et Sécurité sociale sont trop étanches et il est probable qu'une réflexion s'engagera sous la houlette d'Alain Milon, Président de la Commission des Affaires sociales. Nous voulons faire des propositions qui n'entraineront pas automatiquement de cotisations supplémentaires, mais plutôt une réaffectation des différentes recettes sociales. Pour les personnes âgées, diverses solutions ont déjà été envisagées (5è risque, journée de solidarité, augmentation d'une part de CSG...). D'autres propositions seront certainement étudiées (viager dans certains cas, location facilitée pour les propriétaires sans perte des avantages fiscaux en vigueur...).

L'essentiel de nos propositions devra tendre à limiter au maximum le reste à charge des personnes âgées et de leurs familles.

Vus les mouvements sociaux actuels, les priorités budgétaires ne vont-elles pas se réorienter ?

Non, car le problème du grand âge a trop longtemps été insuffisamment pris en compte et qu'il nous faut trouver des solutions qui ne seront pas que budgétaires. Aujourd'hui par exemple il existe trois tarifs différents dans les EHPAD (soin, hébergement, dépendance) avec des autorités de contrôle différentes. Il faut simplifier et assouplir ces procédures, laisser surtout beaucoup de place aux propositions et expérimentations à l'initiative des acteurs locaux et responsables de structures et permettre également le libre choix des personnes âgées. La prévention sera aussi au coeur de nos préoccupations, de même que le soutien aux aidants familiaux qui ont un rôle essentiel.

Il faudra surtout réinventer l'accueil et la prise en charge différenciés de nos aînés et bien sûr faire preuve d'une très grande humanité.

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