La crise sanitaire a encore fragilisé davantage les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et leurs proches aidants. Le point avec Joël Jaouen, président de France Alzheimer.
« Nous ne devons plus revivre ce que nous avons vécu ces derniers mois, c'est un enjeu collectif »
Vous aviez alerté en 2017 sur l'augmentation du nombre de malades. Qu'en est-il aujourd'hui ?
2020 est une épreuve pour nous tous et l'Association n'échappe pas à cette réalité. Les personnes malades et les familles que nous représentons ont été très impactées par la crise sanitaire, ses conséquences et certaines mesures mises en place par le gouvernement.
Nos 99 structures départementales ont dû fermer durant le confinement mais nos bénévoles, mobilisés sur le terrain, ont su maintenir le lien avec les familles et leur apporter écoute et soutien.
Le nombre de personnes concernées par la maladie d'Alzheimer et les maladies apparentées ne cesse d'augmenter et les prévisions sont alarmantes. Le vieillissement de la population et le manque de prévention quant à nos habitudes de vie l'expliquent en partie. Il y a aujourd'hui plus d'1,2 million de personnes malades et plus de 2,2 millions d'ici 2050. Mais une personne sur 3 n'est pas diagnostiquée et la pandémie a entraîné un retard. Par ailleurs, le Plan maladies neurodégénératives est échu depuis fin 2019. Nous avons plus que jamais besoin du soutien des pouvoirs publics et des législateurs. Seuls, nous n'y arriverons pas.
La crise Covid-19 a amplifié les difficultés des malades et de leurs familles, à domicile comme en Ehpad. Comment les prévenir si une 2e vague arrivait ?
L'arrêt des visites en Ehpad et la suspension d'activités de certaines structures d'aide à domicile ont eu des conséquences lourdes sur la santé et l'évolution des troubles cognitifs, parfois irréversible, pour les malades... Nous avions demandé un assouplissement des conditions de sortie durant le confinement pour les personnes malades, comme cela fut le cas pour d'autres publics spécifiques, mais nous n'avons pas été entendus. En cas de reconfinement, il est vital d'intégrer les spécificités liées à la maladie d'Alzheimer et aux maladies apparentées et d'entendre la détresse des familles lorsqu'elles dénoncent l'isolement de leur proche, la rupture du lien familial et leurs conséquences désastreuses, le manque de soutien des proches aidants à domicile, le manque de souplesse des acteurs publics sur le terrain pour répondre à leurs besoins immédiats et vitaux... Les professionnels de santé ou acteurs de terrains ont fait preuve de bon sens et ont su s'adapter aux besoins de ce public spécifique, c'est donc possible et plus que jamais nécessaire. Nous ne devons plus revivre ce que nous avons vécu ces derniers mois, c'est un enjeu collectif. Nous devons tous nous responsabiliser sur ce point.
Avez-vous développé des actions spécifiques sur le terrain ?
Dès le confinement, nos associations départementales ont mis en place des plateformes d'écoute et de soutien psychologique par téléphone ou par visio. Nous avons également utilisé notre webradio, notre site d'information et mis en place des webinaires pour répondre aux inquiétudes des familles comme des professionnels de santé accompagnant les personnes à domicile et en établissement. Nous avons également créé un contenu dédié au sujet de la fin de vie, avec l'intervention filmée de Marie de Hennezel.
Comment appréhendez-vous les mois à venir ? En terme de besoins, de finances, de bénévoles ?
Nous restons mobilisés sur l'ensemble du territoire, soutenus par de nombreuses communes. La Charte Ville Aidante Alzheimer a permis d'impliquer de nombreux acteurs locaux, leur soutien est essentiel autant pour la diffusion d'informations, que pour la réouverture de nos structures grâce au prêt de salles ou au subventionnement d'actions innovantes... Mais l'impact financier de la crise sanitaire est réel.
Le bénévolat est un enjeu majeur. Il a beaucoup évolué ces dernières années en France et nous avons de nombreux besoins dans ce domaine. La crise n'a pas aidé...
Les manifestations organisées dans le cadre de la journée mondiale de lutte contre la maladie d'Alzheimer ont été limitées. Comment pensez-vous continuer de sensibiliser la population dans ce contexte ?
Les mesures sanitaires nous ont empêchés d'organiser notre traditionnel Village Alzheimer, à Paris, nous empêchant d'aller à la rencontre des familles et du grand public. Mais nous ne baissons pas les bras. Cette année, notre mobilisation autour de la Journée mondiale Alzheimer est digitale mais pas moins forte.
Notre campagne est axée autour de l'accompagnement, la proximité et l'inclusivité comme facteurs essentiels du parcours de vie et de soins des personnes malades et de leurs proches aidants. Nous nous appuyons sur notre symbole fédérateur ainsi que sur la Charte Ville Aidante Alzheimer pour rappeler la nécessité d'être tous mobilisés autour des familles confrontées à la maladie et particulièrement impactées par la crise sanitaire.
Où en est-on côté traitement et recherche ?
Nous sommes toujours dans l'attente d'un traitement curatif. Une molécule, l'aducanumab, est en cours d'évaluation aux États-Unis et nous attendons des nouvelles d'ici le printemps 2021, mais même en cas de réponse positive, il faudra attendre plusieurs mois avant qu'elle puisse être disponible en France. D'autres essais sont en cours. Nous espérons accéder enfin, dans les prochaines années, à des médicaments qui permettent de freiner le déclin cognitif des patients.
Le soutien aux aidants semble être enfin reconnu comme un sujet à part entière. Mais ce n'est qu'un début. Quelle est la prochaine étape ?
Le débat s'est intensifié ces dernières années sur l'engagement des proches aidants et si certaines mesures fortes ont vu le jour, le soutien aux aidants reste trop timide et les besoins encore immenses. Il faut définir un cadre national de soutien fort et pérenne, permettant aux aidants de s'y retrouver dans le flot d'informations à leur disposition, de faciliter leurs démarches administratives auprès d'acteurs clairement identifiés. Il faut plus que tout leur permettre de souffler et de s'accorder du répit. Pour cela il est urgent de renforcer le maillage territorial en termes de structures de répit, plateformes et accueils de jour... et de garantir leur accessibilité financière. Il est nécessaire de soutenir le déploiement de dispositifs innovants tel que le modèle québécois de « baluchonnage », que nous défendons sans relâche. Il faut aussi réformer le droit au répit de 500 € prévu dans le cadre de la loi ASV du 28 décembre 2015, aujourd'hui inaccessible et ne couvrant que quelques heures de répit par an ! Enfin, il faut permettre aux aidants de concilier sereinement engagement familial et vie professionnelle.
Quelle place occupe France Alzheimer dans les débats du Laroque et la création de la 5e branche ?
Nous sommes très impliqués dans les concertations actuelles autour de la future stratégie Grand âge et autonomie et la création d'une 5 e branche de la sécurité sociale. Nous avons transmis nos contributions et poursuivons notre interpellation du gouvernement sur de nombreux sujets. Nous sommes particulièrement attentifs aux débats sur le contenu de cette 5 e branche et à sa gouvernance car très attachés à la réalité de terrain et au vécu des familles : quel sera l'impact concret pour elles, au quotidien ? C'est essentiel et c'est toute la force de notre organisation en réseau, au plus près des réalités.
Nous attendons beaucoup de ces différentes échéances gouvernementales, d'autant plus que nous n'avons toujours pas de retours sur l'évaluation du Plan maladies neurodégénératives 2014-2019 et la poursuite de ses enjeux prioritaires.