Forte de sa double responsabilité, Marie-Sophie Ferreira détaille pour Géroscopie l'action de l'Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap) au service du médico-social. Entretien.
« Nous ne prônons pas la création de mastodontes ni la suppression des antennes locales, mais plutôt la mutualisation des fonctions et la création de dynamiques de groupe »
Quel est le rôle de l'Anap ?
L'Anap est une agence publique qui travaille selon plusieurs axes d'intervention. Elle répond aux commandes des directions d'administrations centrales pour accompagner les grandes réformes du secteur. Elle outille les professionnels avec plus de 2 000 ressources en libre accès sur son site Internet et elle les accompagne sur le terrain. L'Anap mène en effet des appuis terrain, qui émanent des établissements ou des agences régionales de santé, pour accompagner un besoin en individuel ou dans une approche collective.
Grâce à cette présence sur le terrain, l'agence a la capacité d'identifier des difficultés et de proposer des outils concrets pour répondre aux besoins des professionnels (la réalisation de guides par exemple). Cette qualité est renforcée par l'expérience métier de ses salariés et du réseau d'experts en établissement que nous mobilisons ; tous s'inscrivent dans une logique de pair à pair.
La direction de la stratégie de l'Anap a également une mission de veille et de prospective pour anticiper et identifier les sujets de demain. Elle peut ainsi souffler aux donneurs d'ordre de nouvelles idées ou productions à réaliser pour rester à la page des besoins. Nous réalisons une veille sur les actions menées à l'international dont chacun pourrait se nourrir et s'inspirer pour améliorer les pratiques en France. Une responsable de la veille et de la prospective va par ailleurs prochainement rejoindre l'Anap pour repérer ce qui se fait dans d'autres secteurs, notamment auprès de start-up, et éveiller notre curiosité sur l'écosystème ou identifier les signaux faibles.
Les établissements ont-ils le temps de vous suivre, car vous faites beaucoup de choses ?
Nous sommes organisés en équipes thématiques et sectorielles. Nous travaillons sur les finances, les RH, le développement durable, les logiques immobilières, la logistique, les enjeux d'organisation interne... À l'hôpital, où les équipes sont plurielles, chacun s'empare des sujets qui l'intéressent. Dans le secteur médico-social, un directeur porte souvent seul toutes les casquettes, les enjeux sont donc différents. Notre ambition est de mettre l'information à leur disposition et de créer le réflexe « Anap ». On essaie de proposer des solutions didactiques, synthétiques et opérationnelles qui répondent facilement et rapidement aux questions qu'ils se posent et en accès libre sur notre site Internet.
Les directeurs s'en emparent-ils effectivement ?
Historiquement, l'Anap est plus connue pour son action sur le sanitaire. Dans le médico-social, le tableau de bord de la performance médico-sociale (désormais repassée en pilotage ATIH) était la première clé d'entrée. Mais depuis maintenant 5 ans, notre activité est plus marquée sur le secteur médico-social : il représente l'une de nos priorités d'actions fortes, inscrite dans notre contrat d'objectifs et de performance (COP).
Aujourd'hui le médico-social représente environ 50 % de notre production et nous avons 130 membres de notre réseau d'experts sur 600 qui sont issus du médico-social. Notre politique de communication est très active pour accompagner les professionnels et venir à leur contact. Webinaires et webconférences, interventions sur des salons et congrès... Il est clair que l'Anap n'est utile que si elle est accessible.
Cela a l'air d'être le cas si l'on en juge par le nombre de téléchargements sur notre site : depuis le début de l'année, les publications de la rubrique « Transformation de l'offre médico-sociale » ont été téléchargées près de 60 000 fois et nous avons en moyenne 1 000 inscrits sur chacun de nos webinaires.
Qu'est-ce qui a initié en 2022 votre volonté de travailler davantage pour le secteur médico-social ?
C'était vraiment une demande de notre conseil d'administration, des directions d'administration centrale notamment de la DGCS et de la CNSA. On nous a demandé dans le cadre du COP de mettre l'accent sur le médico-social pour aider le secteur à travailler ses enjeux de performance. S'en est suivie une réorganisation interne qui a permis de renforcer l'équipe dédiée au médico-social en charge d'accompagner les grandes réformes du secteur et d'outiller les établissements. Elle vient compléter les équipes thématiques (RH, développement durable, finances...).
Quels sont pour vous les enjeux majeurs du secteur aujourd'hui ?
Notre premier axe de travail concerne l'organisation et la performance interne, notamment sur les enjeux RH et de management. Notre réflexion porte sur la manière d'outiller les établissements. Nous mettons de nombreux outils à leur disposition : un kit sur l'attractivité et la fidélisation, des outils de construction de cycles et maquettes organisationnelles, un guide pour mettre en place le télétravail ou encore un autodiagnostic du manager... Pour ne citer que ces exemples.
Le deuxième enjeu est celui de l'investissement dans le secteur, la politique immobilière des établissements. Nous proposons des outils techniques : repères surfaciques sur un projet d'Ehpad, règles de la TVA pour monter un projet immobilier... Nous traitons également beaucoup de sujets qui concernent les fondamentaux de gestion : facturation, recouvrement... Nous menons des travaux autour de la diversification des recettes (tarif modulé pour faire connaître ce dispositif aux gestionnaires, par exemple), mais nous avons aussi un fort intérêt pour les enjeux de qualité de l'accompagnement (sécurisation de la prise en charge médicamenteuse en Ehpad, développement des accueils de jour, des tiers-lieux, la prévention des chutes...). Enfin, la transition écologique est un vaste champ d'action de l'Anap avec des nombreuses ressources à disposition pour accompagner les établissements dans leur transition écologique.
Vient ensuite la question de la place de l'Ehpad sur son territoire qui regroupe la transformation de l'offre et la gouvernance des établissements. Nombre d'établissements sont encore isolés. Or, nous avons la conviction que la logique de groupe est profitable pour les usagers, les professionnels ou pour trouver de nouvelles ressources. On ne prône pas la création de mastodontes ni de supprimer les antennes locales, mais plutôt de mutualiser des fonctions et créer des dynamiques de groupe. Nous accompagnons ainsi la réforme nationale des GTSMS, des projets de fusion, la mise en place de directions communes.
La transformation des Ehpad doit leur permettre de s'ouvrir sur leurs territoires pour demain offrir un bouquet de services, en partenariat propre ou avec d'autres acteurs, en lien avec le domicile, l'hôpital...
La transformation des Ehpad passe aussi par les CRT et nous publierons dans les prochaines semaines un guide pratique, associé à des fiches et documents types avec toutes les étapes pour mettre en place un CRT : de la réponse à l'appel à projets jusqu'au fonctionnement quotidien.
Le besoin d'outils auquel l'Anap répond n'est-il pas le signe d'une complexification réglementaire et normative à l'inverse de la simplification affichée et au détriment de la notion de parcours ?
Nous sommes là pour faciliter la prise en main. Quand on dirige un Ehpad, on a besoin d'outils pratiques. Les directeurs ont beaucoup de responsabilités et ne peuvent, à eux seuls, maîtriser l'ensemble des techniques RH, immobilières... D'où l'enjeu de logique de groupe pour partager ces responsabilités avec plusieurs personnes.
Du côté du domicile, que développez-vous ?
Beaucoup de choses ! Sur la réforme des Saad et des Ssiad, à la demande de la DGCS, nous avons publié des outils interactifs et une série de webinaires, avec plus de 2 000 participants, pour aider au rapprochement juridique. Ils détaillent les impacts RH, fiscaux... L'idée était de créer une base documentaire nationale afin d'éviter à chaque territoire de refaire l'exercice. Cela n'exclut pas ensuite un conseil juridique précis, mais toute la partie préalable d'aide à la réflexion et à la décision est ainsi disponible. Ce volet était très attendu des services et on constate qu'il a été très consulté sur le site de l'Anap.
Nous venons d'y ajouter des outils sur les aspects opérationnels des rapprochements : fiches de postes partagés, stratégie partenariale, projets de services ou d'organisations regroupés...
Vous avez récemment publié un rapport sur le domicile du futur. Quels en sont les enseignements ?
Nous avons réalisé ce guide avec le think tank Matières Grises et nous y présentons des pratiques inspirantes déjà en place, en France ou à l'étranger. L'idée est d'ouvrir le débat sur les pistes d'organisation qui nous permettront de relever le défi du domicile ; nous sommes convaincus, à l'Anap, qu'au vu des enjeux démographiques et sanitaires actuels, l'avenir est au renforcement du domicile, notamment pour l'accompagnement des personnes âgées. Cette publication est un peu en décalage avec nos parutions habituelles car il s'agit d'un rapport d'analyse prospective. On y liste une trentaine de mesures concrètes autour des soins et des accompagnements. On incite par exemple à développer l'HAD, à la systématiser en amont d'une décision d'hospitalisation, ce qui nécessite de créer un réflexe HAD auprès des médecins traitants ; à interroger la question de la iatrogénie médicamenteuse, l'usage du numérique et de l'intelligence artificielle au bénéfice de la simplification du travail des professionnels, à faciliter et reconnaître les parcours des aidants...
Une webconférence de présentation du rapport sera organisée le 5 novembre, avec des témoignages de professionnels pour s'inspirer. Les inscriptions sont ouvertes et toutes les informations sont en ligne sur notre site !
Toutes les publications et ressources sont disponibles sur www.anap.fr