Directeur général de la Fehap, Charles Guépratte a pris la succession d'Antoine Perrin en novembre 2022. Pour Géroscopie, il livre son analyse et ses inquiétudes pour le secteur.
« Nous souhaitons renforcer et accompagner la mise en place d'une "culture" qualité et de politiques de certification »
Vous avez pris la direction générale de la Fehap. Quel est votre état des lieux après quelques mois ?
Je découvre chaque jour un peu plus la variété des établissements et, à travers eux, à quel point le secteur privé solidaire est innovant, souple et réactif. Cependant, il ne faut pas occulter la période chahutée dans laquelle nous nous trouvons. Même si la crise Covid est passée par là, nos établissements sont toujours confrontés à des défis majeurs en matière de financement et de pénurie de ressources humaines.
En premier lieu, le financement par les départements pose question. Même si des engagements ont été pris, leur mise en oeuvre est disparate. Si l'on regarde par exemple l'évolution des tarifs hébergement en Ehpad, pour nos établissements habilités à plus de 50 % à l'aide sociale, ce sont les départements qui sont à la manoeuvre pour définir les tarifs des hébergements. Nous avons mené une enquête et constaté des taux d'évolution des tarifs entre 3 et 4 %. Ces taux d'évolution sont bien insuffisants compte tenu de l'inflation. Pour rappel, les Ehpad privés commerciaux, habilités à moins de 50 % à l'aide sociale à l'hébergement, se voient appliquer un taux de 5,14 %. Face à ces injustices, nous demandons un soutien financier spécifique et une révision du mode de financement.
Le financement, c'est aussi l'évolution des politiques de tarification. La Fehap défend de longue date une approche populationnelle. Il faut changer de paradigme pour adopter une forme de financement au forfait pour soutenir un objectif, individuel ou collectif, plutôt qu'un opérateur. Charge ensuite aux différents acteurs du territoire de s'organiser pour répondre au mieux au besoin.
L'autre urgence concerne les tensions en personnel. Certes elle n'est pas nouvelle, mais elle dure depuis trop longtemps. Cette difficulté n'est pas propre au secteur privé solidaire. L'ensemble du monde de la santé est confronté à cette problématique.
Lors de votre congrès à Bordeaux, vous avez mis en exergue la question de l'engagement. Quelles sont aujourd'hui les priorités ?
Pour les prochains mois, l'innovation et le renforcement de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) sont nos priorités. Il y a aussi la question de la qualité qui nous préoccupe aujourd'hui particulièrement dans un secteur qui a peu d'antériorité sur le sujet. Nous souhaitons renforcer et accompagner la mise en place d'une « culture » qualité et de politiques de certification, comme cela a pu être fait dans le champ sanitaire il y a une quinzaine d'années. Il s'agit là encore d'un véritable enjeu d'attractivité, permettant d'accroître et de restaurer la confiance, tout en valorisant le travail des professionnels.
L'engagement est-il réellement un mode de management propre au secteur privé non lucratif ? Comment le développer ?
L'engagement est la marque de fabrique du privé solidaire, c'est une composante essentielle de notre ADN. Au xixe siècle, notre secteur est né de la volonté de personnes issues de la société civile de s'impliquer dans la cité, de prendre soin des plus faibles et d'accompagner avec dignité nos anciens. Dès l'origine, il a été pensé et créé dans une logique d'engagement bénévole. Cependant, dans un monde incertain et générateur d'anxiété, dans le sillage de multiples crises, nous souhaitons lui donner un nouvel écho. La Fehap a toujours promu l'engagement, qu'il soit de gouvernance, d'accompagnement et dans le cadre du service civique. Nous soutenons son expansion mais aussi menons des réflexions pour renforcer son rôle au sein des établissements, et au sein de nos instances.
Où en sont les discussions sur l'extension d'une nouvelle convention collective unique ?
Au sein d'Axess, nous continuons de négocier avec les organisations syndicales pour faire converger les conventions collectives du secteur privé non lucratif. Un des objectifs est de renforcer l'attractivité du secteur privé solidaire. La convention collective unique et étendue (CCUE), outre la question de la rémunération, doit également relever le défi de l'évolution des métiers pour qu'une aide-soignante puisse connaître une évolution de carrière, développer de nouvelles compétences et passer plus facilement d'un secteur d'activité à un autre.
Fin février, à l'occasion de la conférence salariale, le gouvernement a réitéré son soutien à la CCUE avec un financement à hauteur de 500 millions d'euros. À cette occasion, nous avons également appris que des financements complémentaires pourraient être envisagés, en cas de besoin.
Axess propose d' accélérer le processus de négociation en faveur d'une CCUE à toute la branche professionnelle pour que des réponses concrètes puissent être apportées dès 2023 en ce qui concerne notamment la revalorisation des professionnels exclus des dernières mesures (Laforcade, Ségur...) et des bas salaires.
Vous avez été reçu au ministère pour évoquer les difficultés budgétaires actuelles. Il semble que les réponses se fassent attendre. On a le sentiment d'un stand-by général...
Le ministre et le gouvernement connaissent les difficultés de nos établissements et disent vouloir les soutenir. Cependant, malgré des engagements oraux, nous constatons une absence de méthode et de calendrier.
Le coeur du problème se situe au niveau des départements. Or, l'État ne peut les contraindre à voter des taux d'évolution du tarif hébergement en adéquation avec l'inflation. Les établissements se retrouvent donc entre deux acteurs qui se renvoient mutuellement la balle, sans pour autant trouver de solution pour les établissements.
Comment les Ehpad adhérents à la Fehap font-ils face à cette situation économique particulièrement dégradée ?
Ils font face, mais à quel prix et pour combien de temps ? Nos adhérents continuent d'accueillir et d'accompagner des personnes âgées, mais les déficits se creusent et rendent la gestion des établissements très difficile. L'attente est forte face à l'absence de mesures pour supporter l'inflation. J'ai pris comme exemple plus haut la faible évolution des tarifs hébergement, notamment par rapport au secteur privé commercial, mais je pourrais également parler des mesures du Ségur qui sont sous-financées et participent à creuser les déficits des établissements.
Au cours de l'examen de la loi de financement de Sécurité sociale pour 2023, la Fehap avait alerté le gouvernement sur la trop faible évolution de l'Oondam-Médico-social par rapport à l'inflation et les besoins qui augmentent avec le vieillissement de la population.
Que pensez-vous de la réponse de l'État (Caisse des dépôts) suite au scandale Orpea ?
La Fehap n'a pas à prendre position sur la décision de la Caisse des dépôts et consignation (CDC) d'entrer au capital d'Orpea et de devenir majoritaire.
Tous les acteurs ont leur place et répondent à un besoin lié au vieillissement de la population. La question du grand âge est beaucoup plus large que les points soulevés par l'affaire Orpea. La Fehap porte le développement d'une offre d'accompagnement des personnes âgées qui répond aux besoins et aux désirs exprimés par les personnes. Il faut faire évoluer les Ehpad, mais aussi développer de nouvelles formes d'accompagnement telles que l'habitat inclusif, les colocations, etc.