Ancien directeur général de l'Agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine, Michel Laforcade s'est vu confier par le Premier ministre une mission sur l'attractivité des métiers de l'autonomie. Pour Géroscopie, il en dessine les contours. Interview.
« On me demande d'agir, d'agir et d'agir ! »
Vous venez d'être missionné par le Gouvernement pour déployer le plan « Métiers ». Quel est l'ambition de ce travail ?
Ma mission porte sur le renforcement de l'attractivité des métiers de l'autonomie, à la fois en Ehpad et à domicile. Je n'ai pas de rapport à écrire, il y en a eu bien assez comme cela, et de très bonne qualité comme le rapport Libault et le rapport El Khomri. Je dois pour ma part établir une liste d'actions déjà réalisées, une liste d'engagements fermes émanant de plusieurs partenaires. Et pour ce qui n'aura pas été mis en oeuvre dans les six mois, je proposerai des préconisations sur les actions prioritaires à mener. Je mets en mouvement, j'accompagne ce qui a déjà débuté comme le plan Métiers lancé par Brigitte Bourguignon. Mon objectif est d'accélérer la réalisation opérationnelle.
Quelles sont justement les actions prioritaires à mener ?
L'aspect financier tout d'abord. J'ai ainsi démarré par des négociations autour de la logique du post Ségur. La première concerne son extension aux frontières de l'hôpital, dont les Foyers d'accueil médicalisés (FAM). Tous les autres groupes (Ssiad, secteur du handicap...) doivent ainsi être examinés car la question financière, dont font partie les revalorisations salariales, reste bien évidemment le premier point d'attractivité de ces métiers. Pour ne pas trop perdre de temps, nous travaillons parallèlement sur d'autres dimensions, dont la manière d'augmenter le nombre de candidatures dans les écoles d'infirmier(e)s, et d'aides-soignant(e)s. Plus on donnera envie de s'engager dans ces métiers, moins il y aura de postes vacants, meilleure sera la qualité de vie pour ceux qui les exercent actuellement. C'est un cercle vertueux. Or on observe l'opposé à l'heure actuelle.
Comment améliorer la formation précisément ?
Par l'apprentissage notamment. Notre secteur est peu engagé dans cette voie, alors que depuis la loi de 2018, l'apprentissage s'est considérablement développé dans presque tous les autres secteurs, jusqu'aux masters et écoles d'ingénieurs. Nous devons aussi faciliter les parcours de formation, accompagner sur le long terme des salarié(e)s qui veulent progresser, devenir aide-soignant(e), puis infirmier(e). Le tutorat est une réponse, la validation des acquis par l'expérience (VAE) en est une autre. Il va falloir s'intéresser à la question de la mobilité, dans la réalité du tissu rural, notamment pour les personnes qui n'ont pas de véhicule, ou en ont un défectueux.
Vous évoquiez également la qualité de vie au travail ?
En effet. Et cette question est renforcée pour les personnels exerçant un temps partiel. Certains le souhaitent, d'autres le subissent. Il s'agit donc d'évaluer comment éviter les coupures en milieu de journée. Des expériences très intéressantes ont déjà été réalisées en Ehpad comme à domicile. L'objectif est d'essaimer des réalisations concrètes. Nous sommes dans une logique d'action, qui passera par des expérimentations sur plusieurs territoires, par des conseils généraux, des fédérations d'employeurs qui, je l'espère, accepteront de travailler avec nous, de s'engager à former davantage. Si l'expérimentation est évaluée positivement, les pouvoirs publics devront s'engager à les étendre et les généraliser. Car je ne veux plus de ces expérimentations évaluées positivement et qui ne font pas taches d'huile. Mais il faut rester optimiste. Regardez par exemple les plateformes territoriales d'appui et de coordination dont celle de Nouvelle-Aquitaine. Elles sont en train d'être généralisées, et c'est très inspirant. Mais nous devons veiller à ne pas laisser trop de temps entre l'expérimentation et l'essaimage.
Quel est votre calendrier ?
La mission vient de démarrer. Le mois de janvier a été consacré aux négociations mais nous avons déjà constitué une équipe opérationnelle. Quatre personnes travaillent à temps plein sur l'identification d'actions à proposer, d'acteurs à mobiliser sur la base du volontariat. Il est clair qu'il va falloir lever quelques contraintes financières. On ne m'a pas demandé de mener tout cela à moyens constants. Mais tout ne passe pas par des moyens supplémentaires. L'apprentissage par exemple, est très peu utilisé alors que les dispositifs existent.
Comment allez-vous procéder pour remplir les écoles d'infirmier(e)s, d'aides-soignant(e)s ?
Parcoursup a très bien fonctionné pour les IDE. Le nombre de personnes qui se présentent au concours a radicalement augmenté. Il faut donc trouver l'équivalent pour les aides-soignant(e)s, dont plus de 50 % sont bacheliers. Nous croyons beaucoup à la création d'un guichet unique sous forme de plate-forme pour rendre toutes les informations accessibles et réaliser son inscription. C'est d'ailleurs l'une des excellentes propositions du rapport remis par Stéphane Le Bouler[1] fin janvier.
Le médico-social s'est-il emparé du dispositif « Transitions collectives » ?
Je n'en ai pas l'impression. Je n'ai pas d'informations objectivées. Mais c'est certainement une piste à creuser. Il faut examiner les leviers à mobiliser car il y a en effet certainement des actions à mener.
L'âgisme ambiant, qui a émergé autour de la vaccination, n'est-il pas délétère pour l'attractivité des métiers...
C'est inconscient et dramatique, et ne correspond surtout pas à la réalité. Il y a effectivement besoin d'agir sur l'aspect culturel. Malheureusement cela n'évolue que très lentement mais ce n'est pas une raison pour ne pas mener ce combat. Dans ma lettre de mission, je dois aussi réaliser des propositions en terme de communication pour ces métiers. Je ne crois pas efficace de communiquer pour communiquer mais nous avons quand même des exemples significatifs. L'armée et la gendarmerie, comme révélé dans le rapport El Khomri, communiquent avec de très bons résultats. Je ne compare bien sûr pas les métiers, mais les méthodes. Une directrice de Saad me suggérait par exemple de mener une campagne de communication avec des auxiliaires de vie sociale exclusivement masculins pour ouvrir ces métiers aux hommes. Il nous faut bousculer les stéréotypes et proposer des témoignages réels.
Pourquoi ces campagnes n'ont-elles pas déjà été lancées ?
Moi je suis content que cela se fasse maintenant et de pouvoir m'en occuper.
Cette crise sanitaire serait presque bénéfique sur un plan managérial ?
Il ne faut pas se priver comme dans toutes crises d'observer les changements et évolutions qu'elle provoque. J'étais encore aux manettes d'une ARS l'été dernier. Je peux donc témoigner des nombreuses actions innovantes générées par la crise. Des projets qui avaient beaucoup de mal à émerger et qui, là, ont trouvé rapidement des voies de mise en oeuvre, des gens de bonne volonté. Il ne faudra pas oublier tout cela. En avril dernier par exemple, en une semaine nous avons réalisé un million d'actes de téléconsultation, alors que durant toute l'année 2019, nous n'en avions fait que 600 000. J'espère que cela va rester. Et puis nous observons une forme de solidarité qui a fait ses preuves, vers une société du prendre soin. Des retraités se sont manifestés pour revenir aider dans les Ehpad, les hôpitaux.
Où en est la concertation sur l'avenant 43 de l'aide à domicile ?
Brigitte Bourguignon a annoncé la revalorisation des salaires dans le secteur du domicile. Tout ceci est en bonne voie. Il s'agit du 1er étage d'une attractivité nouvelle autour d'une revalorisation financière substantielle. C'est essentiel car il y a encore des personnes qui vivent en-dessous du SMIC, notamment à cause des temps partiels, dramatiques lorsqu'ils sont subis. Mais ce domaine n'est pas de mon ressort. Quant à moi, je me sens très libre pour tous les autres aspects de l'attractivité des métiers. On me demande d'agir, d'agir et d'agir ! Je ne me sens nullement bridé.
Quelles sont les réelles perspectives pour la loi Grand âge et autonomie ?
Il y a le temps législatif, le temps politique, le temps du Covid qui a repoussé beaucoup de choses, et pas seulement dans ce domaine. Cette loi verra le jour. Je ne sais pas quand mais c'est remarquablement expliqué dans le rapport Libault. Quel qu'en soit le périmètre, elle est inévitable, pour des raisons démographiques et qualitatives. Personne n'en fera l'économie.