17/02/2022  -  Rapport  12692

Orpea, l'immobilier comme cash machine

Sollicité par la CFDT et la CGT, un expert international des circuits financiers publie un rapport sur la politique d'investissements immobiliers du groupe Orpea et ses montages destinés à générer des profits considérables.

Pendant l'enquête de Victor Castanet sur Orpea (et son business model), la CFDT Santé-sociaux et la CGT Santé action sociale ont sollicité le cabinet Cictar (Center for International Corporate Tax Accountability and Research), expert des finances de l' aged care à l'échelle mondiale - basé en Australie, il est notamment financé par des cotisations de syndicats de plusieurs pays.

Lors d'une conférence de presse ce 24 février, les deux organisations syndicales et Jason Ward le principal analyste de Cictar ont présenté le fruit de cette enquête : un rapport sur les circuits financiers du groupe Orpea, dont l'activité se déploie de façon exponentielle sur le plan européen et international.

Le rapport décrit comment il siphonnerait ses Ehpad pour financer des investissements immobiliers jusqu'à devenir un « empire immobilier » européen, et ce par le biais notamment de 40 filiales luxembourgeoises, dont 37 ne sont pas répertoriées dans les documents officiels et détiendraient des dizaines de millions d'euros d'actifs.

Le portefeuille immobilier d'Orpea, d'une valeur de 7,4 milliards d'euros, a été constitué par endettement, et les coûts financiers ont augmenté deux fois plus vite que les revenus. Cictar prend ainsi l'exemple (juteux) du groupe allemand Residenz Gruppe de 36 maisons de retraite, racheté par Orpea en 2015 via un crédit-bail, outil privilégié dans sa politique d'acquisition. Parallèlement le personnel de première ligne y a été réduit de 10%.

Le rapport le rappelle, le Parquet national financier a ouvert une enquête en 2017 pour complicité de fraude fiscale et blanchiment aggravé sur le groupe Orpea. En cause : le montage financier lui ayant permis d'acheter certains Ehpad en France. L 'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) a mené en mars 2021 une perquisition à son siège de Puteaux à la recherche de sociétés écrans, d'intermédiaires offshore, de rétrocommissions....

« Un modèle mondial alarmant »

Les responsables syndicales Mireille Stival (CGT) et Evelyne Rescanières (CFDT) ne s'avancent pas à parler d'illégalité, mais, dans un communiqué de presse du 22 février, « condamnent avec force » un « comportement totalement immoral » et s'interrogent sur les énormes flux immobiliers, ainsi que « sur les nombreuses opacités des opérateurs financiers et de leurs circuits ». Il est urgent, disent-elles d'ouvrir d'une enquête parlementaire qui permettrait, en plus de la mission conjointe IGAS/IGF, « de faire toute la lumière».

Jason Ward déclare, lui, qu'Orpea représente « un modèle mondial alarmant de grands opérateurs de soins à but lucratif. Les fonds publics ainsi que les sommes payées par les résidents et leurs familles - destinés à soutenir les plus vulnérables - sont détournés des soins pour générer des profits. La pandémie mondiale a brutalement révélé le problème structurel sous-jacent et maintenant les demandes pour plus de transparence et de responsabilité ne peuvent être ignorées. »

La CFDT, la CGT et le cabinet Cictar demandent un examen immédiat des finances et des performances opérationnelles d'Orpea, une plus grande transparence financière, des contrôles sur l'utilisation de l'argent public, ainsi que des garanties en matière de droits des travailleurs et de protection des syndicalistes ou lanceurs d'alerte des personnels .

Avant de rendre public son rapport, Cictar a soumis une liste de questions à Orpea qui n'y a pas répondu. Le groupe a annoncé, mercredi, qu'il reportait au 30 avril au plus tard la publication complète des comptes 2021 initialement prévue à la mi-mars, disant attendre la mise à disposition de différents rapports et premières conclusions des enquêtes externes et indépendantes, prévues respectivement mi-mars et mi-avril.