Pourquoi est-il toujours aussi difficile de parler de la mort en Ehpad ? « Parce que notre société est empreinte d'une culture médicale » s'exclame Ariane Nguyen, psychologue clinicienne en établissement pendant 6 ans.
Parler de la mort ne tue pas !
« Pour beaucoup, soigner, c'est guérir, sauver des vies. Mais quand la guérison n'est pas possible, les professionnels se sentent inutiles, ne savent pas comment accompagner la personne ou ses proches. On ne parle pas ou encore trop peu de la mort en établissement. » Or si la question n'a pas été travaillée, élaborée, par les individus comme les équipes, elle ne peut pas s'incarner. « Si le médecin s'associe au psychologue et porte ou impulse le sujet de la mort, alors l'ensemble de l'équipe deviendra progressivement plus autonome pour gérer cette question. Si ce n'est pas le cas, le psychologue est mandaté d'office alors qu'il n'a pas toujours noué de liens intimes avec le résident ou sa famille ».
L'annonce du décès, une étape délicate
Il n'est pas rare que le psychologue devienne de facto, « l'ange de la mort », celui chargé d'annoncer le décès d'un résident. « Les soignants disent ne pas se sentir à la hauteur, craignent de ne pouvoir répondre aux questions des familles, ne pas être en mesure d'assumer cette responsabilité, manquer d'éloquence. Pourtant l'affection qu'ils portent aux résidents, la relation construite au fil des mois suffit à elle seule à justifier cette posture ». Les soignants se placent dans une position d'évitement et génèrent parfois des situations ubuesques, « telle cette femme assistant à la toilette mortuaire de sa voisine sans que rien ne lui soit annoncé », ajoute Ariane Nguyen. « Elle sentait bien que la situation était inhabituelle et s'est dite soulagée quand des mots ont pu être posés ». Il semble donc aujourd'hui, et particulièrement en cette période d'épidémie, nécessaire d'aider les soignants à prendre ces responsabilités, à devenir plus autonomes.
Accompagner la mort pour soutenir la vie
Marie de Hennezel, psychologue, l'avait affirmé avec force conviction, « Dès lors qu'on donne de l'importance à la mort, on en donne à la vie ». En 2018, la Fondation Korian s'est emparée de cette question. Elle a mené un travail d'analyse dans ses établissements où elle a constaté que le protocole consistait à cacher les corps de la vue des vivants, sans vraiment mesurer les effets produits sur les résidents. Forte de ces enseignements, elle a publié un Livre blanc La mort en établissement : un tabou à dépasser, pour aider les équipes à prendre conscience de la violence de ces procédures et faire évoluer les pratiques. Si l'angoisse de la mort est proportionnelle au déni, il semble que l'instauration d'une haie d'honneur pour saluer le départ d'un résident ou d'un autel à la mémoire des disparus permettent à chacun de se saisir, ou non, du décès de la personne. Pour Ariane Nguyen, « associer les soignants, c'est aussi leur permettre s'ils le souhaitent de se rendre aux obsèques. Les familles sont très reconnaissantes et touchées par notre présence dans ces moments douloureux, et nous renvoient que notre travail a du sens. C'est très important pour les équipes ».