Le Pr Claude Jeandel, président du Conseil National Professionnel de Gériatrie et conseiller du Président du Conseil d'Administration de la Fondation Partage & Vie, livre ici une analyse sensible sur les mesures à adopter en EHPAD. Ces procédures seront appliquées dans les établissements Partage & Vie en cohérence avec la politique de déconfinement décidée depuis le 11 mai dernier.
Partage & Vie prône « Du tact et de la mesure »
"Les directives d'interdiction des visites puis de confinement individuel en chambre, instaurées respectivement les 11 et 28 mars au sein des EHPAD, sont désormais levées mais imposent néanmoins à ces derniers de respecter scrupuleusement les règles d'hygiène et les mesures « barrières » afin de réduire les risques de reprise épidémique.
Face à ce risque indéniable, il convient, par souci de symétrie, de considérer l'impact immédiat et à plus long terme de la distanciation relationnelle et sans doute de la distanciation sanitaire auxquels ont été exposés les résidents d'EHPAD après 2 mois de telles mesures. Affects dépressifs, désafférentations sensorielles, syndromes d'immobilisation et leur cortège de complications (fonte musculaire, troubles de l'équilibre...) représentent autant de conséquences susceptibles d'accélérer la perte d'autonomie, d'aggraver la dépendance et de constituer des facteurs de surmortalité à court terme.
Les gestionnaires d'EHPAD et leurs équipes se trouvent ainsi confrontés à deux exigences contradictoires, l'une sécuritaire, s'appuyant sur l'application du principe de précaution, la seconde, privilégiant le respect de la liberté et de l'autonomie, mais assujettie à une certaine prise de risque qu'il s'agit finalement de pouvoir évaluer.
Cette difficulté dans la prise de décision en EHPAD n'est pas spécifique à une telle situation épidémique puisqu'elle est de même nature dès lors qu'il s'agit d'indiquer ou non une contention physique, le recours à une renutrition entérale, à une hospitalisation, à des soins palliatifs..., le bénéfice d'une de ces mesures devant toujours être comparé aux risques de ne pas y recourir mais également aux effets potentiels négatifs inhérents à la mesure.
La difficulté réside dans le fait que le recours à la participation du résident dans la prise de décision et l'obtention de son consentement libre et éclairé sont le plus souvent aléatoires , plus de 80 % des résidents d'EHPAD présentant des troubles de la cohérence et des fonctions psychiques et/ou cognitives altérant leurs facultés de prise de décision.
Comment gérer la probabilité d'un risque en laissant un peu de place au toucher : du tact et de la mesure ou comment concilier « distanciation », « barrières » et « attachement » ?
A la demande du résident, et dans le cas où le résident ne peut pas l'exprimer formellement en première intention, après sollicitation de son avis, la visite d'un proche peut-être organisée et tous s'accordent pour considérer le respect des mesures d'hygiène et gestes « barrières » (lavage des mains, port du masque 80 %, distanciation de sécurité) comme le pré-requis sécuritaire à toute reprise des visites en EHPAD.
Pour autant, si les canaux de communication vocaux et visuels peuvent demeurer opérants et permettre de recréer ce lien authentique rompu pendant plusieurs semaines, même s'il a pu être maintenu sous une forme virtuelle grâce aux progrès technologiques, ils ne peuvent se substituer au contact charnel et au ressenti procuré par le toucher. En effet, les vertus apaisantes démontrées du toucher massage dans le soulagement de la douleur nous rappellent la place importante du toucher thérapeutique dans le soin.
Le concept de toucher thérapeutique avec contact physique s'inscrit dans trois catégories :
- le toucher thérapeutique visant au confort physique et psychique du patient,
- les formes techniques de toucher thérapeutique, tels le massage et le toucher thérapeutique visant à communiquer la sollicitude du soignant à l'égard du patient.
- Le toucher à visée affective pour offrir du soutien, du réconfort ou qui accompagne l'information verbale peut être défini comme un « toucher non nécessaire » pouvant induire des émotions ou encore pour d'autres auteurs comme un toucher « expressif », qui « prend soin » et non orienté vers une tâche. Ce toucher affectif exerce des effets positifs sur l'estime de soi des personnes âgées et des effets bénéfiques sur les émotions.
Or ces dernières qui impliquent le cortex frontal demeurent longtemps préservées dans les formes modérées voire avancées des maladies neuro-évolutives qui concernent une grande majorité des résidents d'EHPAD. Ainsi, à l'instar de la théorie de l'attachement qui joue un rôle essentiel dans le développement psychique et émotionnel de l'enfant, on peut considérer que le sujet âgé atteint de démence cherche dans une relation d'attachement à obtenir de la part de la personne qui le soigne une réponse « contenante », notamment par le toucher, pour répondre à ses besoins de sécurité, d'unité corporelle et psychique, semblable à ce qu'il a pu recevoir autrefois de sa mère.
Enfin, il convient de rappeler que le couple âgé s'appuie de moins en moins sur les mots et de plus en plus sur la sensori-motricité (holding), la perception visuelle, le contact et le soutien physique dans une communication silencieuse analogue à celle de la mère et de son nourrisson.
Sur la base de ces considérations, nous appliquons une telle démarche au sein des établissements de Partage & Vie selon la séquence et le protocole suivant :
Préalables à mise en présence :
- pour le proche visiteur, validation de l'auto-questionnaire, friction hydro-alcoolique (FHA) des mains, prise de température (en l'absence de prise d'anti-pyrétiques dans les 12 heures qui précédent) et port du masque chirurgical dès son arrivée dans l'établissement,
- pour le résident : port du masque chirurgical.
Mise en présence en respectant la distance de sécurité de part et d'autre d'une paroi en plexiglas munie d'une ouverture permettant le passage d'une main.
Nouvelle FHA pour le visiteur et FHA pour le résident avant contact manuel puis après le contact manuel. La démarche est explicitée au préalable au membre de la famille et supervisée par un soignant. Le temps de prise de contact et d'échange n'est pas soumis à contrainte particulière.
L'impact d'une telle démarche doit faire l'objet d'une évaluation prochaine par nos psychologues.
Au-delà de cette démarche, nous envisageons d'assouplir ces mesures selon l'approche personnalisée suivante.
Ainsi, dans l'hypothèse où le port du masque constituerait une entrave à une communication verbale ou labiale (« sur les lèvres ») efficientes, ou encore dans l'éventualité d'un port de masque inapproprié, le recours au port d'une visière pourrait être envisagé dans les mêmes conditions. Par ailleurs, le maintien de la séparation physique que constitue le plexiglas pourrait être levé après un apprentissage dès lors que les consignes seraient comprises et respectées. Enfin, pour les résidents les plus dépendants ne pouvant se déplacer, les visites « au lit du résident » pourraient être envisagées en recourant au port de la sur-blouse en complément du masque, le toucher pouvant exceptionnellement être permis sans distanciation physique, dès lors qu'il est précédé et suivi d'une FHA pratiquée dans les règles de l'art et qu'il est supervisé par un soignant.
Quoiqu'il en soit, et par exigence de respect de l'autonomie, il conviendra toujours de s'enquérir et donc d'évaluer les capacités à consentir et l'aptitude à la prise de décision du résident, le consentement demeurant un des piliers de l'éthique médicale. Il apparaît donc indispensable de procéder à l'évaluation précise des quatre actes nécessaires à l'élaboration d'un consentement (restitution de l'information par le patient afin d'établir ce qu'il a retenu des informations transmises, évaluation de sa compréhension des différentes options thérapeutiques proposées et de leur rapport bénéfice/risque, prise de décision finale et formulation de son choix)."
Pr Claude Jeandel