Le mois dernier, j'ai évoqué la nécessité de penser local. La crise de la Covid a aussi remis le local au centre de la vie. D'un coup, l'idéologie de la mondialisation heureuse, du libre-échange, des frontières à tout vent et du mouvement a pris un sacré coup de vieux...
Penser seniorisation, c'est aussi penser le local
A mesure que la pandémie s'est accrue, de plus en plus de gouvernements se sont résolus en Europe à fermer ou mieux contrôler leurs frontières. Décision difficile pour des leaders qui sont pour la plupart convaincus que le progrès, la modernité et le développement font étroitement corps avec la mondialisation et l'ouverture au monde.
Peut-être faudrait-il réinventer la relation au monde ? Non pour la nier, mais pour l'inscrire dans le maintien d'une relation au local, aux racines, au lien avec les autres qui vivent en proximité. Simone Weil avait écrit durant la guerre un livre, L'Enracinement, qui évoquait la nécessité « de satisfaire aux besoins terrestres de l'âme et du corps de chaque être humain autant qu'il est possible ». Cette satisfaction passe beaucoup par le lien, le sentiment d'être en sécurité, le rapport simple à l'autre.
Le local dans le domaine de la vie des gens, y compris des plus âgés, c'est aussi de privilégier les ressources de proximité, en termes alimentaires bien sûr, mais aussi de compétences sociales et relationnelles diverses : bénévoles et tissu associatif dense, mais aussi équipements en santé, soignants et praticiens reconnus de médecines complémentaires et alternatives, ou encore lieux scolaires, lieux de socialisation et lieux d'accueil et enseignants, formateurs et animateurs qualifiés...
Le local, c'est bon pour la santé !
Les maisons de retraite et l'ensemble des lieux d'accueil des plus âgés sont aussi des espaces où le local a tous son sens. D'abord en ce qui concerne les emplois : moins les professionnels font de route pour venir et plus leur qualité de vie sera maintenue. Et leur pouvoir d'achat aussi... Ce sont des emplois et des personnes qui contribuent aussi à la dynamique économique et sociale locale. Cela veut dire qu'un lieu d'accueil est également un espace d'activités et d'emplois qui contribue à la dynamique locale et à l'aménagement du territoire : écoles, centres de formation, commerces....
Par ailleurs, la littérature scientifique sur des dizaines d'années montre l'effet de l'environnement, du beau, de la nature, du lien social sur les malades et sur l'évolution de leur état de santé. Installés devant un beau paysage, ces patients bénéficient d'une meilleure qualité de vie et coûtent en définitive moins cher à la collectivité. On en revient au cercle vertueux du care qui est favorable à la planète. Le beau fait vraiment partie intégrante du care. A mon sens, le discours écologique oublie trop souvent les notions de beau et de plaisir. Les mesures, les normes, les règlements proposés et imposés sont ressentis comme des contraintes car le discours dominant sur l'environnement est généralement négatif, conçu pour donner mauvaise conscience. Comment mobiliser les personnes et les impliquer directement dans la dynamique ? Voilà l'enjeu de la transition écologique et démographique. Pourquoi se mobiliser sinon pour le beau, pour la beauté du monde ?
@Guerin_Serge
Professeur de sociologie à l'Inseec GE, directeur du MSc « Directeur des établissements de santé », président de l'Agence des MCA, auteur de Les quincados , Calmann-Lévy