Dans le n° 104-mai 2019  -  Éthique  10446

Peut-on installer une caméra de vidéosurveillance dans une chambre d'EHPAD ?

Face à de possibles maltraitances ou négligences, est-il légitime de placer un système de vidéosurveillance dans une chambre d'EHPAD ? La question fait débat et divise. Si l'objectif des familles est de protéger le résident, le recours à ce dispositif vise le droit à l'image des salariés de la structure, ainsi que le rapport de confiance dans la prise en charge.

Dans l'impossibilité d'être présents 24 heures sur 24 dans la chambre de son proche âgé, la famille peut décider d'y installer des caméras de surveillance. Cela lui permet de le « surveiller » et de se rassurer sur la qualité des soins administrés. Néanmoins, dès lors que des professionnels sont appelés à intervenir dans la chambre d'un résident, l'usage des nouvelles technologies doit faire l'objet de certaines précautions. Même si la chambre en EHPAD relève de l'intimité et de la sphère privée, il faut considérer la protection du droit à l'image des salariés filmés sur leur lieu de travail.

Cadre juridique du statut de la chambre en EHPAD

Toute personne physique peut décider d'installer des caméras de surveillance au sein de son domicile pour en assurer la sécurité. Lorsque ces caméras ont pour objet exclusif de filmer l'intérieur du domicile, leur mise en place n'est pas soumise aux dispositions de la loi « Informatique et Libertés », ni à celles du code de la sécurité intérieure. En conséquence, lorsqu'un particulier installe des caméras à son domicile à des fins personnelles, il n'est soumis à aucune déclaration auprès de la Commission nationale informatiques et libertés (Cnil)1 ou autorisation de la préfecture, contrairement à l'installation de système de vidéosurveillance dans les lieux publics. Toutefois, il n'existe pas de réglementation spécifique relative à l'EHPAD. La chambre en EHPAD est un lieu de vie privatif 2, sans avoir la qualité de domicile. Le résident jouit d'une chambre mais l'établissement en conserve la disposition dans les conditions prévues au règlement de fonctionnement. On parlerait de domicile si un contrat de location était établi entre le résident et la structure, ce qui n'est pas le cas d'un contrat de séjour.

Le respect du droit à l'image du personnel

Dès lors que le personnel est amené à intervenir dans la chambre d'un résident pour lui apporter de l'aide ou des soins, certaines règles doivent être respectées quant à l'usage de caméras. Ces professionnels disposent d'un droit exclusif sur leur image (photos ou vidéos) 3 et sur l'utilisation qui pourrait en être faite. Ils peuvent ainsi s'opposer à la fixation, conservation ou diffusion publique d'images dès lors qu'ils n'ont pas donné leur autorisation. Ces salariés doivent- donc être informés de la présence de tout dispositif de vidéosurveillance présent dans la structure 4. Leur consentement devra également être recherché. Il est possible pour cela de faire signer aux salariés un avenant à leur contrat de travail dans lequel ils donnent leur accord à être filmés.

Si un résident venait à installer une caméra dans sa chambre, avec l'accord de la Direction, il serait cependant dans l'obligation de ne pas filmer les salariés en permanence pendant l'exercice de leur activité professionnelle. Pour s'assurer de cela, le directeur de l'EHPAD doit privilégier le dialogue avec l'usager et ses proches afin de leur faire comprendre que la vidéosurveillance peut s'avérer perturbante pour les personnels soignants. L'objectif est d'aboutir à un accord pour « tourner » la caméra, la couper et ou obstruer son champ de vision afin de ne pas perturber le travail des salariés et de préserver l'intimité des soins. L'établissement peut également informer par écrit les usagers qui disposent de caméra de surveillance du refus des salariés d'être filmés. Leur intervention sera alors subordonnée à la mise hors service du dispositif. Enfin, toujours dans le souci de protéger le droit à l'image des salariés, une annexe au contrat individuel de prise en charge pourrait préciser que l'usager et ses proches s'engagent à ne pas utiliser ou diffuser les images. Si un dispositif de vidéosurveillance est installé dans la chambre d'un résident et ne respecte pas la règlementation en vigueur, il est possible de saisir les services de police, le procureur de la République ou le tribunal civil sur le fondement d'une atteinte à la vie privée et de l'enregistrement de l'image d'une personne à son insu dans un lieu privé. Il est également possible de saisir la CNIL et de demander l'arrêt de l'atteinte ainsi qu'une réparation du préjudice subi par l'octroi de dommages et intérêts.

Rassurer les équipes soignantes

Devant le récent cas d'une résidente victime de violences dans un EHPAD du Val de Marne, il est essentiel de dialoguer avec les équipes soignantes qui pourraient avoir l'impression que les familles ne leur font pas confiance, se sentir épiés ou contrôlés, dans l'accomplissement de leur mission. Aussi, est-il nécessaire de les rassurer sur le fait que la démarche du dispositif est de protéger l'usager et non de surveiller les actes des professionnels. Il serait également opportun d'échanger avec les familles désireuses d'installer des dispositifs de vidéosurveillance pour restaurer une relation de confiance, visiblement rompue. Devant la multiplication des scandales, le Québec a autorisé, par voie législative en mars 2018, la possibilité pour les familles de placer une caméra de surveillance dans la chambre de leur proche en EHPAD s'ils ont des suspicions de mauvais traitements. La règlementation québécoise impose ainsi qu'un pictogramme soit placé à l'accueil pour dire que certaines chambres peuvent être équipées d'une caméra, sans pour autant que le personnel ne sache lesquelles.

Reste un questionnement éthique : la vulnérabilité d'une personne permet-elle pour autant que l'on puisse l'observer, via des caméras, dans son intimité, sa vie quotidienne ainsi que pendant les soins ?

Anne-Sophie Moutier

Juriste, Consultante, Formatrice en droit de la santé et médicosocial

http://www.annesophie-moutier.fr

01/10/2024  - Ce qui se voit...

Luxe, calme et propreté

S'il est bien une condition indispensable au bon fonctionnement des Ehpad, c'est à n'en pas douter l'hygiène des locaux. Nettoyage, bionettoyage, hygiène du linge... Les consignes et protocoles ne manquent pas pour assurer l'organisation et l'évaluation de ces tâches quotidiennes. Et pourtant, ce travail reste invisible. Ou plutôt, il n'est visible que quand il n'est pas fait. Paradoxe ?
01/10/2024  - Billet

Les vieux aussi !

Serge Guérin me pardonnera de paraphraser le titre de son dernier ouvrage en date* pour titrer mon billet. Vous l'avez lu ou en connaissez le thème : bousculer les idées reçues sur le désintérêt des « vieux » en matière de gestes écologiques et solidaires. Tribune pour répondre à ceux qui pensent que ces générations issues de la deuxième guerre mondiale et des années cinquante ont abusé des trente glorieuses et se moquent des incidences climatiques et générationnelles futures. Elles pourraient pourtant donner des leçons d'économies à beaucoup en matière d'eau, de déchets et de courage. Une anecdote a fini de me convaincre. Récemment par une belle journée je me dirigeais vers la déchetterie suite à des travaux de jardin et je vis sur le bord de la route une personne âgée, courbée et tirant deux chariots utilisés pour les courses. Je me fis la remarque du courage de cette personne sachant que le commerçant le plus proche était à bonne distance. Sur la route de mon retour, je la revis. Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'en fait cette dame âgée ramassait des deux bords de la route les déchets que les « clients » de la déchetterie laissaient tomber de leurs remorques en roulant. Je ralentis pour en avoir la certitude et raconter ce vécu à l'ami Serge. Plus encore, je décidais en ces temps riches d'à priori primaires d'en faire le thème de ce billet. Méfions-nous de ces raccourcis trop faciles. Oui, les vieux « aussi » sont sensibles à ces sujets qui mobilisent beaucoup de jeunes, à juste titre. Gardons-nous de ces clichés clivants. Demain ne pourra se construire qu'en faisant société, intelligemment, avec tolérance et respect. Et dès lors, même si mon propos est naïf, il fera bon vivre ensemble. ...
01/07/2024  - Billet

La victoire appartient au plus opiniâtre

...
01/06/2024  - Toucher

Découvrir le corps

Toucher des corps qui ne sont ni les nôtres ni ceux des proches aimés. Les couvrir et les découvrir, au gré des soins et des besoins de chacun. Les toucher avec pudeur et respect, dans l'intimité d'une chambre. C'est notre quotidien de soignants, qui prenons soin de ceux qui ont besoin d'assistance pour les actes simples de la vie.
01/06/2024  - Partie I

Virage domiciliaire: Les risques du tête à queue...

Le « virage domiciliaire » est une formule qui sent bon la novlangue administrative et le poncif bureaucratique. Voici des années que ce virage est annoncé, que de nombreuses caravanes publicitaires stationnent sur les aires d'autoroute de la seniorisation... Pour autant, le bilan est maigre.
16/05/2024  - Billet

Éloge du temps

Le débat sur la fin de vie est en cours. Tel un marqueur politique nécessaire, il a été décidé d'en accélérer la réflexion. Il est vrai que le sujet est plus que sensible car on le constate déjà, la sémantique le dispute au fond. On évoque un « modèle français », qui de mon point de vue sera difficile non seulement à construire mais aussi à mettre en oeuvre. Il a été dit qu'il fallait donner du temps au temps. Et cette formule est reprise bien souvent et complaisamment. Sans vouloir procrastiner, car il est légitime qu'une société évolue, j'ai pour autant l'humilité de penser que notre pays est assez enclin à légiférer et « sur-légiférer » sans s'assurer de la réelle application des lois déjà votées. Un consensus se dégage ainsi pour affirmer qu'en matière de fin de vie, la douleur est le facteur essentiel. Et que le nombre de places en soins palliatifs est non seulement insuffisant mais géographiquement injuste. Le sujet presque tabou est difficilement évoqué. Triste constat. La loi Claeys-Leonetti est incomprise, souvent non mise en oeuvre. Elle correspond pourtant à un encadrement important et nécessaire de ces moments si difficiles. ...
01/05/2024  - Billet

Marqueurs de bienveillance

Les débats sur la loi « Bien vieillir » agitent les acteurs du secteur médico-social. Le grand public est plus préoccupé par d'autres sujets sociétaux, anxiogènes et médiatiquement plus à la « une ». Encore une fois, le grand âge est victime du syndrome de l'indifférence et d'un manque de volonté politique face au mur qui se rapproche de plus en plus. C'est un combat permanent, lassant, décourageant souvent, mais essentiel cependant selon le terme si employé lors de la récente pandémie. ...
01/05/2024  - Partie IV

Pas de société de la longévité sans volonté de valoriser les métiers du care

Pour poursuivre notre série sur la valorisation des métiers du care, évoquons les initiatives visant à améliorer très concrètement le quotidien des femmes et des hommes (surtout des femmes) qui travaillent auprès des plus fragiles.
01/05/2024  - Chronique

Et si on arrêtait de cacher les vieux?

La France des vieux, c'est la France du passé, la France d'hier. Place aux jeunes, à la modernité et à l'innovation digitale ! Bien entendu, je ne suis pas sérieux... Je vous imagine déjà sursauter...