Face à de possibles maltraitances ou négligences, est-il légitime de placer un système de vidéosurveillance dans une chambre d'EHPAD ? La question fait débat et divise. Si l'objectif des familles est de protéger le résident, le recours à ce dispositif vise le droit à l'image des salariés de la structure, ainsi que le rapport de confiance dans la prise en charge.
Peut-on installer une caméra de vidéosurveillance dans une chambre d'EHPAD ?
Dans l'impossibilité d'être présents 24 heures sur 24 dans la chambre de son proche âgé, la famille peut décider d'y installer des caméras de surveillance. Cela lui permet de le « surveiller » et de se rassurer sur la qualité des soins administrés. Néanmoins, dès lors que des professionnels sont appelés à intervenir dans la chambre d'un résident, l'usage des nouvelles technologies doit faire l'objet de certaines précautions. Même si la chambre en EHPAD relève de l'intimité et de la sphère privée, il faut considérer la protection du droit à l'image des salariés filmés sur leur lieu de travail.
Cadre juridique du statut de la chambre en EHPAD
Toute personne physique peut décider d'installer des caméras de surveillance au sein de son domicile pour en assurer la sécurité. Lorsque ces caméras ont pour objet exclusif de filmer l'intérieur du domicile, leur mise en place n'est pas soumise aux dispositions de la loi « Informatique et Libertés », ni à celles du code de la sécurité intérieure. En conséquence, lorsqu'un particulier installe des caméras à son domicile à des fins personnelles, il n'est soumis à aucune déclaration auprès de la Commission nationale informatiques et libertés (Cnil)1 ou autorisation de la préfecture, contrairement à l'installation de système de vidéosurveillance dans les lieux publics. Toutefois, il n'existe pas de réglementation spécifique relative à l'EHPAD. La chambre en EHPAD est un lieu de vie privatif 2, sans avoir la qualité de domicile. Le résident jouit d'une chambre mais l'établissement en conserve la disposition dans les conditions prévues au règlement de fonctionnement. On parlerait de domicile si un contrat de location était établi entre le résident et la structure, ce qui n'est pas le cas d'un contrat de séjour.
Le respect du droit à l'image du personnel
Dès lors que le personnel est amené à intervenir dans la chambre d'un résident pour lui apporter de l'aide ou des soins, certaines règles doivent être respectées quant à l'usage de caméras. Ces professionnels disposent d'un droit exclusif sur leur image (photos ou vidéos) 3 et sur l'utilisation qui pourrait en être faite. Ils peuvent ainsi s'opposer à la fixation, conservation ou diffusion publique d'images dès lors qu'ils n'ont pas donné leur autorisation. Ces salariés doivent- donc être informés de la présence de tout dispositif de vidéosurveillance présent dans la structure 4. Leur consentement devra également être recherché. Il est possible pour cela de faire signer aux salariés un avenant à leur contrat de travail dans lequel ils donnent leur accord à être filmés.
Si un résident venait à installer une caméra dans sa chambre, avec l'accord de la Direction, il serait cependant dans l'obligation de ne pas filmer les salariés en permanence pendant l'exercice de leur activité professionnelle. Pour s'assurer de cela, le directeur de l'EHPAD doit privilégier le dialogue avec l'usager et ses proches afin de leur faire comprendre que la vidéosurveillance peut s'avérer perturbante pour les personnels soignants. L'objectif est d'aboutir à un accord pour « tourner » la caméra, la couper et ou obstruer son champ de vision afin de ne pas perturber le travail des salariés et de préserver l'intimité des soins. L'établissement peut également informer par écrit les usagers qui disposent de caméra de surveillance du refus des salariés d'être filmés. Leur intervention sera alors subordonnée à la mise hors service du dispositif. Enfin, toujours dans le souci de protéger le droit à l'image des salariés, une annexe au contrat individuel de prise en charge pourrait préciser que l'usager et ses proches s'engagent à ne pas utiliser ou diffuser les images. Si un dispositif de vidéosurveillance est installé dans la chambre d'un résident et ne respecte pas la règlementation en vigueur, il est possible de saisir les services de police, le procureur de la République ou le tribunal civil sur le fondement d'une atteinte à la vie privée et de l'enregistrement de l'image d'une personne à son insu dans un lieu privé. Il est également possible de saisir la CNIL et de demander l'arrêt de l'atteinte ainsi qu'une réparation du préjudice subi par l'octroi de dommages et intérêts.
Rassurer les équipes soignantes
Devant le récent cas d'une résidente victime de violences dans un EHPAD du Val de Marne, il est essentiel de dialoguer avec les équipes soignantes qui pourraient avoir l'impression que les familles ne leur font pas confiance, se sentir épiés ou contrôlés, dans l'accomplissement de leur mission. Aussi, est-il nécessaire de les rassurer sur le fait que la démarche du dispositif est de protéger l'usager et non de surveiller les actes des professionnels. Il serait également opportun d'échanger avec les familles désireuses d'installer des dispositifs de vidéosurveillance pour restaurer une relation de confiance, visiblement rompue. Devant la multiplication des scandales, le Québec a autorisé, par voie législative en mars 2018, la possibilité pour les familles de placer une caméra de surveillance dans la chambre de leur proche en EHPAD s'ils ont des suspicions de mauvais traitements. La règlementation québécoise impose ainsi qu'un pictogramme soit placé à l'accueil pour dire que certaines chambres peuvent être équipées d'une caméra, sans pour autant que le personnel ne sache lesquelles.
Reste un questionnement éthique : la vulnérabilité d'une personne permet-elle pour autant que l'on puisse l'observer, via des caméras, dans son intimité, sa vie quotidienne ainsi que pendant les soins ?
Anne-Sophie Moutier
Juriste, Consultante, Formatrice en droit de la santé et médicosocial
http://www.annesophie-moutier.fr