Dans le n° 134-décembre 2021  -  Thèse  12401

Quels sont les déterminants de l'institutionnalisation ou du maintien à domicile ?

Auteure d'une thèse 1 de doctorat de l'Université PSL en 2020, Amélie Carrère livre une analyse fine et dense pour anticiper la prise en charge de la perte d'autonomie. Interview.

Quelle était votre intuition de départ ?

Je me suis intéressée à la question de la perte d'autonomie dès mes études secondaires2. J'ai constaté autour de moi que cette question touchait tout le monde mais que les réponses sur la prise en charge de la perte d'autonomie étaient multiples. Au-delà des besoins propres des individus et de la disponibilité de l'entourage, il me semblait voir apparaître des schémas territoriaux assez prégnants.

Vous êtes réellement sortie de l'opposition binaire domicile/Ehpad. Quelles sont vos principales conclusions et les enseignements majeurs à mettre à disposition des décideurs ?

Je n'ai pas été surprise de constater que les prises en charge payantes étaient majoritairement choisies par les personnes les plus favorisées économiquement alors que les moins aisées préfèrent une modalité gratuite : une prise en charge à domicile soutenue par l'entourage (aide informelle), quel que soit leur état de santé. L'amélioration de la connaissance des prestations et des aides doit se prolonger pour éviter l'abandon à domicile de ceux qui ne peuvent assumer les dépenses liées à leur perte d'autonomie. Mais il faut aussi réfléchir au financement et à l'accompagnement des aidants informels (rémunération, formation, congés...), pour que leur soutien ne génère pas de nouvelles inégalités tant économiques que de santé (épuisement, absence au travail, etc.).

L'analyse montre aussi que le maintien à domicile des personnes souffrant de troubles cognitifs doit mixer aides formelle et informelle. Pour opérer un véritable virage domiciliaire, le développement de solutions d'accompagnement comme les Ehpad hors les murs ou les résidences-autonomie permettra d'apporter un panachage d'aide formelle mutualisé entre les personnes âgées, de faciliter leur coordination et d'assurer une meilleure continuité de service.

Quels sont finalement les déterminants du recours à l'institution ?

Ils sont multiples : le type d'incapacités et notamment le cumul de limitations fonctionnelles physiques et cognitives, les ressources socio-économiques, le sexe, l'âge, l'origine migratoire, l'aide formelle et informelle disponible et les coûts de la prise en charge mais aussi des facteurs territoriaux qui captent à la fois la générosité de politique gérontologique et les préférences.

Leur évolution au cours du temps questionne les effets de la politique en faveur du maintien à domicile. Par exemple, la présence de frères et soeurs devient un déterminant du maintien à domicile. On ne sait pas si cet élargissement du champ des pourvoyeurs d'aide informelle est lié à l'indisponibilité des autres aidants potentiels ou à une insuffisance de l'aide formelle qui oblige à solliciter davantage l'entourage.

On voit aussi que les restrictions d'activités simples sont moins déterminantes du recours à l'institution en 2015 qu'en 2008. A contrario, les troubles plus complexes n'ont pas vu leurs possibilités de prise en charge à domicile s'élargir.

Faut-il uniformiser l'offre sur le territoire ?

Uniformiser l'aide formelle (en quantité) sur le territoire n'a d'intérêt que si on interroge d'abord les besoins de prise en charge. Chaque territoire a des caractéristiques particulières (besoins, propension à payer, préférences) qui n'imposent pas les mêmes réponses. Créer autant de places en établissements dans le Finistère que dans l'Aude n'est pas forcément utile. Je travaille actuellement avec la Drees à une estimation des besoins de prise en charge des personnes âgées à un niveau très local (départemental et communal). Le but est d'aider les acteurs publics à planifier la prise en charge financière et humaine sur le territoire français. Cet outil permettra de connaître à la fois les besoins et l'offre actuellement disponibles. Les acteurs locaux seront ensuite les plus à même de favoriser les dispositifs adaptés aux besoins et volontés de leurs administrés. La création d'un service public de l'autonomie doit passer par cette étape nécessaire d'estimation du besoin et la prise en compte des préférences des personnes âgées (a priori reflétées par leurs élus locaux). L'implantation des structures d'aide de façon raisonnée me semble essentielle pour garantir le libre-choix des personnes âgées.

Ce serait finalement le cumul d'incapacités qui accélère la prise en charge en établissement. Tout reposerait donc sur la prévention et la prise en soin primaire ?

Le cumul de limitations fonctionnelles est en effet le dénominateur commun de la prise en charge en établissement. Quand on regarde plus en détails, on voit que les troubles cognitifs sont en cause (rarement non cumulés à d'autres incapacités). Ces troubles nécessitent une surveillance et un accompagnement permanents. Le coût pour rester à domicile est donc trop lourd actuellement, sauf à faire porter la charge physique et mentale sur l'entourage quand il est disponible. La littérature montre que stimuler les fonctions cognitives (par des interventions non médicamenteuses ou des activités diverses lors du passage à la retraite par exemple) aide à retarder l'apparition de ces troubles. Là encore, nous souhaitons mener une recherche avec une équipe pluridisciplinaire sur l'effet de l'inclusion sociale et des interventions non médicamenteuses sur le bien-être physique et mental des personnes âgées.

Vous notez également des différences entre les sexes...

La littérature philosophique montre un attachement fort des femmes à leur domicile. Mes résultats semblent aller dans ce sens : les femmes, lorsqu'elles sont dépendantes, se maintiennent mieux que les hommes à domicile avec de l'aide formelle, mais uniquement si le maillage de prise en charge est suffisant. Dans les cas où l'offre formelle est lacunaire, les femmes sont plus souvent contraintes d'aller en établissement que les hommes. Pour l'heure, les motifs restent encore à explorer : appréciation de la charge sur les aidants, perception d'une plus forte vulnérabilité à domicile, désengagement du conjoint...


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