Le très attendu rapport Libault, fruit d'une concertation de plusieurs mois, a été remis à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la santé, ce jeudi 28 mars. Création d'un guichet unique dans chaque département, valorisation des métiers, rénovation des établissements publics, zoom sur les principales pistes préparatoires à la loi « Grand Age ».
Rapport Libault : 175 propositions pour changer de regard sur le grand âge
Lancée le 1er octobre 2018 par Agnès Buzyn, cette concertation a mobilisé de nombreux experts : 10 ateliers techniques nationaux, 5 forums régionaux, une plateforme de consultation citoyenne en ligne qui a recueilli 415 000 contributions, 100 rencontres bilatérales et des groupes d'expression de personnes âgées, professionnels et aidants. Au final, 8 priorités et pas moins de 175 propositions, dont « 153 ne nécessitent pas de financements complémentaires », précise Dominique Libault, venant confirmer les propos tenus quelques heures plus tôt par Agnès Buzyn lors d'une rencontre avec les journalistes de la presse sociale (organisée par l'AJIS), « L'accompagnement du grand âge ne peut se réduire à une question de financement. Il s'agit d'un véritable changement de regard. Nous allons faire une loi. Nous ne reculerons pas comme ça a été le cas en 2010 et 2014. »
Des constats majeurs
Dominique Libault a d'abord dressé un constat des enjeux à venir, notamment le défi démographique que représente la multiplication par 3 du nombre de personnes âgées de + 85 ans d'ici 2050.
Les français ont exprimé lors des consultations le besoin de réformes profondes. Ils se disent inquiets sur la qualité de la prise en charge du grand âge, le reste à charge trop important en établissement et trop peu corrélé aux capacités réelles des personnes, la complexité des dispositifs, la grande hétérogénéité des prestations.
Il semble donc essentiel de travailler sur la revalorisation des métiers du grand âge (à domicile et en établissement), de construire une filière, prévenir la perte d'autonomie, renforcer les solidarités autour de la personne âgée (aide aux aidants, intergénérationnel...), intégrer les besoins dans le cadre de vie (mobilité habitat, accès aux services publics...) et travailler à modifier en profondeur le regard porté par la société sur le grand âge, leitmotiv de cette présentation.
Faire de la prévention un axe majeur, dès maintenant
Le Pr Vellas, président du comité scientifique, a insisté sur la nécessité d'investir dans la prévention, « à l'image de la cancérologie, qui a su travailler sur les stades précoces. Nous devons faire la même chose. Nous ne pouvons plus attendre. Nous devons aussi passer d'une logique de structure à une logique d'aide à la personne et donner le libre choix à la personne. On ne pourra pas mettre un médecin derrière chaque individu, il faut donc rendre les seniors acteurs de leur santé. Vieillir, ce n'est pas ne plus avoir de maladie mais garder ses fonctions pour continuer d'être. Que les seniors restent acteurs de leur santé !».
Une réforme globale
Les propositions du rapport Libault entendent passer de la gestion de la dépendance au soutien à l'autonomie. Il s'agit de proposer une stratégie pour le grand âge dans le cadre d'une politique de l'autonomie globale et inclusive. « Les 175 propositions se renforcent mutuellement », confirme Dominique Libault. « L'ambition de ce rapport est de créer un cercle vertueux entre l'attractivité des métiers, l'amélioration de la qualité du service en EHPAD comme à domicile, la transformation de l'offre, un cadre de vie plus adapté, la diminution du reste à charge pour les familles, la prévention de la perte d'autonomie. L'objectif est de permettre le libre choix et une meilleure qualité de vie pour les personnes âgées, la citoyenneté doit être pleinement reconnue. » Pour cela, il entend sensibiliser les jeunes dès l'école, favoriser l'engagement citoyen, diffuser une culture de la vigilance et de l'attention dans l'ensemble des lieux accueillant du public...
Financer la perte d'autonomie
« La reconnaissance de la perte d'autonomie des personnes âgées comme risque de protection sociale constitue un symbole fort, signe d'une prise de conscience collective de la nation », ajoute Dominique Libault . Afin de sécuriser le financement de la perte d'autonomie de la personne âgée dans le temps, et de bâtir un pilotage plus démocratique de cette politique publique du grand âge , il est proposé d'intégrer le risque de perte d'autonomie dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale.
Augmenter de 35 % la part de la richesse nationale consacrée à la perte d'autonomie d'ici 2030 par rapport à 2018. Aujourd'hui, la part du PIB consacrée à la perte d'autonomie s'élève à 1,2%. Ces propositions conduiraient les dépenses publiques autour de 1,6 % du PIB en 2030 soit près de 35 % de plus qu'en 2018. Elles atteindraient ainsi 9,2 milliards d'euros en 2030.
Le rapport Libault préconise de s'appuyer sur un financement public reposant sur la solidarité nationale, dans la logique de la constitution d'un risque de protection sociale à part entière, le financement privé ayant une vocation complémentaire et facultative.
Le schéma de financement proposé ne prévoit aucune hausse de prélèvement obligatoire. Il se décline en deux temps :
- En 2024, date d'extinction de la dette sociale aujourd'hui amortie par la Caisse d'amortissement de la dette sociale, financée actuellement par la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), la CRDS serait remplacée par un prélèvement social pérenne, dont le produit serait en partie affecté au financement de la perte d'autonomie. La réutilisation de cette recette existante garantirait l'absence de hausse des prélèvements obligatoires,
- Avant 2024, les dépenses seraient financées en recourant à l'affectation d'excédents du régime général, à une priorisation des dépenses relatives aux personnes âgées dans l'arbitrage de l'évolution des dépenses sociales, et à un décaissement du Fonds de réserve des retraites.
Les financements privés en complément de l'effort public
En matière de financement privé, la priorité semble donc devoir être donnée à la mobilisation de l'épargne existante. La concertation a en effet démontré qu'en moyenne, 3 personnes sur 4 aujourd'hui ont les moyens de faire face au coût de la résidence en EHPAD pour une durée d'au moins 6 ans, si l'on retient l'hypothèse d'une pleine mobilisation de leur patrimoine financier et immobilier. Si ce résultat reste théorique, cela démontre la pertinence d'une stratégie de mobilisation des patrimoines, à partir d'instruments rénovés.
À très court terme, pour plus d'équité, il est proposé de mieux valoriser le patrimoine dans le calcul de la nouvelle « prestation autonomie » à domicile en intégrant la valeur de la résidence principale dans les ressources prises en compte pour le calcul de la prestation.
Enfin du côté de la gouvernance, le rapport appelle à un copilotage de la « Maison des aînes et des aidants » entre ARS et Conseils départementaux. Il appelle également à créer des conférences départementales du grand âge. Ces instances stratégiques de la politique du grand âge au niveau départemental intégreraient les conférences des financeurs et seraient dotées de missions élargies.
Les 8 priorités détaillent des propositions concrètes
Priorité n°1 : investir dans l'attractivité des métiers du grand âge, à domicile comme en établissement par la création d'un plan national des métiers du grand âge. Il propose ainsi de :
Augmenter de 25 % le taux d'encadrement auprès de la personne âgée en Ehpad d'ici 2024, par rapport à 2015.
Engager la filière dans un plan de prévention des risques professionnels à domicile et en établissement.
Refondre les référentiels de compétences et l'offre de formation correspondante.
À domicile, associer des mesures salariales à un effort de refinancement des services d'aide et d'accompagnement à domicile.
Généraliser les fonctions de responsable d'unité de vie pour les aides-soignants en établissement.
Engager un chantier de mise à jour et de convergence des différentes conventions collectives applicables dans le secteur.
Priorité n°2 : pouvoir choisir librement de rester à son domicile
Réformer le mode de financement des services d'aide et d'accompagnement à domicile. Le tarif horaire n'étant aujourd'hui pas en rapport avec la qualité des prestations nécessaires. Le rapport propose ainsi de passer au forfait avec une tarification plancher pour assurer la pérennité des saad fixée à 21 euros
Créer une nouvelle prestation autonomie à domicile pour accroître le répit et l'accueil temporaire, et le recours aux aides techniques
Simplifier les démarches notamment en généralisant la télégestion
Généraliser les solutions complémentaires d'accueil pour étayer le maintien à domicile.
Priorité n°3 : piloter par et pour la qualité
Créer un fonds qualité doté de 100 à 200 millions d'euros par an pour les établissements et les structures d'accompagnement et de soins à domicile
Promouvoir la labellisation des établissements en finançant la formation des équipes
Recueillir et publier des données fiables sur la qualité de service dans chaque établissement
Lancer un plan de rénovation des ehpad en particulier public et des résidences autonomie en mobilisant 3 milliards d'euros sur 10 ans
Fusionner les sections tarifaires soins et dépendance pour renforcer et simplifier le pilotage de la qualité en établissemen.
Priorité n°4 : mettre fin au silo pour faciliter le parcours des personnes
Mettre en place un guichet unique « Maison des aînés et des aidants » dans chaque département
Contribuer au maintien à domicile de la personne âgée en généralisant des équipes hospitalières mobiles
Tendre vers l'objectif de « Zéro passage évitable aux urgences »
Définir par voie législative un droit commun au parcours de santé et d'autonomie pour les personnes âgées.
Généraliser des plans de santé personnalisés (PPS) à compter de 2020
Créer des incitations financières pour les hôpitaux pour éviter les réhospitalisations et les passages évitables aux urgences.
Priorité n°5 : Transformer l'offre pour concrétiser le libre choix de la personne
Créer un fonds d'accompagnement de 150 millions d'euros par an pour restructurer l'offre
Accorder en priorité les autorisations de création de places en ehpad et en ssiad aux territoires carencés
Créer un nouveau statut d'établissement territorial pour les personnes âgées
Mieux structurer l'offre publique en encourageant les mutualisations
Développer et sécuriser l'accueil familial en l'adossant à des structures professionnelles
Accroître les capacités d'accueil en résidence autonomie
Priorité n°6 : le reste à charge en établissement : faire baisser la contribution des personnes modestes
Baisser de 300 euros par mois le reste à charge pour les personnes gagnant entre 1 000 et 1600 € par mois. (35 % des résidents)
Créer un bouclier autonomie de 740 euros pour la perte d'autonomie de longue durée (au bout de 4 ans)
Financer la rénovation des ehpad grâce au plan d'investissement
Faire baisser le reste à charge pour l'ensemble des résidents en EHPAD, quel que soit leur niveau de ressources, à travers la fusion des tarifs soins et dépendance
Réévaluer l'aide sociale à l'hébergement (ASH), harmoniser les pratiques entre départements et supprimer l'obligation alimentaire pour les petits enfants.
Priorité n°7 : lutter contre l'isolement des aidants et des personnes âgées
Faciliter les démarches
Mieux concilier vie professionnelle et rôle des aidants
Indemniser le congé de proche aidant
Faire de la conciliation du rôle d'aidant et de la vie professionnelle un sujet obligatoire du dialogue social et un critère de responsabilité sociale et envi-ronnementale des entreprises.
Priorité n°8 : augmenter l'espérance de vie en bonne santé par la prévention
Proposer un rendez-vous de prévention pour les publics précaires lors du passage à la retraite
Réaliser une campagne nationale de sensibilisation sur les sujets de prévention
Imposer aux structures d'accompagnement et de soin une formation des personnels au repérage des fragilités.
Déployer au sein des hôpitaux une stratégie globale de prévention.