11/10/2018  -  Réforme de la dépendance  10129

Reste à charge : le retour du "bouclier dépendance" ?

Selon l'Observatoire de la Mutualité Française, le reste à charge lié à l'hébergement en EHPAD dépasse largement les revenus des résidents. La concertation nationale "Grand âge et Autonomie" ne pourra pas faire l'impasse sur cette problématique. Comme en 2011, l'idée d'un " bouclier dépendance " pourrait revenir dans les débats.

« L'entrée en perte d'autonomie est un risque économique très important pour les ménages. L'hébergement [en EHPAD] est un poste considérable de reste à charge », a rappelé Roméo Fontaine, chargé de recherche à l'Institut national d'études démographiques (INED), lors d'un colloque consacré à l'accompagnement du grand âge organisé le 4 octobre à l'Assemblée nationale. Rappelons que le coût de la prise en charge de la perte d'autonomie s'élève à 30 milliards d'euros, 23,7 Md€ sont financés par les pouvoirs publics et le solde par les ménages. Parmi les 6,3 Md€ de dépenses à la charge des Français, 3,8 Md€ le sont au titre des frais d'hébergement.

Alors que la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a lancé, le 1er octobre, une vaste consultation nationale sur la prise en charge de la dépendance (en vue d'une loi en 2019), l'Observatoire de la Mutualité Française a remis un coup de projecteur sur la problématique des restes à charge (RAC).

2 000 € par mois

Selon cette étude*, le prix moyen correspondant à trois ans d'hébergement complet en établissement est de 89 100 € (2 474 € par mois). Une fois pris en compte le montant moyen des aides (allocation personnalisée d'autonomie (APA) et aide sociale à l'hébergement (ASH) - soit 17 100 € sur trois ans - le reste à charge moyen cumulé est de 72 000 € (2 000 € par mois). En comparaison, le salaire médian des retraités était de 1 770 euros par mois en 2015, rappelle l'Observatoire. Une charge financière importante pour les ménages et qui de surcroît présente de fortes disparités territoriales puisque, par exemple, les restes à charge dépassent 3 100 euros à Paris et dans les Hauts-de-Seine.

En moyenne, ce RAC lié à l'hébergement en EHPAD représente 100 % du revenu disponible moyen des plus de 75 ans. En 2011, pour plus d'un résident sur deux, le reste à charge est supérieur aux ressources. (1) « Dans l'Essonne par exemple, le reste à charge atteint 2 552 euros par mois. Y résider pendant cinq ans revient donc à plus de 150 000 €, une fois déduites les aides publiques. Ce montant dépasse de 46 900 € le niveau de vie médian des retraités. Autrement dit, la personne âgée qui entre dans un EHPAD en Essonne y consacrera non seulement l'intégralité de ses revenus mais devra en outre disposer d'une épargne de presque 50 000 € », explique la Mutualité Française.

Dans le cadre de cette réflexion nationale qui démarre, la Mutualité Française - gestionnaire de 200 EHPAD - entend faire des propositions aux pouvoirs publics d'ici à la fin de l'année « pour aider les Français dans la prise en charge de leur perte d'autonomie ». « La solidarité nationale est le ciment de notre protection sociale, et à ce titre, la question de la perte d'autonomie ne peut pas se concevoir sans une intervention des pouvoirs publics », a estimé Alexandre Tortel, directeur adjoint des Affaires publiques de la Mutualité française, lors de son intervention au colloque à l'Assemblée nationale. Il a expliqué qu'une des pistes de réflexion de la Mutualité française porte sur un bouclier « perte d'autonomie » qui interviendrait à partir d'un certain seuil de dépenses (sur les trois ans de reste à charge, 72 000 euros selon les chiffres de l'Observatoire). En complément de cette intervention de la puissance publique, la Mutualité Française mise sur la solution d'une assurance dépendance obligatoire. Aujourd'hui, seuls 21 % des Français âgés de 45 ans et plus déclarent détenir un contrat couvrant le risque de perte d'autonomie.

« L'importance des restes à charge rend difficilement supportable l'augmentation des tarifs d'hébergement qui se répercute nécessairement sur les ménages alors même qu'une telle augmentation des tarifs est souhaitable, pour ne pas dire nécessaire, afin d'accroitre le taux d'encadrement ou plus généralement la qualité de vie des résidents et des professionnels qui travaillent dans ce secteur », a expliqué Roméo Fontaine.

Logique assurantielle ou assistantielle

Exposant les options qui pourraient surgir lors de la concertation nationale, le chargé d'études à l'INED a rappelé que le financement des dépenses d'hébergement en EHPAD repose, « par tradition française », sur une logique assistantielle : condition de ressources du résident, mise en oeuvre de l'obligation alimentaire, recours sur succession. « L'option d'une logique assurantielle (cinquième risque) opérerait une rupture considérable dans notre modèle de protection sociale. Ceux qui défendent une logique de cinquième risque sont encore relativement flous sur le périmètre de ce qu'il devrait couvrir. Est-il prévu d'inclure les dépenses d'hébergement ? Cette question est cruciale car si on n'en parle pas, on laisse de côté le principal poste de reste à charge des ménages. Des précisions sur ce point seront nécessaires pour faire avancer le débat », a insisté Roméo Fontaine.

La seconde option est de rester dans une logique assistantielle, « qui est de manière implicite défendue par de nombreux rapports publics plus ou moins récents avec l'idée de réformer de manière substantielle et significative l'aide sociale à l'hébergement », a précisé Roméo Fontaine. Pour rappel, actuellement, seuls 20 % des résidents en EHPAD bénéficient de l'aide sociale à l'hébergement. Cette aide fait l'objet d'un taux de non-recours extrêmement élevé en raison de l'obligation alimentaire et du recours sur succession.

Selon les estimations de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistique (Drees), la suppression de l'obligation alimentaire et du recours sur succession coûterait environ 3 milliards d'euros. Roméo Fontaine a évoqué, lui aussi, la piste du "bouclier financier" qui consisterait à supprimer le recours sur succession après un certain nombre d'années passées en EHPAD. En 2011, lors du débat national sur la dépendance, cette idée de la création d'un "bouclier", plafonnant ou réduisant les restes à charge au-delà d'une certaine durée de séjour en EHPAD et en fonction des revenus et/ou du patrimoine des résidents avait été proposée par le groupe de travail n°4 présidé par Bertrand Fragonard, aujourd'hui président du Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA).

Alors que selon une étude du CREDOC, publié le 1er octobre, 61% des ménages aux revenus les plus modestes n'envisagent même pas la possibilité d'entrer en EHPAD, que le niveau de vie des retraités devrait baisser dans les prochaines années, la question du RAC ne pourra pas rester sans solution.

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