Le grand amphithéâtre de la fac Vauban à Nîmes est plein à craquer en ce mercredi 26 septembre. De professionnels bien sûr mais aussi de personnes âgées et d 'étudiants curieux d'interroger de nouvelles pratiques, de réfléchir à l 'accompagnement de la personne âgée dans toutes ses dimensions. Comment parler d'amour au grand âge ? Comment accompagner la sexualité des plus âgés ? Lever les tabous, tel est le défi relevé avec brio par la Fondation I2ml1 qui réussit l'exploit de réunir, en quelques mois à peine, plus de 450 personnes dans cet amphi nîmois.
Sexualité en EHPAD, la parole se libère !
Tendresse, intimité, amour mais aussi sexualité et masturbation... Si les sujets font sourire, ils mettent souvent les équipes d'ehpad en difficulté. Par gêne le plus souvent ou par manque de formation. Mais pourquoi parler d'amour dérange t-il ? Quel rapport entretenons-nous avec l'amour des plus âgés ? Pour Marie de Hennezel, psychologue, « l'âge n'affecte ni le désir ni le plaisir de la rencontre. Le désir des personnes âgées n'est plus guidé par le besoin biologique, mais par le coeur. En vieillissant, nous sentons, ressentons, de manière plus sensible. Si l'avancée en âge s'accompagne d'un émoussement sensoriel, il n'en est rien du perceptif. Néanmoins, pour accéder à ce nouvel Eros, les personnes âgées doivent réaliser leur révolution narcissique et s'ouvrir à une nouvelle manière de faire l'amour, une tendresse charnelle libérée de l'exigence pulsionnelle biologique. L'émotion vient alors de la capacité d'être intime et de s'abandonner à l'autre. » Dans cette mutation, les femmes seraient d'ailleurs beaucoup plus à l'aise que les hommes, parfois encore prisonniers de leur « obligation » de virilité. « Les femmes peuvent et doivent aider leur compagnon à effectuer ce changement », ajoute Marie de Hennezel.
Restaurer l'estime de soi
Pour Mélissa Petit, sociologue, la génération des baby-boomers développe de nouvelles envies notamment en matière de rencontres amoureuses et investit les sites de rencontres. « C'est une manière de restaurer l'estime de soi », après une vie affective parsemée de divorces, de ruptures... Les sites de rencontres accueillent officiellement 8% de personnes âgées de plus de 65 ans, « même si c'est en réalité probablement plus », remarque Mélissa Petit, « les femmes n'ayant pas envie d'être stigmatisées ou étiquetées « plus de 50 ans ». S'inscrire sur un site réinterroge l'identité, la manière dont on se présente aux autres et dont on parle de soi. » Quel regard la société porte-t-elle en effet sur les amours de vieillesse ? Est-elle capable de bienveillance et d'accueil à l'égard des personnes plus âgées ?
Préserver des lieux d'intimité en EHPAD
Permettre l'expression de l'intimité en EHPAD nécessite de préserver des lieux. « On pousse facilement la porte de la chambre d'une personne seule, moins de celle d'un couple » note Colette Eynard, coordinatrice gérontologique. « En Ehpad, contrairement au domicile, il est difficile, ce n'est pas encore ancré dans la culture, de sanctuariser des lieux ». On entre encore sans frapper. Pourtant une personne, même seule, peut être en train de se donner du plaisir. Et cela ne regarde personne. Il reste un important travail de formation et d'éducation des personnels à réaliser pour progresser sur ces questions.
À La Maison des Arbousiers, à Bizanet, la question est souvent posée en équipe pluridisciplinaire. Des professionnels ont même suivi des formations sur la question interrogeant ainsi les problématiques du consentement, de la désinhibition, de la masturbation mais aussi du lien avec la famille, notamment les enfants qui s'octroient parfois des droits et se permettent des injonctions autoritaires interdisant à leur parent de vivre de nouvelles amours. « Il n'y a pas de réponse type », indique Christelle Bordat, psychologue. « Nous devons réfléchir au cas par cas, en fonction des situations, et prendre le temps d'expliquer aux familles ce qui se passe », pour désamorcer les éventuels conflits et faire accepter les situations, parfois cocasses il faut le reconnaître.
Fixer des repères éthiques
Si bien sûr les questions autour de la sexualité sont nourries des expériences individuelles, y compris des personnels, il nous faut imposer un cadre éthique. Sur ce point Johan Girard, directeur général adjoint de DocteGestio, est très clair. « La vie sexuelle est un droit fondamental. Mais le directeur a des responsabilités. Il est donc essentiel de :
- Poser un principe de neutralité, sans projeter de religieux ou de croyances diverses liées à sa propre sexualité -
S'assurer de la réelle liberté de la personne. Le directeur doit vérifier le consentement des protagonistes sans être intrusif
- Respecter les personnes. La discrétion est essentielle, la personne ne souhaitant pas nécessairement que sa sexualité soit révélée à l'ensemble du personnel
- Protéger les personnes, qui peuvent être atteintes de troubles cognitifs. Il n'est pas si aisé pour un directeur de travailler ces sujets. Il faut donc leur trouver une place, dans une démarche éthique. »
Pour Anne-Sophie Dentan-Verseils, pasteur, « notre société est marquée par la culture de la procréation. Le tabou de la sexualité de nos parents n 'est toujours pas posé aujourd'hui. Or la sexualité des personnes âgées n'est pas plus compliquée que celle des personnes handicapées par exemple. Il faut surtout changer notre manière d'appréhender les choses ». « Et lui donner les conditions de s'exprimer », ajoute Olivier Peraldi, directeur général de la FESP. « Comment faire l'amour dans un lit simple ? Il faut équiper les établissements de lit double. Pourquoi une personne âgée n'aurait-elle pas le loisir d'accueillir une autre personne dans son lit ? ».
La liberté de choisir
Finalement, ce qui changerait avec l'avancée en âge, c'est la liberté de choisir. « Passé 65 ans, vous devez demander l'autorisation d 'aimer, au personnel, à vos enfants », s'indigne Jean-Marc Blanc, directeur général de la Fondation I2ml. « Personne ne remet en cause le droit de regard des enfants sur leur parent. Or l'âge est un processus progressif. On ne devient pas vieux du jour au lendemain... Pourquoi devrait-on d'un coup perdre sa liberté ? Et pourquoi cesserait-on d'être un objet de séduction, de désir et de plaisir du fait du vieillissement ? Car ce qui fait la singularité de l'individu n'est-ce pas sa curiosité, son implication sociale et son désir »... Et comme l'indique Jean, 92 ans, la voix tremblante d'émotion, et de plaisir, sur la libre antenne d'Europe 1, « Le coeur n'a pas d'âge. Je suis toujours un gamin. J'ai les mêmes émotions qu'à 16 ans. D'ailleurs je viens de vivre un véritable coup de foudre, une magnifique histoire d'amour... ».