Jean-Christophe Amarantinis, président du Synerpa, et Nicolas Hurtiger, président du Synerpa Domicile, ont accepté de répondre, par écrit, aux questions de Géroscopie. Interview.
« Si certaines mesures gouvernementales sont allées dans le bon sens, une profonde réforme reste nécessaire »
Vous avez engagé un travail autour du renouveau du secteur et de ses pratiques professionnelles. Quels en sont les premiers enseignements ?
Jean-Christophe Amarantinis : « En 2023, le Synerpa et les acteurs privés du grand âge ont lancé une Charte d'engagements afin de replacer l'éthique et la transparence au coeur de nos activités. Des mesures qui vont bien au-delà du cadre réglementaire et qui impliquent également la mise en place d'une symétrie des attentions concrète. Afin de garantir son succès et sa solidité, cette démarche est en cours de déploiement avec des outils qui ont été testés et ajustés à la réalité du terrain. L'objectif progressif est d'atteindre 100 % d'adhérents signataires d'ici 2025. Les premiers résultats sont encourageants et feront l'objet d'un travail de consolidation afin d'identifier les leviers d'action pour continuer d'améliorer notre qualité d'accompagnement, mais aussi celle des conditions de travail des professionnels.
Cette mobilisation continue des acteurs privés du grand âge témoigne de la volonté de notre collectif de rétablir le lien de confiance avec les personnes accompagnées, leurs proches, les personnels et toutes les parties prenantes des établissements et services. »
Vous proposez, lors de votre prochain congrès annuel, de réfléchir à la manière de construire une économie durable. Quelles sont, selon vous, les voies/les pistes à initier ?
Jean-Christophe Amarantinis : « Nous devons collectivement nous assurer d'apporter des réponses concrètes et pérennes dans une société confrontée à un boom démographique et à des défis économiques, sociaux et environnementaux considérables. Quand je dis "collectivement", il est question d'en appeler à la contribution d'autres acteurs que ceux du secteur au sens stricto sensu. Le sujet de l'avenir du grand âge concerne tous les citoyens et doit être préempté de façon holistique. Le but de notre Congrès est avant tout d'initier un débat de société autour des voies de développement possibles. Pour ce faire, nous avons convié des intervenants issus du terrain, du monde mutualiste et de l'assurance, des intellectuels, des entrepreneurs et bien d'autres. Il faut construire des solutions innovantes et pertinentes pour répondre aux enjeux de demain comme aux besoins immédiats. Ce n'est qu'avec une synergie des expertises et une prise de conscience de la société que nous y parviendrons. »
Les taux d'occupation chutent. Comment restaurer la confiance des usagers ? et des marchés ?
Jean-Christophe Amarantinis : « Sur cette question, nous ne disposons pas de données actualisées à jour. Si une baisse a pu être observée depuis 2019, et ce, dans tous les secteurs - public, associatif, privé commercial -, cette dernière est une conséquence de la crise sanitaire et de confiance qui a fortement impacté les établissements. Mais il faut aussi prendre en compte des facteurs économiques exogènes qui ont contribué à dégrader la situation. Aujourd'hui, nous observons des tendances qui pointent vers une reprise encourageante de l'activité. Le secteur privé a entrepris une remise en question qui a abouti à une transformation profonde toujours en cours. Cette évolution prend du temps, mais commence à porter ses fruits, et nous nous en félicitons. »
Vous demandez à être traités de la même manière que le secteur public et le secteur associatif (forfait soin...). Pourtant vous ne bénéficiez pas des mêmes leviers ? Quels sont vos arguments ?
Jean-Christophe Amarantinis : « Nous partageons les mêmes missions et faisons face au même défi : accompagner les personnes âgées et leurs besoins grandissants dans un contexte inflationniste inédit. Et pourtant, les professionnels des Ehpad privés commerciaux font l'objet d'une iniquité de traitement inadmissible, et complètement injustifiée, en étant exclus des mesures de revalorisation salariale. Toutefois, le gouvernement reconnaît la complémentarité des offres publique et privée pour répondre aux besoins du grand âge. Dès lors, il est incompréhensible d'instaurer une différence de traitement entre les personnels soignants, en fonction de la structure dans laquelle ils choisissent d'exercer. »
Le domicile est également en grande souffrance. Y voyez-vous naître de réelles innovations ? Si oui, lesquelles ?
Nicolas Hurtiger : « Le secteur du domicile est dans une situation économique compliquée alors même qu'il répond à une attente majeure des Français (81 % d'entre eux souhaitent vieillir chez eux, sondage IFOP 2023). Bien que l'accompagnement à domicile soit fortement plébiscité chaque jour par environ 1,3 million de personnes âgées de 60 ans et plus, il peine à trouver un modèle économique stable et pérenne. Les financements, réalisés à l'heure plutôt qu'au forfait, sont aujourd'hui inadaptés. Par ailleurs, il n'existe toujours pas de tarif socle national pour les mandataires et le tarif plancher est encore sous-évalué.
Si certaines mesures gouvernementales sont allées dans le bon sens, une profonde réforme reste nécessaire face au mille-feuille administratif et aux 101 politiques départementales différentes. Le domicile est pourtant un secteur porteur d'innovations et doit être accompagné en ce sens. À ce titre, je salue les adhérents du Synerpa Domicile, très investis pour mettre en oeuvre de nouvelles solutions, que ce soit sur un plan technologique (innovations digitales et intelligence artificielle) ou organisationnel (innovations managériales et évolutions des métiers). »
Comment continuer de créer des synergies et de vrais parcours (domicile/RSS/Habitats intermédiaires) ?
Jean-Christophe Amarantinis : « Les synergies entre les différentes formes d'accompagnement sont plus que nécessaires afin de construire un parcours de la personne âgée non seulement adapté aux besoins, mais aussi pertinent pour y répondre. Les acteurs privés du grand âge, connus pour leur esprit pionnier, recherchent sans cesse de nouvelles collaborations entre chaque maillon du secteur. La sanctuarisation du guichet unique dans les territoires par la loi bien-vieillir est un exemple de la dynamique portée depuis longtemps par le Synerpa. Il est important de souligner que le secteur privé comme public ne peut pas être le seul à la manoeuvre dans le renforcement des synergies : le boom démographique à l'horizon 2030 nécessite que le secteur soit la priorité du gouvernement. »
Quelles sont vos attentes pour le secteur en 2024 ?
Jean-Christophe Amarantinis : « Les enjeux sont immenses et appellent à la mise en place de mesures urgentes tant pour aujourd'hui que pour les décennies à venir. Tout d'abord, nous ne le répéterons jamais assez, il est indispensable de construire une loi de programmation pour le grand âge avec une vision pluriannuelle sur les ressources financières. Sans cesse reportée, repoussée, une telle loi est essentielle à la survie du secteur et nous en appelons à la responsabilité du gouvernement.
Ensuite, investir dans les ressources humaines pour l'attractivité des métiers est primordial pour répondre au vieillissement de la population. La crise des vocations dont souffre le secteur doit devenir une préoccupation centrale dans l'élaboration de politiques publiques. Les personnels sont le coeur de nos activités d'accompagnement et doivent être considérés comme tels. Il est nécessaire dès lors de réformer les dispositifs de formation pour attirer et retenir les professionnels.
Je rappelle enfin que le choc d'attractivité ne pourra avoir lieu sans une égalité de traitement entre tous les salariés des différents secteurs. In fine, c'est la qualité de l'accompagnement que nous souhaitons pour les personnes âgées qui en jeu. »