Dans le n° 106-juin 2019  10491

Sortir de la pensée technicienne

Face aux effets délétères de la mondialisation, à la stagnation du pouvoir d'achat, au maintien d'un chômage élevé, à la fragilisation des classes moyennes et à l'insécurité culturelle éprouvé par les populations se sentant menacés par les migrations, le populisme, ou la « peuplecratie », pour reprendre la formule des sociologues Marc Lazare et Ilvo Diamenti, semble devoir remplacer, ou du moins sérieusement concurrencer les partis politiques traditionnels.

De la même manière, le système démocratique fondé sur l'élection et l'organisation du débat public via des partis politiques et des organisations représentant et fédérant des groupes sociaux apparaît très largement concurrencé par des approches dites illibérales marquées par un pouvoir régulièrement élu mais ayant une pratique du pouvoir autoritaire et hyper verticale.

La transition écologique produit-elle aussi son propre imaginaire, ses représentations et ses dénis. Nous sommes à un moment crucial où une partie de la population et des décideurs nie la réalité d'une menace majeure sur l'écosystème global, l'environnement et sa biodiversité. H. Arendt, dans Le Système Totalitaire , rappelait que si toutes les idéologies ne sont pas totalitaires, en revanche toute idéologie contient en elle une tendance à s'affranchir de la réalité.

Ellul a, pour sa part, fait l'éloge du bon sens

en constatant qu'il est systématiquement écarté des discours savants tenu par les universitaires, comme par les technocrates et les politiques. Pourtant, « si l'on récuse le bon sens, c'est la porte ouverte à tous les non-sens, les absurdités et les délires ». 1 Finalement, les seuls à oser le « bon sens » sont des acteurs illégitimes d'un point de vue universitaire ou des politiques postés sur les franges du « cercle de la raison », selon la formule de Minc.

Une autre forme de déni provient des idéologues de la technique qui défendent une croyance en la toute-puissance de la technologie qui par nature , si l'on ose dire, peut régler ou transcender l'ensemble des problèmes.

Le « projet technicien », pour reprendre une formule de Jacques Ellul s'affirme comme en capacité de répondre globalement à toutes les problématiques. En ce sens Ellul le caractérise comme totalitaire, puisque se posant comme capable de tout régler...

La prise de conscience écologique vient contester ces approches.

Les « dégâts du progrès », pour reprendre le titre d'un livre collectif publié en 1977 par la CFDT, sont de plus en plus visibles et montrent les limites tant en termes écologiques qu'en termes d'emplois et de qualité de vie du côté des populations. La croyance dans les innovations techniques comme substitut à tous projets politiques et de l'inéluctabilité de nouvelles formes d'organisation du travail, sont autant de postures qui viennent nier la puissance du politique, la force de la démocratie, la valeur de l'engagement de la société... Ces discours essentialisant la technique font le lit du populisme en niant la capacité de chacun à peser sur son destin. Puisqu'il n'y a pas d'alternative, pourquoi discuter, s'opposer, proposer... ? L'enjeu de la société de la longévité, c'est de réinventer une éthique de la relation à l'autre, de la relation au monde, de la relation à la planète.

Serge Guérin

Professeur (hdr) à l'INSEEC SBE, Il vient de publier Les Quincados, Calmann-Lévy, 2019 

01/10/2024  - Ce qui se voit...

Luxe, calme et propreté

S'il est bien une condition indispensable au bon fonctionnement des Ehpad, c'est à n'en pas douter l'hygiène des locaux. Nettoyage, bionettoyage, hygiène du linge... Les consignes et protocoles ne manquent pas pour assurer l'organisation et l'évaluation de ces tâches quotidiennes. Et pourtant, ce travail reste invisible. Ou plutôt, il n'est visible que quand il n'est pas fait. Paradoxe ?
01/10/2024  - Billet

Les vieux aussi !

Serge Guérin me pardonnera de paraphraser le titre de son dernier ouvrage en date* pour titrer mon billet. Vous l'avez lu ou en connaissez le thème : bousculer les idées reçues sur le désintérêt des « vieux » en matière de gestes écologiques et solidaires. Tribune pour répondre à ceux qui pensent que ces générations issues de la deuxième guerre mondiale et des années cinquante ont abusé des trente glorieuses et se moquent des incidences climatiques et générationnelles futures. Elles pourraient pourtant donner des leçons d'économies à beaucoup en matière d'eau, de déchets et de courage. Une anecdote a fini de me convaincre. Récemment par une belle journée je me dirigeais vers la déchetterie suite à des travaux de jardin et je vis sur le bord de la route une personne âgée, courbée et tirant deux chariots utilisés pour les courses. Je me fis la remarque du courage de cette personne sachant que le commerçant le plus proche était à bonne distance. Sur la route de mon retour, je la revis. Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'en fait cette dame âgée ramassait des deux bords de la route les déchets que les « clients » de la déchetterie laissaient tomber de leurs remorques en roulant. Je ralentis pour en avoir la certitude et raconter ce vécu à l'ami Serge. Plus encore, je décidais en ces temps riches d'à priori primaires d'en faire le thème de ce billet. Méfions-nous de ces raccourcis trop faciles. Oui, les vieux « aussi » sont sensibles à ces sujets qui mobilisent beaucoup de jeunes, à juste titre. Gardons-nous de ces clichés clivants. Demain ne pourra se construire qu'en faisant société, intelligemment, avec tolérance et respect. Et dès lors, même si mon propos est naïf, il fera bon vivre ensemble. ...
01/07/2024  - Billet

La victoire appartient au plus opiniâtre

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01/06/2024  - Toucher

Découvrir le corps

Toucher des corps qui ne sont ni les nôtres ni ceux des proches aimés. Les couvrir et les découvrir, au gré des soins et des besoins de chacun. Les toucher avec pudeur et respect, dans l'intimité d'une chambre. C'est notre quotidien de soignants, qui prenons soin de ceux qui ont besoin d'assistance pour les actes simples de la vie.
01/06/2024  - Partie I

Virage domiciliaire: Les risques du tête à queue...

Le « virage domiciliaire » est une formule qui sent bon la novlangue administrative et le poncif bureaucratique. Voici des années que ce virage est annoncé, que de nombreuses caravanes publicitaires stationnent sur les aires d'autoroute de la seniorisation... Pour autant, le bilan est maigre.
16/05/2024  - Billet

Éloge du temps

Le débat sur la fin de vie est en cours. Tel un marqueur politique nécessaire, il a été décidé d'en accélérer la réflexion. Il est vrai que le sujet est plus que sensible car on le constate déjà, la sémantique le dispute au fond. On évoque un « modèle français », qui de mon point de vue sera difficile non seulement à construire mais aussi à mettre en oeuvre. Il a été dit qu'il fallait donner du temps au temps. Et cette formule est reprise bien souvent et complaisamment. Sans vouloir procrastiner, car il est légitime qu'une société évolue, j'ai pour autant l'humilité de penser que notre pays est assez enclin à légiférer et « sur-légiférer » sans s'assurer de la réelle application des lois déjà votées. Un consensus se dégage ainsi pour affirmer qu'en matière de fin de vie, la douleur est le facteur essentiel. Et que le nombre de places en soins palliatifs est non seulement insuffisant mais géographiquement injuste. Le sujet presque tabou est difficilement évoqué. Triste constat. La loi Claeys-Leonetti est incomprise, souvent non mise en oeuvre. Elle correspond pourtant à un encadrement important et nécessaire de ces moments si difficiles. ...
01/05/2024  - Billet

Marqueurs de bienveillance

Les débats sur la loi « Bien vieillir » agitent les acteurs du secteur médico-social. Le grand public est plus préoccupé par d'autres sujets sociétaux, anxiogènes et médiatiquement plus à la « une ». Encore une fois, le grand âge est victime du syndrome de l'indifférence et d'un manque de volonté politique face au mur qui se rapproche de plus en plus. C'est un combat permanent, lassant, décourageant souvent, mais essentiel cependant selon le terme si employé lors de la récente pandémie. ...
01/05/2024  - Partie IV

Pas de société de la longévité sans volonté de valoriser les métiers du care

Pour poursuivre notre série sur la valorisation des métiers du care, évoquons les initiatives visant à améliorer très concrètement le quotidien des femmes et des hommes (surtout des femmes) qui travaillent auprès des plus fragiles.
01/05/2024  - Chronique

Et si on arrêtait de cacher les vieux?

La France des vieux, c'est la France du passé, la France d'hier. Place aux jeunes, à la modernité et à l'innovation digitale ! Bien entendu, je ne suis pas sérieux... Je vous imagine déjà sursauter...