Face aux effets délétères de la mondialisation, à la stagnation du pouvoir d'achat, au maintien d'un chômage élevé, à la fragilisation des classes moyennes et à l'insécurité culturelle éprouvé par les populations se sentant menacés par les migrations, le populisme, ou la « peuplecratie », pour reprendre la formule des sociologues Marc Lazare et Ilvo Diamenti, semble devoir remplacer, ou du moins sérieusement concurrencer les partis politiques traditionnels.
Sortir de la pensée technicienne
De la même manière, le système démocratique fondé sur l'élection et l'organisation du débat public via des partis politiques et des organisations représentant et fédérant des groupes sociaux apparaît très largement concurrencé par des approches dites illibérales marquées par un pouvoir régulièrement élu mais ayant une pratique du pouvoir autoritaire et hyper verticale.
La transition écologique produit-elle aussi son propre imaginaire, ses représentations et ses dénis. Nous sommes à un moment crucial où une partie de la population et des décideurs nie la réalité d'une menace majeure sur l'écosystème global, l'environnement et sa biodiversité. H. Arendt, dans Le Système Totalitaire , rappelait que si toutes les idéologies ne sont pas totalitaires, en revanche toute idéologie contient en elle une tendance à s'affranchir de la réalité.
Ellul a, pour sa part, fait l'éloge du bon sens
en constatant qu'il est systématiquement écarté des discours savants tenu par les universitaires, comme par les technocrates et les politiques. Pourtant, « si l'on récuse le bon sens, c'est la porte ouverte à tous les non-sens, les absurdités et les délires ». 1 Finalement, les seuls à oser le « bon sens » sont des acteurs illégitimes d'un point de vue universitaire ou des politiques postés sur les franges du « cercle de la raison », selon la formule de Minc.
Une autre forme de déni provient des idéologues de la technique qui défendent une croyance en la toute-puissance de la technologie qui par nature , si l'on ose dire, peut régler ou transcender l'ensemble des problèmes.
Le « projet technicien », pour reprendre une formule de Jacques Ellul s'affirme comme en capacité de répondre globalement à toutes les problématiques. En ce sens Ellul le caractérise comme totalitaire, puisque se posant comme capable de tout régler...
La prise de conscience écologique vient contester ces approches.
Les « dégâts du progrès », pour reprendre le titre d'un livre collectif publié en 1977 par la CFDT, sont de plus en plus visibles et montrent les limites tant en termes écologiques qu'en termes d'emplois et de qualité de vie du côté des populations. La croyance dans les innovations techniques comme substitut à tous projets politiques et de l'inéluctabilité de nouvelles formes d'organisation du travail, sont autant de postures qui viennent nier la puissance du politique, la force de la démocratie, la valeur de l'engagement de la société... Ces discours essentialisant la technique font le lit du populisme en niant la capacité de chacun à peser sur son destin. Puisqu'il n'y a pas d'alternative, pourquoi discuter, s'opposer, proposer... ? L'enjeu de la société de la longévité, c'est de réinventer une éthique de la relation à l'autre, de la relation au monde, de la relation à la planète.
Serge Guérin
Professeur (hdr) à l'INSEEC SBE, Il vient de publier Les Quincados, Calmann-Lévy, 2019