Le gouvernement avait-il le droit de suspendre la liberté d'aller et venir des personnes accueillies en Ehpad ? Les explications de Jacques Hardy, Avocat.
Sous le coup de la loi
Le 12 juillet 1979, le Conseil Constitutionnel a jugé que « la liberté d'aller et venir est un principe de valeur constitutionnelle » (Déc. n° 79-107 DC) tandis que le Conseil d'Etat la qualifie de « liberté fondamentale » (9 janvier 2001 Ord. n°228928). Il en résulte qu'elle ne peut être supprimée fût-ce au détriment d'une catégorie de personnes hors des cas où la loi le prévoit (incarcération, hospitalisation d'office par exemple). Pour autant elle peut être réglementée dès lors que les restrictions qui lui sont apportées sont justifiées par les circonstances de temps et de lieu et proportionnées. Ceci constituant une injonction faite à l'autorité compétente de toujours privilégier le respect de cette liberté et de ne la restreindre que sous l'empire de la nécessité avérée.
La pandémie de COVID 19 a conduit à une limitation drastique de la liberté d'aller et venir des résidents d'EHPAD pour des raisons de santé publique.
Le 10° de l'article L 3123-3 du code de santé publique dispose en effet que dans un contexte d'état d'urgence sanitaire, le premier ministre peut « en tant que de besoin prendre toute autre mesure générale nécessaire limitant la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre et la liberté de réunion, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L 3123-20 » tandis que le ministre de la santé peut en cas de « menace sanitaire grave », « par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » (art. L 3131-1).
A crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles
Il ne fait donc aucun doute que les autorités précitées disposaient de la compétence pour limiter, dans l'intérêt de la santé publique, la liberté d'aller et venir des personnes accueillies en EHPAD. C'est sur ces bases que le 11 mars 2020, le ministre de la santé décidait que « d ans les EHPAD et les USLD, l'intégralité des visites de personnes extérieures à l'établissement est suspendue. Afin de garantir l'efficacité de cette mesure, les sorties collectives ainsi que les sorties individuelles et temporaires des résidents sont également suspendues intégralement jusqu'à nouvel ordre (...) ». Puis, le 20 avril, sur la base d'une « annonce » du ministre de la santé « les visites sont rétablies sous la responsabilité des directeurs » dans le cadre du « protocole actualisé relatif au confinement dans les établissements sociaux et médico-sociaux » publié le même jour sur le site du ministère de la santé.
Si elles ne peuvent être contestées sur le terrain de la compétence pour agir, il n'est pas interdit de s'interroger sur le caractère proportionné de ces mesures au regard du fait qu'elles concernent notamment des personnes âgées dépendantes que l'isolement peut affecter de manière bien plus délétère que les personnes autonomes.
Curieusement, le juge administratif n'a pas eu à se prononcer directement sur cette question. Pour autant, saisi de problématiques connexes en rapport avec l'application de l'état d'urgence sanitaire dans les EHPAD, il a confirmé l'existence d'un véritable contrôle de proportionnalité conduit en tenant compte des conditions concrètes dans lesquelles les mesures prises doivent s'appliquer. (Voir 11 mai 2020 n° 440251 ; 9 avril n° 439895) jouant ainsi son rôle de protecteur de la liberté d'aller et venir.
Jacques Hardy
Associé - Barthelemy Avocats