L'activité physique est devenue un enjeu de santé publique. Sa prescription s'inscrit dans la droite ligne des politiques de promotion du sport pour tous. Mais alors qu'il n'est toujours pas financé, le dispositif d'« activité physique adaptée (APA) sur ordonnance » a-t-il un avenir et une réelle efficacité ?
« Sport sur ordonnance », mythe ou réalité ?
L'augmentation des maladies chroniques, ses coûts de prise en charge et le vieillissement de la population a incité les autorités de santé à développer des dispositifs de promotion de l'activité physique et de lutte contre la sédentarité pour tous les publics.
Dès 2012, le Plan national sport santé bien-être (PNSSBE) valorise l'activité physique pour les plus fragiles dans le but d'améliorer leur santé. Sont ainsi concernées les personnes avançant en âge, porteuses de maladies chroniques, en situation de handicap ou de précarité. Des Plans régionaux sport santé bien-être (PRSSBE) portés par un co-pilotage des agences régionales de santé (ARS) et des Directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) permettent la mise en oeuvre d'actions menées principalement par des acteurs associatifs.
Le 26 janvier 2016, la loi de modernisation du système de santé incite le médecin traitant à prescrire une activité physique adaptée à la pathologie, aux capacités physiques et au risque médical des patients atteints d'une affection de longue durée, mais sans toutefois prévoir de financements spécifiques. En 2021, plusieurs mesures viennent compléter le dispositif : l'extension de la prescription d'activité physique à tous les médecins intervenant dans la prise en charge du patient, et non plus aux seuls généralistes, l'extension à de nouveaux facteurs de risques (surcharge pondérale, hypertension artérielle, perte d'autonomie) plutôt qu'aux seules personnes en ALD, davantage de libertés offertes aux masseurs-kinésithérapeutes pour renouveler ou adapter les prescriptions initiales d'APA, la reconnaissance des Maisons Sport Santé...
Des vertus thérapeutiques reconnues
Au fil des ans, grâce aux preuves accumulées, l'activité physique se dote, au-delà de la prévention, de vertus thérapeutiques. Les effets bénéfiques pour la santé sont pleinement démontrés. La difficulté réside alors dans le fait d'inciter les personnes atteintes de maladies chroniques à s'engager dans un programme d'activité physique de long terme. Il faut lever les freins liés à la peur de se blesser ou de tomber, à la méconnaissance, changer les habitudes... Adapter les mouvements, les durées d'entraînement et la fréquence d'activité repose sur la compétence d'un professionnel qualifié. L'objectif est de permettre au bénéficiaire d'en mesurer les effets sur son organisme et son psychisme et de les ressentir comme bénéfiques pour lui, jusqu'à ce qu'il puisse s'autonomiser et pratiquer seul.
Pour les plus fragiles et/ou éloignés du sport, un cycle éducatif de plusieurs mois est recommandé, afin de construire et installer un véritable projet individuel.
Les Maisons Sport Santé, outils de prise en charge
Sélectionnées sur appels à projets, le quatrième s'est achevé en 2022, les Maisons Sport-Santé se sont largement installées sur le territoire. « 573 existent aujourd'hui, dépassant l'objectif des 500, fixé par le Président de la République en 2019 », indique un représentant du ministère des Sports. « Depuis mars 2023, le cahier des charges a été révisé et les modalités d'habilitation transformées. Les dossiers seront désormais instruits par les agences régionales de santé et les services du ministère des Sports, et un label attribué pour cinq ans ». Mais leur ambition reste la même : favoriser la reprise d'une activité physique par un accompagnement adapté et personnalisé.
La ville de Dunkerque s'est très rapidement emparée de ce dispositif, qu'elle a choisi de financer sur ses propres deniers et par la recherche de subventions (Drajes, ARS, contrats de ville...). Dès janvier 2019, elle décide de s'engager sur quatre pathologies en affection longue durée (maladies cardiovasculaires, cancer, insuffisance respiratoire et diabète). La direction des sports, et son équipe d'éducateurs sportifs, s'est alors formée à l'APA auprès de l'IRBMS (Institut de recherche du bien-être, de la médecine et du sport santé) sur la prise en charge pour chaque maladie, sur les pratiques douces et l'accueil. « Nous avons commencé par une période d'expérimentation de six mois entre janvier et juin 2019, très positive car tout de suite 60 personnes se sont engagées avec nous sur prescription des médecins », explique Caroline Foucault, coordinatrice de la Maison Sport Santé de Dunkerque. « Petit à petit, on s'est formé à de nouvelles pathologies : la dépression, la spondylarthrite ankylosante, la polyarthrite et la fibromyalgie, et de nouveaux facteurs de risques comme l'hypertension, le surpoids et l'obésité. Nous proposons deux activités physiques encadrées par semaine pendant un an, en incitant chaque personne à se mobiliser chaque jour davantage dans son quotidien. Lorsque la personne se voit délivrer une ordonnance, nous la recevons sur rendez-vous pendant une heure trente afin de réaliser un bilan de condition physique, et se familiariser avec ses habitudes de vie et son histoire. Nous proposons ensuite un programme adapté à sa pathologie, son emploi du temps, ses rendez-vous médicaux. Nous réalisons un premier bilan au bout de trois mois, un deuxième au bout de six mois et un troisième après un an. Et nous invitons ensuite la personne à prolonger l'activité qu'elle a démarrée dans un cadre plus autonome. Notre dispositif gratuit pendant une année est un véritable sas qui permet aux personnes de vérifier que l'activité physique proposée leur convient. »
Le sport, un tremplin post-greffe
L'équipe du Pr Magali Giral, praticien hospitalier en néphrologie au CHU de Nantes, a, dans le cadre d'un travail de recherche, dressé un état des lieux de l'engagement des CHU en matière d'activité physique adaptée, à la fois en transplantation, en dialyse et en néphrologie. « On s'est rendu compte que cette question était compliquée », explique le Dr Aurélie Houzet-Meurette, praticien hospitalier, chargée d'éducation thérapeutique au CHU de Nantes. « Accompagner les patients exige du temps, de la disponibilité et des outils de prescription mais implique aussi de construire des réseaux, afin d'orienter et guider efficacement les patients. Même si tous les professionnels sont convaincus de l'intérêt de l'activité physique, encore faut-il savoir à qui adresser les personnes. »
C'est ainsi que l'équipe a sollicité le soutien d'un laboratoire pharmaceutique, Astellas, pour financer un projet d'accompagnement avec des éducateurs d'activité physique adaptée. « Nous avons débuté en mai 2023 avec à ce jour huit patients inclus dans les suites de leur transplantation. L'idée est de pouvoir élargir la population mais il nous semblait plus facile dans un premier temps de débuter avec un public souvent présent au CHU durant la première année de greffe. » Ces patients sont adressés à un kinésithérapeute si leur niveau d'activité est jugé faible, après une évaluation réalisée grâce au questionnaire de Ricci et Gagnon. Ils sont ensuite, s'ils l'acceptent, pris en charge par un éducateur d'activité physique adaptée qui va les orienter vers une structure proche de leur domicile, et les suivre pendant neuf à dix mois.
À terme, l'objectif est d'étendre le dispositif, et peut-être de solliciter les ARS pour obtenir une prise en charge. En attendant, il nous faut évaluer l'efficacité de cette initiative, mesurer les coûts à engager pour soutenir les structures associatives et travailler sur la réduction des refus patients. « Ce sont souvent les plus motivés qui s'engagent spontanément, reste à mobiliser les réfractaires car l'idée est bien de leur permettre de récupérer un état de santé favorable à la pratique d'une activité physique autonome. »
Des financements difficiles à mobiliser
Malgré tout, le nerf de la guerre reste le financement. Si aucun accompagnement n'est aujourd'hui pris en charge par l'État, le ministère des Sports se veut optimiste. « Nous travaillons actuellement sur des axes forts d'amélioration du sport santé. Les arbitrages ont pris du retard et nous ne pouvons pas communiquer officiellement sur les projets. De plus, les bilans des actions APA restent difficiles à établir. En cause, l'absence de prise en charge financière, le manque de formation et d'information des professionnels de santé, en particulier des médecins et paramédicaux, sur lesquels nous allons engager des campagnes, et le manque de visibilité du réseau des Maisons Sport Santé. Le médecin qui veut prescrire ne sait pas toujours à qui adresser ses patients. Nous nous appuyons également sur les expérimentations en cours. Beaucoup reposent sur la prise en charge d'activité physique adaptée et nous comptons beaucoup sur la preuve apportée par ces expérimentations. » Côté financements, l'article 22 du PLFSS ouvre une porte au gouvernement pour faciliter la généralisation des expérimentations, dites 51, validées. Les malades devraient ainsi pouvoir intégrer des programmes de prévention remboursés, notamment au travers de l'activité physique adaptée (APA). Cet article 22 du PLFSS, s'il est voté, proposera ainsi de créer un cadre permettant la mise en place de ces parcours coordonnés renforcés. Cependant, comme le signale Caroline Foucault, « très peu d'expérimentations entrent dans le cadre de ce dispositif ». Une vingtaine, dont les premières intégrant de l'APA, arriveront à terme en 2023, précise le ministère. Reste à savoir comment ces mesures se généraliseront sur le territoire.
Les complémentaires santé ayant intégré un remboursement dans leurs garanties ont majoritairement suivi le décret, prenant en charge des séances d'APA pour leurs adhérents en ALD. Mais les conditions de mises en oeuvre diffèrent suivant les garanties. Et peu de malades semblent connaître les détails de leur couverture. De l'APA sur ordonnance financée à la réalité, la route semble encore longue...