Dans le n° 124-janvier 2021  - Claire Hédon, Défenseur des Droits  11518

« Toute restriction doit être pensée sous le prisme des droits fondamentaux et des besoins du résident »

Défenseure des droits depuis le 22 juillet 2020, Claire Hedon est nommée pour 6 ans, un mandat non renouvelable et non révocable. Pour Géroscopie, elle détaille ses missions et priorités pour le Grand âge.


Quelles sont les principales missions du Défenseur des droits ?

Le Défenseur des droits est une institution indépendante, créée en 2011, chargée de défendre les droits et libertés individuelles. Le premier volet de notre action concerne la protection des droits. Nous traitons, gratuitement et de manière impartiale, les réclamations qui nous sont adressées sur nos cinq champs de compétence : relation avec les services publics, défense des droits de l'enfant, lutte contre les discriminations, respect de la déontologie par les professionnels de la sécurité et enfin orientation et protection des lanceurs d'alerte. Près de 100 000 dossiers ont été traités en 2019. Nous pouvons être saisis par toute personne (adulte comme enfant) qui estime que ses droits n'ont pas été respectés, mais aussi par les ayant droits, une association, un parlementaire, un service médical, social, un avocat...

Le second volet de notre action porte sur la promotion de l'égalité et de l'accès au droit. L'objectif est de faire en sorte que les droits soient mieux connus et mieux appliqués aussi bien par le rendu d'avis sur les futures lois ou de propositions de réforme de lois existantes que par la sensibilisation du grand public via nos outils ou la formation des professionnels.

Notre réseau territorial compte plus de 520 délégués qui accueillent, écoutent et orientent le public dans ses démarches dans 874 structures d'accueil.

Sur le nombre de saisines totales, combien concernent les personnes âgées ?

Le Défenseur des droits intervient régulièrement sur des sujets relatifs à l'avancée en âge, au handicap ou à la perte d'autonomie des personnes âgées au titre des missions de lutte contre les discriminations et de la défense des droits et libertés des usagers des services publics.

En matière de discriminations, environ 6% des réclamations (sur près de 3000 dossiers) sont relatives à l'âge, toutes situations confondues y compris celles concernant l'avancée en âge.

Un regard particulier est porté sur les personnes en perte d'autonomie hébergées au sein d'EHPAD, les personnes handicapées vieillissantes, les migrants âgés. Toutes ces personnes sont en situation de vulnérabilité et font régulièrement l'objet de stigmatisation, de relégation, de précarisation, voire d'exclusion.

Le Défenseur des droits constate une augmentation constante des saisines liées à des situations de maltraitance dans des établissements médico-sociaux, ce qui représente 20% des dossiers traités par le pôle chargé des droits des malades et de la dépendance. Il s'agit d'atteintes à la dignité, de non-respect de l'intimité, d'un défaut d'hygiène, d'entraves à la liberté d'aller et venir (mise en place de barrières ou de contention, interdiction de sortir de l'établissement), de restrictions ou interdictions du droit de visite sans raison médicale, et, plus rarement, des agressions physiques et psychiques (humiliations).

Quels enseignements tirer de la gestion de la crise sanitaire dans les Ehpad ?

Lors de ma prise de fonction au mois de Juillet, j'ai voulu me rendre dans un Ehpad dans le Loir-et-Cher dès la première semaine, car l'urgence sanitaire a mis sous tension le secteur des EHPAD qui était déjà fragilisé par plusieurs difficultés telles que le manque d'effectifs, les financements insuffisants, les problématiques liées à l'organisation des soins en faveur d'une prise en charge globale des résidents. Enfin, l'absence de matériel de protection au début de la crise a amené à adopter des pratiques de gestion particulièrement restrictives. J'ai ainsi pu échanger avec la directrice, le personnel et les résidents sur ces difficultés.

Le choix a été fait de prendre des précautions, parfois maximales, au risque d'aggraver des situations individuelles et aboutissant souvent à une dégradation de l'état de santé des résidents, tant physique que psychologique. La situation d'urgence sanitaire a mis à mal le respect des droits fondamentaux des résidents en EHPAD, les exposant à des restrictions disproportionnées de ces droits.

Le Défenseur des droits a eu connaissance des difficultés rencontrées par les résidents en matière d'organisation, de fréquence des visites avec leurs proches. Ces restrictions ont accru leur isolement et ont eu des conséquences négatives sur leur bien-être. Ce confinement total et déshumanisant avec parfois l'emploi de contentions physiques ou chimiques a accéléré la dégradation de leur état de santé et de leur autonomie.

En outre, des limitations dans l'accès aux soins médicaux et paramédicaux ont pu être observées. Les modalités de prise en charge ne peuvent reposer que sur des critères médicaux et être fondées sur une évaluation au cas par cas. Une situation d'exception ne saurait se traduire par une éthique d'exception. Enfin, la question de la fin de vie a révélé de fortes tensions entre les familles et les directions, ce qu'un processus de médiation efficace aurait probablement évité.

Un de vos prédécesseurs suggérait d'anticiper l'entrée en établissement pour mieux la préparer. Comment améliorer ce passage ?

L'entrée en EHPAD est souvent perçue par les personnes concernées comme une rupture qui s'accompagne parfois d'une inversion des rôles familiaux : les enfants devenant le soutien de leurs parents.

Les personnes âgées en perte d'autonomie doivent avoir la possibilité de choisir librement leur lieu de résidence. Or, il est difficile de considérer qu'aujourd'hui la décision de vivre en EHPAD résulte d'un libre choix de la personne âgée, cette décision étant le plus souvent contrainte par l'impossibilité pour la personne de rester à son domicile en raison, notamment, de l'offre limitée d'aide et de soins à domicile, de la situation précaire des aidants, de l'inadaptation des logements et de l'accroissement des déserts médicaux.

Des avancées ont été faites, depuis la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale. A titre d'exemple, les EHPAD sont dotés de postes d'animateurs, de cadre de vie sociale, etc. Il faut poursuivre ce type de démarches qui participent à changer la perception qu'ont les personnes âgées dépendantes et leurs proches des EHPAD.

Les Ehpad ont souvent été comparés à des lieux de privation de liberté. Comment concilier protection de la personne et liberté d'aller et venir ?

La qualité de vie en EHPAD implique de considérer que la liberté d'aller et venir est un droit fondamental à respecter, mais aussi un objectif de prise en charge et d'accompagnement à promouvoir et protéger. Une réflexion doit être engagée sur le conflit entre la liberté d'aller et venir des résidents et l'obligation de protection des personnes les plus vulnérables qui pèse sur les établissements. La préservation de cette liberté n'est possible que si l'on s'appuie sur un principe d'évaluation individuel du risque et non sur un principe général de précaution.

Toute restriction doit surtout être pensée sous le prisme des droits fondamentaux et des besoins du résident et non en fonction des seules contraintes organisationnelles et des difficultés administratives des établissements.

Quelle place occupe le Défenseur des droits dans l'élaboration de la loi grand âge, qui ne cesse d'ailleurs d'être repoussée ?

Nous sommes dans l'attente des contours précis de ce projet de loi annoncé depuis le début du quinquennat et dont les différents reports sont dommageables d'autant que la crise sanitaire a fait ressortir un point déjà bien connu qui est le nombre insuffisant de personnels à la fois dans les EHPAD mais aussi à domicile.

Nous serons très vigilants sur les axes de cette loi car les difficultés portées à la connaissance du Défenseur des droits interrogent l'effectivité des droits des personnes âgées notamment hébergés dans des EMS. Et nous sommes disposés à exposer davantage nos sujets d'alerte dans le cadre d'auditions au Parlement.

Quelle est selon vous l'action prioritaire à mener sur le champ du vieillissement en 2021 ?

L'avancée en âge constitue un enjeu qu'il convient d'ores et déjà d'anticiper. Il conduit notre société à s'adapter, afin de mieux garantir les droits fondamentaux de nos aînés. Sans doute notre société n'a-t-elle pas encore pris la dimension de ce défi. Il est aussi très important de prôner le vivre ensemble, de multiplier les relations intergénérationnelles pour que la question de l'avancée en âge ne soit plus un tabou mais qu'elle permette un enrichissement mutuel entre toutes les générations.

L'allongement de la vie constitue un progrès considérable pour notre pays, et pour chacun et chacune d'entre nous, si cet allongement se fait dans des conditions de vie dignes et respectueuses des droits fondamentaux de nos aînés.

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