Selon Régine Roche, directrice d'EHPAD publics multisites dans le Haut-Var et docteure en sciences de gestion (1), l'EHPAD public est non seulement un « maillon essentiel » de la filière gériatrique, mais surtout un acteur incontournable dans la structuration des parcours de soins.
« Une articulation en construction avec les établissements de santé que la crise du coronavirus peut optimiser ou desservir »
Quel regard portez-vous sur l'intégration, parfois difficile, des EHPAD dans les Groupements hospitaliers de territoire (GHT) ?
Les GHT représentent pour les directeurs d'EHPAD publics une opportunité matinée d'incertitude. L'existence de partenariats antérieurs avec les établissements de santé publics a pesé lourd dans la décision non seulement d'adhérer à un GHT, mais surtout d'intervenir en tant que partie intégrante ou associée. Force est de constater que si l'intégration des EHPAD hospitaliers au sein des GHT s'est faite « automatiquement », les EHPAD publics autonomes ont dans un premier temps manifesté davantage de réticence à adopter cette démarche. Loin de sous-estimer l'importance d'une participation à la politique médico-sociale de leur territoire, les directeurs d'EHPAD publics autonomes ont souvent redouté que leur spécificité médico-sociale soit diluée au sein des GHT. Cette crainte a bien souvent trouvé sa légitimité dans la préexistence de complémentarités entre EHPAD publics à travers des groupements tels que les Groupements de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS). L'enjeu pour le GHT a donc été d'utiliser cette dynamique territoriale comme un levier de gestion pour développer la filière gériatrique locale et inscrire le parcours de soins de l'usager dans une logique de prise en charge graduée. Cela s'est traduit sur notre territoire par l'amélioration des soins de nuit et du week-end avec la mutualisation de poste d'infirmiers et le déploiement de l'outils numérique dans une logique de partage des données.
Lors de la crise, les EHPAD membres d'un GHT n'ont-ils pas été davantage soutenus dans leur activité ?
Là encore, les pratiques de coopérations préexistantes ont été déterminantes dans le redéploiement des ressources humaines et logistiques. Il va sans dire que les EHPAD publics qui sont les mieux armés pour surmonter cette crise sont ceux qui sont les mieux placés pour tirer bénéfice de l'agilité du GHT à mobiliser les ressources du territoire pour assurer la continuité des soins. Car le GHT ne fait que mettre en lumière les failles ou la qualité du maillage territorial. C'est ainsi qu'à l'échelle de notre territoire, l'accent a été mis sur le renforcement du lien Ville-Hôpital avec le développement de la téléconsultation et le recours à l'HAD. Cette politique de prise en charge a eu pour effet non seulement d'éviter l'hospitalisation des résidents, mais surtout de réduire le nombre d'admission à court terme, et par conséquent le risque de contamination par le Covid-19.
Comment les GHT devraient-ils selon vous évoluer pour rassurer les Directeurs d'EHPAD ?
Les solutions apportées aux problèmes de la permanence des soins intéressent particulièrement les directeurs d'EHPAD. Car le renforcement du lien Ville-Hôpital est un indicateur de la qualité de la prise en charge des résidents. Non seulement parce que notre pratique nous amène à collaborer quotidiennement avec les médecins généralistes, mais surtout parce qu'en tant que structure d'aval, nous sommes dépendants de la qualité de la coordination entre l'hôpital et les professionnels de santé libéraux. Nous avons conscience que le cloisonnement historique entre le secteur sanitaire et le médico-social constitue un frein majeur à une prise en charge globale et coordonnée dans le cadre des GHT. Aussi pallier un tel handicap implique-t-il de structurer le parcours de soins autour de l'usager. Il doit être à la base d'un intérêt à agir en commun des acteurs de terrain.
Des EHPAD continuent-ils aujourd'hui à rejoindre des GHT ?
Oui, environ un EHPAD public sur deux a fait le choix d'intégrer un GHT. Si dans leur grande majorité les directeurs d'EHPAD publics sont convaincus que leur pratique doit évoluer vers un exercice territorial, ils s'interrogent en revanche sur les modalités, d'autant que la crise du Covid-19 montre de manière criante qu'un fonctionnement en autarcie réduit dangereusement la capacité de réaction des EHPAD, surtout lorsque la gestion des ressources humaines est à flux tendu. Aussi un pilotage de la gestion de crise à l'échelle de l'établissements public de santé support devient-il une nécessité ne serait-ce que pour permettre aux EHPAD publics de bénéficier d'un renfort de personnel pour assurer la continuité de leur activité. Mais je le répète, si nous ne plaçons pas l'usager au coeur de l'organisation de la prise en charge, les partenariats ne couleront jamais de source. Cette démarche implique non seulement d'intégrer l'environnement immédiat de l'usager, à savoir les familles et les aidants, mais surtout de reconnaître qu'une gestion intégrative du parcours de soins positionne d'emblée les EHPAD comme des acteurs incontournables. Dans mon mémoire de Directeur d'EHPAD (2), je mettais déjà l'accent sur l'intérêt pour le directeur de s'engager dans une démarche de travail en réseau pour améliorer la qualité de la prise en charge des résidents, ainsi que sur la position centrale de l'usager dans l'organisation des soins. C'était en 2008...