Faire payer les résidents en fonction de leurs revenus pour des prestations identiques. L'idée du "surloyer solidaire" a de plus en plus d'adeptes. Après la Mutualité française, un rapport sénatorial plaide aussi en faveur de cette mécanique de tarifs hébergement différenciés pour répondre à la problématique du reste à charge en EHPAD. Une solution déjà mise en oeuvre par le Groupe SOS.
"Surloyer solidaire" en EHPAD, une idée qui fait son chemin
Pratiquer des prix de journées différenciés selon le niveau de ressources des résidents. Cette idée fait de nouveaux émules ces derniers mois même si elle ne figure pas au rang des 175 propositions du rapport Libault remis le 28 mars à la ministre des Solidarités et de la Santé. En janvier dernier, la Mutualité française s'est prononcée, dans le cadre de la concertation "Grand âge et autonomie", en faveur de ce principe de "surloyer solidaire". Au tour de Bernard Bonne, sénateur (LR) de la Loire, et Michèle Meunier, sénatrice (Socialiste) de Loire-Atlantique d'en faire l'une des 20 propositions de leur rapport intitulé "Diminuer le reste à charge des personnes âgées dépendantes : c'est possible !" fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, rendu le 3 avril.
Quel est le principe de ce "surloyer solidaire" ? Il s'agit de moduler le tarif d'hébergement journalier en fonction du niveau de revenus des résidents en s'inspirant du dispositif existant pour les crèches, les cantines scolaires ou les logements HLM. Concrètement, les résidents éligibles à l'aide sociale à l'hébergement (ASH) continueraient d'être soutenus par le conseil départemental, et le reste des résidents s'acquitterait d'un tarif calculé en fonction de leurs capacités financières. Cette différence entre le tarif de base et le tarif acquitté constitue le "surloyer solidaire". Mais s'il y a une différence de tarifs, il n'y a pas de différences de qualité de prestations entre les résidents.
Redistribution horizontale
« Le problème du reste à charge en EHPÄD, [...] est moins un problème de niveau général qu'un problème de dispersion (la moyenne s'établissant à environ 950 euros par mois contre une médiane d'environ 1 850 euros par mois) », considèrent les rapporteurs. Selon eux, cette dispersion des tarifs segmente fortement la demande d'hébergement entre, d'une part, des résidents aux revenus les plus modestes éligibles à l'aide sociale à l'hébergement (ASH) et, d'autre part, des résidents dont le tarif hébergement reste entièrement à leur charge. «Cette dichotomie de situations entre tarif librement négocié et tarif administré par le conseil départemental engendre pour les résidents des effets de seuil importants et difficilement justifiables », jugent Bernard Bonne et Michèle Meunier. La solution pour alléger les restes à charge ? Instaurer un "surloyer solidaire", afin « d'introduire une redistribution horizontale entre résidents ».
Faisabilité juridique
Reste à poser les conditions de la faisabilité juridique de cette tarification différenciée. Les sénateurs reconnaissant que le principal obstacle à cette proposition est lié à la nature juridique de l'établissement. Pour les EHPAD privés à but commercial, le "surloyer solidaire" pourrait aller à l'encontre du principe de non-discrimination des consommateurs par les prix inscrit dans le Code du commerce. Un écueil qui selon eux ne se pose pas pour les EHPAD publics et privés à but non lucratif.
Les gestionnaires d'EHPAD ont déjà la possibilité avec l'article R. 314-182 du Code de l'action sociale et des familles (CASF) de moduler le tarif moyen hébergement afin de tenir compte des éléments de confort pouvant entraîner plusieurs niveaux de qualité en termes de services rendus (nombre de lits par chambre, chambre pour couple, localisation et confort de la chambre, caractère séquentiel de l'accueil). L'introduction d'un critère de ressources des résidents dans la modulation du tarif hébergement des EHPAD publics ou associatifs serait-elle possible ? Selon le rapport, cela ne poserait aucune difficulté juridique particulière et reposerait essentiellement sur des dispositions déjà existantes. Pour ce faire, la mission exercée par l'EHPAD privé non lucratif devra être « explicitement qualifiée comme relevant d'un service public administratif à caractère facultatif, exercé par délégation ». Cette reconnaissance permettrait alors l'application du premier alinéa de l'article 147 de la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions selon lequel « les tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif peuvent être fixés en fonction du niveau du revenu des usagers et du nombre de personnes vivant au foyer ». Le législateur devra neutraliser toutefois l'effet du deuxième alinéa de l'article 147 aux termes duquel "les droits les plus élevés ne peuvent être supérieurs au coût par usager de la prestation concernée". « L'application d'une redistribution horizontale du reste à charge hébergement suppose en effet que les résidents les plus favorisés s'acquittent d'un montant par définition plus élevé que le coût par usager de ladite prestation », souligne le rapport sénatorial.
Pour éviter toute perte financière aux établissements, les rapporteurs préconisent que le mécanisme du "surloyer solidaire" repose sur la base d'un budget hébergement prévisionnel élaboré en amont par les gestionnaires. Ce montant défini ex ante serait ensuite réparti entre les résidents en fonction de leurs ressources. En adoptant cette tarification différenciée, les établissements ne risquent-ils pas de prioriser les résidents susceptibles d'acquitter ce surloyer ? Les sénateurs proposent de prévoir dans la mécanique « un contrôle du tarificateur ». Pour éviter cette "sélection par l'argent", Thierry Beaudet président de la Mutualité française propose, dans une interview accordée au Parisien, en février dernier, « de fixer des tarifs plafonds pour chaque service proposé par l'établissement. Chaque résident conserverait bien sûr la liberté de choix ».