Il existe dans la société française un déni face aux conduites d'alcoolisation des personnes âgées. Cette position a-t-elle des répercutions sur l'attitude des soignants ? Alba Moscato, psychologue et doctorante à l'Institut de Psychologie de l'Université Paris-Descartes, propose quelques éléments de réflexion. A lire, sans modération, avant tout accompagnement.
Accompagner c'est d'abord se questionner
Platon proposait d'interdire le vin aux jeunes gens et de le recommander aux vieillards, pour " adoucir la rudesse de la vieillesse ". Le regard sur les consommations inadaptées d'alcool chez les personnes âgées doit-il être aussi complaisant ?
Perçue comme un plaisir, le mésusage d'alcool est une maladie à tous les âges de la vie. Si ses conséquences sont peu visibles chez les personnes âgées, elles sont pourtant nombreuses : chutes, syndromes confusionnels, douleurs musculaires, insomnies, troubles de mémoire,... autant de symptômes souvent attribués au vieillissement ou à une démence. De plus, la polymédicamentation de la personne potentialise les effets du produit alcoolique. Le syndrome dépressif est trois plus fréquent chez les personnes âgées alcooliques que chez les sujets non-alcooliques et le taux de suicide 16 fois plus élevé.
Agir sur soi
Avant d'aborder l'accompagnement de l'alcoolisation de la personne âgée, le soignant doit se questionner sur les effets que produit cette rencontre sur lui-même :
- connaître sa propre histoire avec l'alcool ;
- s'interroger sur sa relation avec le produit ;
- cerner ses représentations de la personne âgée et du malade alcoolique vieillissant.
Sans en avoir conscience, chacun peut agir en fonction de son histoire personnelle, plus qu'en fonction de la problématique des conduites inadaptées posées par la personne âgée. Dans chaque groupe familial élargi, il y a ou il y a eu une alcoolisation vécue dans la difficulté. Ne pas s'interroger, c'est laisser la place à des comportements soignants inadaptés à la situation :
- des attitudes négatives : jugement, culpabilisation, comportements policiers pour obtenir un aveu, négation de la souffrance du buveur,...
- des propositions de bons conseils : recommandation, compassion aveugle,...
- une " guerre sainte " assortie d'un sevrage.
Pourquoi boire ?
Ce point étant posé, abordons celui de la demande. Dans un projet d'accompagnement d'une personne alcoolique, qui pourrait être en demande? La personne âgée ou le soignant ? Ainsi souvent le soignant se sent en droit de demander pour la personne âgée. Prendre cette posture revient à dire " je demande que le malade exprime une demande pour intervenir ". Il serait plus pertinent de regarder la situation différemment et de se dire : " Quels problèmes me posent ce consommateur âgé d'alcool, cette situation d'alcoolisation ? " et " Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui, la situation ne m'est plus supportable ? "
La phrase maintes fois entendue " Tout ce qu'on lui demande c'est de ne plus boire " montre que la demande émane du soignant ou de la famille... Cette priorité est située aux antipodes de l'objectif du buveur. Le paradoxe de cette demande est que ce dernier n'a souvent pas commencé sa propre réflexion sur sa consommation et ses conséquences, sur ses relations avec son entourage. Comment peut-il comprendre cette demande faite pour lui, comment peut-il s'approprier la main soignante et déterminée qu'on lui tend ? Si le professionnel a un objectif logique de soin, il doit d'abord s'appliquer à interroger le buveur âgé sur ses propres désirs, ses propres demandes.
Climat d'écoute
L'accompagnement thérapeutique s'appuie sur un principe essentiel : écouter le malade alcoolique et ne pas le juger. Le malade alcoolique a son histoire et sa réalité. Echanger sur ses réalités, c'est reconnaître l'existence du monde de l'alcoolique âgé. C'est aussi créer un climat d'écoute. Il convient de ne pas parler pour l'autre, de ne pas penser pour l'autre, de ne pas décider pour l'autre. Comment ? En lui demandant s'il veut de l'aide, s'il a besoin d'aide, et comment pouvons nous l'aider ? A nous de nous rendre disponible à sa demande et dans le meilleur des cas de nous adapter peut être qu'à une limitation de sa consommation.
En conclusion, gardons en tête deux idées. La première veut que le patient âgé en alcoologie puisse et doit bénéficier de toutes les aides possibles (Centre de cure ambulatoire en alcoologie, services spécialisés en alcoologie,...). La seconde est de dire qu'aucun individu ne peut prétendre être LA solution au problème du buveur âgé. Ce principe impose à tous l'humilité : il faut accepter de n'être qu'un élément d'un processus qui conduira une personne à quitter sa dépendance alcoolique, si elle le désire.
Biographie :
Menecier P. Les Ainés et l'Alcool ; Eres Ed : Toulouse 2010, 226 p ; ISBN 978-2-7492-1194-7, EAN 9782749211947.
Menecier P. Boire et vieillir, comprendre et aider les ainés en difficultés avec l'alcool; Eres Ed , 2010. ISBN : 978-2-7492-1268-5 , EAN : 9782749212685 200 p.
Centre de cure ambulatoire en alcoologie
Les Centres de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA) sont des lieux d'accueil, d'écoute et de soins, ouverts à toute personne en difficulté avec l'alcool. Certains de ces centres développent également des actions de prévention. Institutions médico-sociales, ces centres sont financés par l'assurance maladie. La prise en charge y est globale et pluridisciplinaire : médicale, psychologique, sociale, éducative. La prise en charge y est gratuite.
Inconvénient majeur : les CCAA ne se déplacent pas en institution et au domicile des personnes.
Difficile de parler d'alcool avec des aînés
Etude auprès de 468 infirmiers et étudiants en hôpital/EHPAD :
- 81% rencontrent des sujets âgés en difficulté avec l'alcool
- 63% en parlent avec le patient
- 47% en parlent avec la famille
- 37% en parlent en équipe du service
- 82% transmettent oralement à leurs collègues
- 59% notent dans le dossier de soin
- environ 1 soignant sur 2 sollicite un avis médical dans le service
- environ 1 soignant sur 3 sollicite un avis auprès de l'équipe d'addictologie
(Menecier P. Etudiants infirmiers et mésusage d'alcool du sujet âgé Ann Gérontol 2009 ; 2 (3) : 183-189).