Face aux décès fréquents ou aux décès violents, Charlotte Costantino, Psychologue Clinicienne, Coordinatrice du Collège des Psychologues ORPEA-CLINEA et Elisabeth Ferreira, Psychologue Clinicienne, Village de Retraite de Saint-Rémy-lès-Chevreuse, prônent une pratique essentielle : le groupe de parole.
Accompagner les processus de deuil des soignants
Dans un EHPAD, la relation entre les soignants/aidants et les résidents prend un sens singulier. Si l'EHPAD est un lieu de vie et d'accompagnement par essence, il est aussi inéluctablement le lieu de la fin de vie. Le soignant dans sa pratique au quotidien est donc confronté à un exercice psychique particulier : celui d'accueillir, d'accompagner dans la vie, tout en se préparant à une fin inéluctable de la relation. Ainsi, il lui revient de trouver un juste équilibre entre un investissement bienveillant et professionnel de la relation, et un détachement suffisant compte tenu de la séparation à venir.
Dans la majorité des cas, la séparation peut être élaborée et préparée en équipe : la mort d'un résident est anticipée et parlée parce qu'elle est prévisible. Le " travail d'équipe ", les temps de partage de ce vécu commun, la liberté de parole entre collègues constituent autant de rituels de passage qui ouvrent la voie du deuil, aident à symboliser la séparation. Comme dans le deuil normal, l'équipe éprouve le besoin de parler du résident décédé, de faire vivre les souvenirs des relations entretenues avec lui.
Les choses se compliquent dans le cas de décès subis et imprévus. Ces séparations brutales et effractantes génèrent le plus de retentissements délétères dans les équipes : divers questionnements se font jour, de l'incompréhension, voire une culpabilité ou un sentiment d'échec, une mise à mal de la confiance en sa " capacité soignante ".
La succession de décès dans un service peut être source d'épuisement pour les équipes. Les relations aux résidents en viennent à être redoutées comme pour se préserver de la blessure de la séparation. L'usure professionnelle se manifeste ainsi : absentéisme, irritabilité, isolement dans l'équipe, troubles du sommeil, surinvestissement du travail, manifestations somatiques, démotivation, indifférence affective...
C'est pour cette raison que nous avons mis en place des groupes de parole plus formalisés que les temps habituels de rencontre en équipe, et avec un psychologue extérieur à l'établissement.
Voici quelques-uns des effets cliniques repérés sur les équipes :
- Qu'un tiers extérieur puisse se faire le témoin d'une situation vécue comme un moment hors du commun de la vie institutionnelle habituelle est vécu comme une reconnaissance implicite des difficultés rencontrées.
- Le groupe de parole aide à recréer un mouvement de solidarité et de soutien entre les membres du personnel, et évitent un repli défensif.
- Les équipes sont souvent remises implicitement dans une position d'être acteurs du processus institutionnel.
- Cet espace de parole constitue souvent l'occasion d'une reprise d'événements plus anciens non-élaborés, grains de sable dans la dynamique de soin (par exemple de décès non parlés).