© Guillaume LEBLANC
Dans le n° 150-juin 2023  - DOSSIER Classement des groupes privés commerciaux  14837

Affaire Orpea : 2022 annus horribilis

Alors que Géroscopie publie son classement des groupes privés commerciaux (à retrouver ici), retour sur une année 2022 pour le moins chargée. L'affaire Orpea a ébranlé l'ensemble du secteur commercial : le numéro 1 est toujours en soins intensifs, d'autres en soins de suite. Même les blessés légers doivent retrouver le chemin de la confiance.

2022 annus horribilis. Le cyclone Fossoyeurs a ébranlé les deux géants français cotés en Bourse, Orpea d'abord, il était la cible, mais aussi Korian par ricochet. Tous deux se sont retrouvés brutalement au pied du mur : réaliser leur aggiornamento tout en rassurant les marchés... ou rassurer les marchés tout en réalisant leur aggiornamento.

Orpea : l'an I de la refondation

La sanction immédiate du livre-dynamite de Victor Castanet a été l'effondrement de l'action Orpea qui, en un an, a perdu plus de 90 % de sa valeur. Aujourd'hui, la dette du groupe est colossale.

Changement total de gouvernance et de cap : le 15 novembre, le numéro 1 français (en nombre de lits) a adopté un plan de refondation qui affiche son ambition de « redevenir l'acteur de référence du secteur en se recentrant sur la qualité des soins et de l'accompagnement et le développement des collaborateurs ».

En ce qui concerne les équilibres financiers, il s'agit de redresser la performance opérationnelle : 9 % de croissance annuelle du chiffre d'affaires d'ici 2025, marge d'Ebitdar supérieure à 20 % en 2025, pour un Ebitda hors IFRS 16 estimé à 745 millions d'euros (12,2 %) en 2025. Le groupe a aussi décidé de repenser la stratégie de détention immobilière avec un potentiel de cessions d'actifs « dès que les conditions le permettront » ainsi que son périmètre géographique (restructuration ou cession des pays dans lesquels il ne dispose pas de position attractive). Il s'agit de « retrouver une structure financière pérenne ».

La Caisse des dépôts a annoncé le 1er février 2023 la prise de contrôle de 50,2 % du capital d'Orpea. En procédure de sauvegarde accélérée depuis le 24 mars, le groupe a annoncé le 12 mai une perte de 4,03 milliards d'euros pour l'exercice 2022 contre un bénéfice de 65 millions d'euros un an plus tôt. La date limite de l'assemblée générale d'approbation des comptes 2022 a été repoussée au 29 décembre par le tribunal de commerce de Nanterre.

Korian va devenir Clariane à l'international

Secoué par ricochet, Korian veut tourner la page. Il a annoncé le 25 avril devenir une « entreprise à mission ». Formation interne, fonds de solidarité pour les salariés en difficulté, meilleure prise en compte de la satisfaction des résidents : le groupe a détaillé dix initiatives dans le cadre de ce nouveau statut que les actionnaires voteront le 15 juin, lors d'une assemblée générale où il leur sera aussi proposé de doter la société européenne, structure de tête du groupe, d'un nom distinct : Clariane. Le groupe conservera ses différentes marques dans ses différents pays, et donc Korian en France pour ses Ehpad.

En 2022, Korian a rénové 65 de ses Ehpad, mais en a aussi cédé ou fermé 56 au cours des 24 derniers mois pour « accélérer l'adaptation du réseau à l'évolution des besoins et au profil des résidents accueillis ».

Le groupe a publié un chiffre d'affaires de 4,53 milliards d'euros au titre de l'exercice 2022, en hausse de 5,6 % par rapport à 2021 (croissance organique + 6,2 %). Il a réalisé un résultat net part du groupe (hors IFRS 16) de 52 millions d'euros, contre 113,8 millions d'euros en 2021. L'Ebitda hors IFRS 16, a atteint 607,1 millions d'euros en 2022, soit 13,4 % du chiffre d'affaires, contre 597,2 millions d'euros et 13,9 % du chiffre d'affaires l'année précédente. L'annonce de ces résultats a provoqué une chute inédite de l'action.

Onde de choc

L'onde de choc a touché tous les autres opérateurs.

« Chez DomusVi, nous avons tout de suite pris la mesure de l'émotion autour du livre de Victor Castanet et engagé un travail de fond pour apporter de nouveaux gages de confiance aux Français », déclare le groupe qui, après le rachat fin 2021 des 34 Ehpad de Medeos, en totalise 261. La fondation d'entreprise créée en 2022 est appelée à contribuer à cette confiance, tout comme l'outil FamilyVi, dédié aux résidents et à leur famille.

Le groupe Colisée, repreneur en 2021 de 21 établissements cédés par Korian et acquéreur de la société de gestion Les Opalines et ses 47 Ehpad, a atteint le nombre de 156 Ehpad et un chiffre d'affaires de 1,49 milliard d'euros en 2022. Colisée était déjà devenu entreprise à mission en 2021. « Notre rôle sera de veiller à que les performances financières et extra-financières aillent toujours de pair, quel que soit le contexte économique », indique Sarah Chouraqui, présidente du Comité de mission en préambule du rapport 2022

Small is beautiful ? Les suivants du classement ont été médiatiquement épargnés mais ils souffrent de l'image générale dégradée et affichent leur volonté de donner du sens à leur activité - LNA Santé a d'ailleurs baptisé Sens sa démarche d'accompagnement des résidents atteint de pathologies neuro-évolutives.

Iroise Bellevie veut désormais se positionner comme une plateforme gérontologique de services en accompagnant les personnes âgées depuis leur domicile jusqu'à la résidence médicalisée à travers ses marques : Iroise Services (à domicile), Iroise Vie (RSS) et Les Jardins d'Iroise (Ehpad).

Villa Beausoleil - Steva a gardé le réflexe « communication numérique » de la crise sanitaire et l'a largement développé pour maintenir le lien essentiel entre familles et résidents.

Mais cela n'empêche pas un « climat de suspicion exacerbé », note Vivalto Vie, d'où l'augmentation des réclamations des familles et des difficultés supplémentaires de recrutements liées au « désamour » pour le secteur. En contrepied, le groupe adoptera le statut d'entreprise à mission en septembre. Mêmes inquiétudes du côté d'Omeris sur les impacts de la perte de confiance de l'opinion publique.

Aucun ne les évoque mais les plaintes groupées ou éparpillées des familles, y compris celles du premier confinement, risquent de remettre des pièces dans la machine...

Mais la plupart poursuivent aussi, et parfois surtout, leur développement au-delà de nos frontières. Par exemple Emera a acheté deux Ehpad à Antibes mais huit outre-Manche et en Suisse. Pour le groupe Maisons de Famille qui a 13 fois plus de lits à l'étranger, « la crise de confiance que traverse le secteur est d'abord une affaire française » mais « le contexte compliqué conforte la priorité qui fait notre singularité : la qualité d'abord ». Parmi les cinq répondants à notre question sur le taux d'occupation (TO), il affiche 94 %, seul à dépasser le seuil des 90 avec Colisée (96 %).

Préoccupation sur les taux d'occupation

« Déjà percuté par la Covid-19, et malgré une certaine résilience, le secteur souffre d'une image dégradée qui nuit au remplissage des Ehpad et met en péril leur modèle économique », commente Raoul Tachon, consultant expert du secteur sanitaire et médico-social. À partir du diagnostic financier de 520 Ehpad privés, il fournit les outils économiques pour repenser ce modèle dans une étude prospective des Échos Études[1] de janvier 2023.

Le TO est une pierre angulaire. Avant l'épidémie, les grands groupes affichaient des taux de 97 % et plus. Ils ont plongé depuis. Moins de résidents mais plus de marge, c'est possible grâce au levier tarifaire, résume l'auteur : « c'est un vrai pricing power pour un secteur qui évolue sur un marché fermé mais avec des tarifs libres, contrairement aux Ehpad publics asphyxiés par les règles de l'aide sociale ».

Pour lui, des prix de journée supérieurs à 100 euros permettent d'abaisser le point mort à 90 % de TO, voire moins (données 2021). Mais jusqu'où ? L'inflation est sans doute en train de bouleverser la donne : « lorsque le taux de rotation des résidents est de l'ordre de 40 % par an, quelle sera la marge de manoeuvre des Ehpad pour répercuter les augmentations de coûts sur les tarifs des nouveaux entrants sans faire baisser le taux d'occupation ? », écrit Raoul Tachon.

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