La mise en examen de Bernard Bensaïd dans le dossier de la « Mut » de Grenoble est un coup de tonnerre. Mais, partout en France, la multiplication de conflits et litiges laissait depuis plusieurs années présumer de pratiques douteuses. De celles dont « nous faisons la chasse » a déclaré Elisabeth Borne en octobre.
Affaires du groupe Avec : l'étau se resserre
Le rachat de trop ? La clinique mutualiste de Grenoble, rachetée en 2020, a valu le 11 janvier à Bernard Bensaïd et au groupe Avec qu'il préside, une mise en examen et un placement sous contrôle judiciaire pour prise illégale d'intérêts et détournement de fonds publics. Surnommé « la Mut' » par les Isérois, le groupe hospitalier mutualiste (GHM) est un vaisseau de plus de 1 000 salariés pour près de 450 lits. Le deuxième en importance après le CHU.
Les syndicats FO et CGT, auteurs des plaintes déposées en juin 2022, s'étaient d'emblée interrogés sur les conditions de vente par la mutuelle Adrea (groupe Aesio) et la Mutualité française de l'Isère d'un établissement de santé privé d'intérêt collectif (Espic) à un groupe commercial... même si les acquéreuses étaient Doctocare et les Mutuelles de France du Var, deux mutuelles du groupe Avec. Deux faux nez ? La justice le dira. Outre les salariés, la ville, la métropole et les usagers réunis en comité de défense se sont très vite alarmés.
Elisabeth Borne sonne la charge
Rétrospectivement, certains propos de la Première ministre, tenus deux mois et demi avant la mise en examen, ont-ils sonné la charge ? Interrogée le 25 octobre dernier de manière offensive par le député de la circonscription sur la situation (qui vire au cauchemar) des thermes de Plombières-les-Bains (Vosges), Elisabeth Borne, a répondu tout aussi cash : « Nous avons affaire à un investisseur qui ne respecte ni ses engagements, ni les acteurs du territoire qui lui ont fait confiance, ni les salariés des thermes de Plombières. Nous connaissons ce type de pratiques et nous leur faisons la chasse ». Elle l'a assuré : « Nous ne laisserons pas des acteurs financiers opportunistes chercher des appuis publics sans jamais tenir leurs engagements (...). ll n'y a et il n'y aura aucune complaisance, aucune facilité, aucune naïveté des pouvoirs publics vis-à-vis de ce groupe, quels que soient les soutiens imaginaires qu'il invoque ». Elisabeth Borne est camarade de promotion de Bernard Bensaïd à Polytechnique, ce dernier aimant se prévaloir de ses amis ministres et ex-ministres, jusqu'à recruter l'un d'entre eux en juin 2022,Yves Jégo, comme numéro 2.
En attendant, Plombières-les Bains, 1 700 habitants, assiste impuissante au délabrement des thermes Napoléon, pourtant véritable trésor architectural, et attend depuis près de trois ans leur réouverture après feu vert définitif de l'agence régionale de santé... une fois terminés dans les règles les travaux sur l'ensemble du réseau d'eau contaminé par légionelles, bactéries coliformes et Escherichia coli. La commune qui est restée propriétaire des sources a assigné la Nouvelle Compagnie thermale (filiale d'Avec) en redressement ou liquidation judiciaire devant le tribunal de commerce de Paris pour récupérer la redevance non payée, environ 300 000 euros, et selon France 3 préfère trouver un « vrai partenaire thermal » pour l'avenir.
Au commencement était l'Amapa
L'aventure médico-sociale de Bernard Bensaïd a pris son essor il y a une dizaine d'années avec la reprise en novembre 2012 de l'Association mosellane d'aide aux personnes âgées (Amapa) par son groupe DocteGestio, devenu Avec en 2021. Cinquantenaire, l'association était selon l'expression du Républicain lorrain « un mastodonte de l'aide à domicile à la dérive», 24 millions d'euros de passif et 2 000 salariés dans l'angoisse. L'Amapa devient alors une « marque » du groupe commercial, 6 700 salariés accompagnant 40 000 seniors, selon le communiqué anniversaire des 10 ans de la reprise.
ADMR de Corrèze, ADMR Artois-Sud, association Corssad en Corse, AD-72 dans la Sarthe... Le groupe Avec devient très vite un repreneur à l'affût de services d'aide à domicile en difficultés, partout en France. Promesses d'investissement non tenues, conflits avec les représentants des salariés, avec les élus locaux, la réputation vite devenue sulfureuse du groupe ne semble pourtant pas freiner son ascension.
Dans le Tregor, douze villages d'irréductibles Bretons ont néanmoins fait de la résistance contre les irrégularités dans la gestion de l'association d'aide à domicile Ti Jikour rachetée par l'Amapa en 2016. Leurs élus se sont opposés à sa fusion avec le comité d'entraide du Kreiz-Breizh, aussi géré par l'Amapa. Ils ont porté l'affaire devant la justice. Le tribunal de Saint-Brieuc, le 10 juin 2021, a relevé de nombreuses irrégularités dans la gouvernance de l'association et refusé la fusion, jugement confirmé le 29 mars 2022 par la cour d'appel de Rennes. Mais Ti Jikour a formé un pourvoi en cassation.
L'Ehpad du Sansonnet
Le groupe Avec, via l'Amapa, est aussi un acteur important dans le secteur des Ehpad. En Moselle, Bernard Bensaïd n'avait pas hésité à annoncer la construction (pour 2019) du « plus bel Ehpad de France », assorti d'une résidence autonomie, dans le nouvel écoquartier Le Sansonnet de Metz. Près d'une centaine de lits, il devait regrouper les résidents/locataires de deux établissements aussi gérés par l'Amapa, l'Ehpad La Grange aux Bois à Metz et la résidence autonomie Marie-Noëlle de Longeville-les-Metz. Mais le chantier a beaucoup tardé à démarrer, quatre ans, ce qui a suscité de sérieux doutes sur son financement de la part de la société publique Saremm, l'aménageur de la ville de Metz, qui a saisi la justice. En première instance, le tribunal judiciaire de Metz a donné raison à cette dernière et dans un jugement du 23 mars 2022 a prononcé la résolution de la vente conclue le 12 janvier 2017. Vente annulée, terrain à restituer et donc chantier tout juste démarré à arrêter. Le groupe Avec a fait appel de ce jugement. En attendant la décision sur le fond, il a demandé en référé à la Cour d'appel de Metz de surseoir l'exécution du jugement du 23 mars pour pouvoir reprendre les travaux- les fondations et caves ont déjà été coulées. Non, a répondu la justice par ordonnance du 16 juin 2022. On en est là. La date de l'appel n'est pas encore fixée.
Côté ville de Metz, le 26 janvier, le point 1 du conseil municipal a été la présentation d'un rapport interne demandé six mois auparavant sur les relations juridiques et financières entre la ville et le groupe Avec, via l'Amapa. Dénonçant « une fuite en avant qui ne peut que mal finir », le maire François Grosdidier a souhaité que les activités de l'Amapa « changent de main, au plus vite, et soient reprises par un repreneur sérieux ».