Dans le n° 73-octobre 2016  -  Chronique Serge Guérin  5934

Aidants et société de la sollicitude

Une révolution silencieuse majeure est en cours : la reconnaissance du rôle essentiel des patients et leurs proches aidants par le monde médical et, plus largement, la société.

Les malades et ses proches sont engagés dans un processus de reconnaissance citoyenne. Elle oblige les médecins et l'ensemble des soignants à mesurer que le soin n'est pas qu'une affaire de technique et de normes, mais repose aussi sur l'échange et la relation avec la personne malade ou en déficit d'autonomie et son entourage. Les maladies ne sont pas neutres, ni égales en termes de reconnaissances sociales, de capacité de mobilisation médiatique ou de capacité à lever des fonds pour la recherche, le développement de réponses appropriées, la prévention...

Au-delà, la question politique posée concerne les conditions pour réinventer une démocratie concrète où les citoyens ont non seulement la parole mais aussi la capacité d'agir. Et de choisir. La déclaration de Denvers portée par les premiers militants de la reconnaissance du VIH, en 1983, résume bien une exigence démocratique qui va bien au-delà des enjeux de santé : " Rien pour nous sans nous ". C'est la société civile qui veut s'imposer, être un contre pouvoir, participer des choix de politique publique... Valoriser les aidants, prendre la mesure du rôle central du patient dans le soin, revivifier les solidarités sociales, énoncées par Durkheim comme base de la société, relancer une pratique du pacte républicain et laïc, et penser la société d'inclusion des plus fragiles.

A côté des institutions, et à côté de ceux dont le métier - ou le statut - est de savoir, se forme une République de pairs qui symbolise l'an II de la solidarité.

Cette solidarité de proximité, géographique ou via les réseaux numériques, permet à des personnes fragilisées et partageant un même type de situation de s'entraider, de se soutenir, de transmettre de l'information, de développer des réseaux, de construire de nouveaux rapports d'expertise et de savoir.

Reste que cette reconnaissance, cette politique effective de la sollicitude et de l'accompagnement peut aussi apparaître comme une manière d'organiser ce qui semble inéluctable : un repli de l'Etat. Les aidants de proche apparaissant alors comme des supplétifs de la solidarité et de la santé publique qui, finalement, permettent au système de soin de se maintenir sans se remettre en question. Les politiques publiques et les soignants reproduisent à l'identique un modèle qui pourtant paraît chaque jour plus éloigné des attentes et plus couteux.

La traduction politique du soutien à l'aidant passe par une redéfinition de l'Etat et de ses solidarités institutionnelles.

Rappelons que l'Etat providence en contribuant à généraliser la protection sociale a donné les outils pour l'accès à la dignité et à l'autonomie sociale des personnes. Mais il importe que l'Etat change son approche : il ne s'agit plus de faire pour et à la place des personnes mais de faire avec. A chacun de choisir son chemin, de construire son projet, d'être auteur de sa vie, mais en étant soutenu par d'autres. Il importe sans doute que l'Etat se recentre plus sur des domaines d'action spécifique dont le soin et l'accompagnement, mais aussi la formation, l'école ou la santé. Il importe surtout que l'Etat invente une politique de la prévention et innove en faveur de l'accompagnement social et personnalisé. Loin d'ouvrir à une inflation de dépenses, cette approche peut se révéler rentable et efficiente en termes économiques. Plutôt que de dépenser plus, il s'agit d'investir mieux.

@Guerin_Serge

Professeur à l'INSEEC Paris

Directeur du MSc " Directeurs des établissements de santé "

Dernier ouvrage : Silver Génération. 10 idées fausses à combattre sur les seniors , Michalon

01/10/2024  - Ce qui se voit...

Luxe, calme et propreté

S'il est bien une condition indispensable au bon fonctionnement des Ehpad, c'est à n'en pas douter l'hygiène des locaux. Nettoyage, bionettoyage, hygiène du linge... Les consignes et protocoles ne manquent pas pour assurer l'organisation et l'évaluation de ces tâches quotidiennes. Et pourtant, ce travail reste invisible. Ou plutôt, il n'est visible que quand il n'est pas fait. Paradoxe ?
01/10/2024  - Billet

Les vieux aussi !

Serge Guérin me pardonnera de paraphraser le titre de son dernier ouvrage en date* pour titrer mon billet. Vous l'avez lu ou en connaissez le thème : bousculer les idées reçues sur le désintérêt des « vieux » en matière de gestes écologiques et solidaires. Tribune pour répondre à ceux qui pensent que ces générations issues de la deuxième guerre mondiale et des années cinquante ont abusé des trente glorieuses et se moquent des incidences climatiques et générationnelles futures. Elles pourraient pourtant donner des leçons d'économies à beaucoup en matière d'eau, de déchets et de courage. Une anecdote a fini de me convaincre. Récemment par une belle journée je me dirigeais vers la déchetterie suite à des travaux de jardin et je vis sur le bord de la route une personne âgée, courbée et tirant deux chariots utilisés pour les courses. Je me fis la remarque du courage de cette personne sachant que le commerçant le plus proche était à bonne distance. Sur la route de mon retour, je la revis. Quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'en fait cette dame âgée ramassait des deux bords de la route les déchets que les « clients » de la déchetterie laissaient tomber de leurs remorques en roulant. Je ralentis pour en avoir la certitude et raconter ce vécu à l'ami Serge. Plus encore, je décidais en ces temps riches d'à priori primaires d'en faire le thème de ce billet. Méfions-nous de ces raccourcis trop faciles. Oui, les vieux « aussi » sont sensibles à ces sujets qui mobilisent beaucoup de jeunes, à juste titre. Gardons-nous de ces clichés clivants. Demain ne pourra se construire qu'en faisant société, intelligemment, avec tolérance et respect. Et dès lors, même si mon propos est naïf, il fera bon vivre ensemble. ...
01/07/2024  - Billet

La victoire appartient au plus opiniâtre

...
01/06/2024  - Toucher

Découvrir le corps

Toucher des corps qui ne sont ni les nôtres ni ceux des proches aimés. Les couvrir et les découvrir, au gré des soins et des besoins de chacun. Les toucher avec pudeur et respect, dans l'intimité d'une chambre. C'est notre quotidien de soignants, qui prenons soin de ceux qui ont besoin d'assistance pour les actes simples de la vie.
01/06/2024  - Partie I

Virage domiciliaire: Les risques du tête à queue...

Le « virage domiciliaire » est une formule qui sent bon la novlangue administrative et le poncif bureaucratique. Voici des années que ce virage est annoncé, que de nombreuses caravanes publicitaires stationnent sur les aires d'autoroute de la seniorisation... Pour autant, le bilan est maigre.
16/05/2024  - Billet

Éloge du temps

Le débat sur la fin de vie est en cours. Tel un marqueur politique nécessaire, il a été décidé d'en accélérer la réflexion. Il est vrai que le sujet est plus que sensible car on le constate déjà, la sémantique le dispute au fond. On évoque un « modèle français », qui de mon point de vue sera difficile non seulement à construire mais aussi à mettre en oeuvre. Il a été dit qu'il fallait donner du temps au temps. Et cette formule est reprise bien souvent et complaisamment. Sans vouloir procrastiner, car il est légitime qu'une société évolue, j'ai pour autant l'humilité de penser que notre pays est assez enclin à légiférer et « sur-légiférer » sans s'assurer de la réelle application des lois déjà votées. Un consensus se dégage ainsi pour affirmer qu'en matière de fin de vie, la douleur est le facteur essentiel. Et que le nombre de places en soins palliatifs est non seulement insuffisant mais géographiquement injuste. Le sujet presque tabou est difficilement évoqué. Triste constat. La loi Claeys-Leonetti est incomprise, souvent non mise en oeuvre. Elle correspond pourtant à un encadrement important et nécessaire de ces moments si difficiles. ...
01/05/2024  - Billet

Marqueurs de bienveillance

Les débats sur la loi « Bien vieillir » agitent les acteurs du secteur médico-social. Le grand public est plus préoccupé par d'autres sujets sociétaux, anxiogènes et médiatiquement plus à la « une ». Encore une fois, le grand âge est victime du syndrome de l'indifférence et d'un manque de volonté politique face au mur qui se rapproche de plus en plus. C'est un combat permanent, lassant, décourageant souvent, mais essentiel cependant selon le terme si employé lors de la récente pandémie. ...
01/05/2024  - Partie IV

Pas de société de la longévité sans volonté de valoriser les métiers du care

Pour poursuivre notre série sur la valorisation des métiers du care, évoquons les initiatives visant à améliorer très concrètement le quotidien des femmes et des hommes (surtout des femmes) qui travaillent auprès des plus fragiles.
01/05/2024  - Chronique

Et si on arrêtait de cacher les vieux?

La France des vieux, c'est la France du passé, la France d'hier. Place aux jeunes, à la modernité et à l'innovation digitale ! Bien entendu, je ne suis pas sérieux... Je vous imagine déjà sursauter...