C'est dans la boîte !
Que peut-on faire avec une caisse à vin et des souvenirs ? " Travailler la réminiscence, faire émerger des souvenirs, répond sans hésiter Marie-France Caparros, responsable de l'animation des EHPAD Louis-Pasteur et Jean-Rostand de Saint-Cyprien (Pyrénées Orientales). Et aussi mettre en valeur la personnalité et le parcours du résident, réunir les familles, développer du lien avec les soignants,... " L'idée des boîtes-souvenirs vient du Réseau Européen de Réminiscence, dont les établissements, dirigés par Mme Marie-Madeleine Gastaldi-Adler, sont membres. Parler de réminiscence demande une petite explication : si la maladie d'Alzheimer atteint en priorité la mémoire immédiate du patient, elle épargne relativement la zone du cerveau où sont stockés les souvenirs anciens lors des premiers stades de la maladie. " La réminiscence est utile car elle stimule la mémoire ancienne, explique Marie-France Caparros, par ailleurs sociologue. De plus, elle procure du plaisir aux personnes qui s'y livrent, si elles sont accompagnées dans cette démarche. "
La boîte à souvenir : un projet très structuré
Forte de ces convictions, la responsable d'animation a précédemment mis en place un travail sur les récits de vie, écrits et imprimés. Le projet a montré ses limites. " Pour faire revivre le récit, il faut le relire à chaque fois, tempère la responsable d'animation. La boîte-souvenirs, elle, génère spontanément la curiosité du visiteur. Aidé par ces objets qui portent son identité, le résident peut exposer ses souvenirs et les transmettre. " Pas question toutefois de rassembler quelques bricoles au hasard dans une boîte à chaussures... La boîte-souvenir fait l'objet d'un process très structuré. D'abord, l'activité nécessite l'accord de la personne et une bonne connaissance des fragilités des personnes : parcours médical, parcours familial, histoire personnelle, événements pénibles... Pour cela, Marie-France Caparros mène une série d'entretiens individuels. " C'est la personne qui choisit ce qu'elle veut communiquer, les périodes qu'elle veut mettre en scène, insiste-t-elle. Ensuite seulement elle peut faire la liste des objets qui vont illustrer ses choix. " Ici une photo de mariage, là une fleur séchée,... Les objets sélectionnés doivent pouvoir être fixés solidement - on va le voir, les boites voyagent - et l'ensemble est pensé pour être créatif et esthétique.
Une machine à coudre miniature
Définir des objets est une chose, les trouver en est une autre. Aussi chacun, famille ou soignant, devient accessoiriste. Un soignant est allé acheter des figurines de joueur pour ce résident ancien rugbyman, une soignante a fini par dénicher une machine à coudre miniature, pour cette dame qui aimait coudre,... La famille n'est pas en reste, qui jubile quand elle a une nouvelle idée d'objet.
Il faut aussi rédiger une légende autobiographique, complémentaire de la boîte. " Certains écrivent peu mais montrent beaucoup d'objets. D'autres résidents font exactement l'inverse ! ", souligne la responsable d'animation.
Reste le problème des boîtes. " Il faut des caisses à vin de six bouteilles, pas de douze, précise l'animatrice. Nous les trouvons chez les cavistes. Attention, ils n'en ont pas toute l'année ! " Une fois trouvée, la boîte doit être préparée. Certaines familles emportent les boîtes, les poncent, les peignent. Ce travail est de longue haleine. Il faut compter trois mois minimum, parfois un an. Le jeu toutefois en vaut la chandelle. " Je suis émue, mais c'est de la bonne émotion ", a dit Eugénie une résidente devant sa boîte. Les familles sont gagnantes aussi. " Cela leur fait du bien de voir que son leur parent n'est pas qu'une personne fragilisée, confie Marie-France Caparros. La boîte-souvenir recrée du lien car elle offre des sujets de conversation. Souvent les familles ne savent pas quoi dire et se cantonnent aux repas, au sommeil,..." Bénéfice aussi pour les soignants : en découvrant les parcours de vie, qui font parfois écho à l'histoire de leurs grands-parents, les soignants développent une autre relation avec les résidents.
Dernier avantage : l'activité annonce un coût faible. La réalisation de boîtes-souvenirs requiert une perceuse, quelques fournitures... et des bonnes volontés. Pourtant, les frais ont augmenté. Victime de son succès, l'association édite maintenant un livret (photos et textes) pour promouvoir sa démarche. Elle participe à des expositions dans les hôpitaux, au Conseil Général, dans les classes de BEP sanitaire. Elle va à la rencontre des lycéens, qui eux présentent des boîtes d'avenir. L'animatrice a même réalisé un film sur ce sujet. Pour financer ce bouillonnement d'activités, la directrice a su trouver des partenaires : AG2R, l'ONAC (Office National des anciens Combattants), la Mairie de Saint-Cyprien. Les boîtes partent bientôt à Barcelone (avec cette fois le soutien de fonds européens) pour une réunion du réseau Réminiscence.
Les boîtes-souvenirs ? Une démarche dont il faudra se rappeler.
Marie-Suzel Inzé
Repères
Association Vivre le 3e âge - Saint-Cyprien dans les Pyrénées Orientales
EHPAD Louis-Pasteur : 110 résidents
EHPAD Jean-Rostand : 70 résidents
Directrice : Marie-Madeleine Gastaldi-Adler
Réseau Réminiscence Européenne
Le Réseau Réminiscence Européenne (The European Reminiscence Network) vise à promouvoir les meilleures pratiques dans le travail de réminiscence et de partager leur expérience à travers les frontières nationales. Coordonné par Pam Schweitzer, depuis sa création en 1993, le réseau a maintenant des membres dans 20 pays et compte des partenaires aux Etats-Unis, Canada, Inde, Amérique Latine, Australie et Extrême-Orient. Tous ces projets sont documentés et font l'objet d'une évaluation externe. Certains ont donné lieu à des publications largement utilisées. http://www.europeanreminiscencenetwork.org/