Directeur général de la Croix-Rouge française depuis 2016, Jean-Christophe Combe s'est livré à l'exercice de l'interview. L'occasion de dresser un bilan des actions de l'association au profit des plus âgés.
Ce qui nous inquiète le plus, ce ne sont pas les EHPAD mais bien les services à domicile dont le modèle économique est très fragile
Comment la Croix rouge française accompagne t-elle aujourd'hui le secteur du grand âge ?
Les actions de la Croix-Rouge française auprès des personnes âgées sont nombreuses. Dans nos 33 EHPAD, 5 résidences autonomie, 27 SSIAD et 14 SAAD, nous accompagnons près de 40 000 personnes. Nous sommes particulièrement attentifs à la qualité de cet accompagnement.
Près de 3 000 bénévoles sont également engagés aujourd'hui dans des actions de proximité qui touchent plus de 13 000 personnes âgées isolées. Ces actions visent à lutter contre l'isolement relationnel des personnes âgées à domicile et en établissement : visites de courtoisie, animations en établissement, vestiboutiques en EHPAD, séjours vacances, réseau d'écoute, transport social. Par ailleurs, 22 équipes bénévoles de la Croix-Rouge se sont engagées dans la démarche de MONALISA en signant la charte d'équipe citoyenne et 11 départements participent activement aux coopérations départementales. Depuis mon arrivée en 2016, nous avons renforcé les liens entre domicile et EHPAD en particulier en lançant une expérimentation d'EHPAD@dom.
Vous avez développé un véritable pôle "Personnes âgées". Quelles sont ses missions ?
Trois missions principales. Représenter la Croix-Rouge auprès des pouvoirs publics et porter du plaidoyer, traduire les orientations des politiques publiques en stratégie Croix-Rouge française et la décliner auprès des établissements. Enfin, accompagner en expertise métier les structures personnes âgées et domicile dans le développement, les CPOM, les projets d'établissements, le recrutement, les projets immobiliers, le suivi de l'exploitation, la qualité...
Que penser de l'Ehpad bashing et de la souffrance des professionnels ?
Les difficultés liées à l'exercice des professionnels doivent être prises en compte et des axes d'amélioration doivent être trouvés. Mais il faut également reconnaître ce qui a déjà été entrepris : les EHPAD ont considérablement augmenté le niveau de qualité de leurs prestations au cours de ces 20 dernières années et les professionnels y sont de mieux en mieux formés. Même si dans le même temps, la perte d'autonomie des personnes âgées en EHPAD s'est aggravée. Il est par conséquent indispensable de continuer à améliorer les moyens et la qualité dans ces établissements
Comment le secteur associatif résiste t-il aux groupes privés ? Quelles sont ses pistes de développement ?
Tout d'abord, c'est la spécificité de notre secteur qu'il faut prendre en compte: les valeurs que porte notre association se retrouvent dans nos pratiques d'accueil et d'accompagnement. Mais cela ne suffit pas. Il nous faut aussi faire évoluer nos dispositifs pour développer régulièrement nos activités, tout en restant fidèles à notre identité. C'est pourquoi nous avons mis en place une stratégie d'innovation sociale ambitieuse qui touche tous les pans de notre activité, y compris celle de nos EHPAD. Dans le cadre de cette stratégie, nous venons de lancer un accélérateur d'innovation sociale pour porter des projets de salariés et de bénévoles internes à la Croix-Rouge mais également ceux de start-ups. L'objectif est de promouvoir de nouveaux produits ou services, à forte utilité sociale pour les personnes que nous accompagnons, soignons ou pour les professionnels.
En EHPAD, la Croix-Rouge française mène actuellement une expérimentation, EHPAD@dom sur le territoire de Sartrouville. Le principe : s'appuyer sur les services déjà existants de l'EHPAD pour renforcer l'accompagnement à domicile et la lutte contre l'isolement social. Ce dispositif fonctionne sur la complémentarité d'un EHPAD et d'un SSIAD, qui peut être complétée par des services d'accueil temporaire et d'accueil à la journée. La coordination est assurée par l'EHPAD (IDEC et médecin coordonnateur comme si la personne était en EHPAD), ainsi que l'évaluation et l'élaboration du projet personnalisé. La personne peut, si elle le souhaite, prendre ses repas dans l'établissement et participer aux activités d'animation, sociales et culturelles. Des actions de prévention sont organisées. L'ouvrier d'entretien de l'EHPAD peut se rendre à domicile pour réaliser de petits travaux. L'EHPAD se coordonne avec le SSIAD pour les soins de nursing et avec le SAAD pour les actes de la vie quotidienne et l'accompagnement véhiculé. Le dossier informatisé est par tagé entre EHPAD, SSIAD et SAAD . Une astreinte infirmière de nuit est mise en place à l'EHPAD. Elle bénéficie à la fois aux résidents de l'EHPAD et aux personnes accompagnées par l'équipe EHPAD@DOM. Un lit d'accueil d'urgence est également disponible. Un partenariat avec Bluelinea, plate-forme d'assistance, permet de proposer aux personnes âgées suivies à domicile de bénéficier d'un système de téléassistance et de détection de chutes.
Comment l'association que vous dirigez s'est-elle impliquée dans la concertation grand âge ? Qu'en attend t-elle précisément ?
La Croix-Rouge française a été complètement associée aux travaux. Elle a en particulier participé à l'atelier 6 consacré à l'évolution des métiers et au groupe de travail sur l'interopérabilité des systèmes d'information. Elle y a porté de nombreuses propositions (sur la solvabilisation des personnes, la silver économie, les droits des personnes, sur l'amélioration du cadre de vie, sur les métiers, sur les parcours, sur les systèmes d'information...). En résumé, elle en attend surtout des mesures concrètes pour mieux solvabiliser les personnes, renforcer leurs droits, assurer des parcours de soins et d'accompagnement plus fluides et lutter contre la solitude.
Quelles sont vos réponses face aux enjeux démographiques et aux difficultés actuelles des EHPAD ?
Nous pensons qu'il faut vraiment vraiment s'appuyer sur les EHPAD, comme plate-formes de services sur un territoire pour renforcer l'offre à domicile. C'est ce que nous souhaitons promouvoir à travers notre expérimentation d'EHPAD@dom à Sartrouville. Ce qui nous inquiète le plus, ce ne sont pas les EHPAD mais bien les services à domicile dont le modèle économique est très fragile et pour lesquels la réforme du financement en cours d'élaboration ne nous semble pas du tout à la hauteur des enjeux.
Comment valoriser les emplois en EHPAD pour favoriser les vocations et l'engagement des plus jeunes ?
Il faut donner une meilleure image de ces établissements. Les difficultés de recrutement sont particulièrement fortes pour les aides-soignants. Il me paraît indispensable de rendre ce métier plus attractif en offrant aux jeunes des perspectives de carrière. En effet, devenir infirmier est devenu beaucoup plus difficile pour un aide-soignant depuis que le niveau des infirmiers a été aligné sur la licence. Il est donc impératif d'imaginer d'autres évolutions professionnelles. C'est pourquoi la Croix-Rouge française a proposé que certains aides-soignants puissent, en deuxième partie de carrière, exercer en tant que coordinateurs. Ils pourraient encadrer des équipes d'aides-soignants, pour garantir l'individualisation de l'accompagnement, animer les équipes, gérer les réclamations, le temps de travail au quotidien, le matériel. La Croix-Rouge française a proposé également que des aides-soignants puissent exercer des fonctions d'assistants médicaux, le nouveau métier proposé dans le cadre de la stratégie de santé.
Si vous deviez adopter une mesure en faveur des EHPAD, quelle serait-elle ?
Je renforcerais leurs moyens car les personnes âgées, dont les professionnels s'occupent au quotidien, ont besoin d'un niveau de soins et d'accompagnement élevé.