Dans le n° 116-avril 2020  - Politiques publiques  11031

Cinq leviers pour le futur projet de loi Grand âge et Autonomie

Pour le Professeur Sandra Bertezène, titulaire de la chaire de gestion des services de santé au Conservatoire national des Arts et Métiers, les services et établissements pour personnes âgées ont besoin d'une loi Grand Age et Autonomie qui développe une « solide conscience collective des crises sanitaires grâce à cinq leviers, qui englobent et vont au-delà des priorités définies par les rapports Libault et El Khomri de 2019 ».

1. Organiser l'amélioration continue de la fiabilité

Ce premier levier ne peut pas être actionné correctement si les modes de financement persistent à ne pas valoriser le capital immatériel. Temps et compétences mobilisés sans compter, solidarité et engagement des personnels, qualité et bientraitance malgré les tensions extrêmes durant cette pandémie en sont des exemples. Pire, les ressources mobilisées pour améliorer la fiabilité sont aujourd'hui considérées comme superflues, venant empiéter sur celles allouées à des activités considérées comme directement productives et financées par la tutelle (la production de services financée : soins, etc.).

2. Prendre des décisions pertinentes et rapides

Un système de veille sanitaire efficace, qui coordonne les informations aux plans mondial, européen et national est un premier pas pour élargir le regard sur la réalité en analysant les différents points de vue, des données diverses diffusées à tout moment en provenance de sources multiples. Plus largement, il s'agit de rationaliser les dépenses tout en limitant les effets de la myopie due à un excès de simplification des problèmes. L'objectif est de changer la manière de penser en combinant systémique et relation simple de cause à effet afin de prendre des décisions politiques plus éclairées, et déclencher des actions pertinentes et rapides au sein des services et des établissements.

3. Être extrêmement sensible au contexte opérationnel

Certes, les organisations réagissent rapidement grâce à l'activation de procédures exceptionnelles telles que le plan bleu, et il faut ici souligner leur capacité d'adaptation extrême en dépit des circonstances. Indépendamment de la crise sanitaire actuelle, la logique de court terme et ultra normative rigidifie le fonctionnement. La subsidiarité et les décloisonnements s'effacent au profit d'une hypernormalisation imposée par la tutelle. Cette situation nous invite non pas à rejeter les règles, mais à développer une véritable dialogique routine/souplesse pour traverser sereinement les crises sanitaires grâce à des établissements agiles, concentrés sur le prendre soin.

4. Soutenir la résilience et la construction de sens

Nous assistons à la mobilisation et à l'engagement sans faille des personnels pour affronter la pandémie. En outre, la combinaison inédite de différentes compétences a déjà permis de trouver des solutions inédites à des problèmes inédits, comme les masques en tissus lavables fabriqués par des PME qui convertissent leur outil de production. La solidarité et la créativité sont des facteurs majeurs de résilience. Sans résilience, il n'y a pas de construction de sens et sans construction de sens, la survie de l'organisation et du système de santé tel que nous le connaissons serait remise en question. Il s'agit donc de soutenir cette résilience, notamment en investissant dans les métiers du grand âge comme le préconisent les rapports Libault et El Khomri.

5. Assouplir les liens hiérarchiques et les barrières entre soignants et gestionnaires

La division du travail à l'intérieur des organisations et entre les organisations fait obstacle à l'autonomie, la subsidiarité et donc au décloisonnement, à la coopération entre acteurs (médecins, soignants, personnes âgées, proches aidants, chercheurs, etc.), aux projets interdisciplinaires (d'où les préconisations des rapports Libault et El Khomri de mettre fin aux réponses en silos dans le parcours de la personne âgée et de privilégier des réponses hybrides domicile-établissement), etc. Il en résulte un fort clivage : les exigences émanant de la sphère gestionnaire sont souvent perçues par le corps soignant comme étant peu humanistes, souvent inutiles et contraire à toute forme d'agilité alors que cette dernière est indispensable pour gagner en fiabilité.

Pour conclure...

Le Covid-19 rend obsolètes nos certitudes. L'illusion serait de croire que nous ne connaitrons plus jamais pareille situation alors que nous ne mesurons pas encore l'ampleur des conséquences de cette crise. Préparons-nous donc à travailler différemment, notamment pour une plus grande conscience collective des crises.

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