En Ehpad, l'exercice du droit à la sexualité questionne les directions comme les équipes : comment assurer le respect de la vie affective et sexuelle des résidents malgré leur vulnérabilité ?
Comment favoriser le respect de la vie affective et sexuelle des résidents ?
Dans une société coutumière des relations amoureuses exposées, la sexualité des seniors reste méconnue du grand public[1].
La distinction entre droit et liberté
Parce qu'elle n'est pas reconnue expressément par un texte juridique, la vie affective et sexuelle est considérée comme l'un des aspects de la vie privée, protégée par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que par l'article 9 du Code civil relatif au respect de la vie privée. La question reste donc de savoir s'il s'agit d'un droit-créance opposable ou d'un droit-liberté. Le droit-créance contribue à la dignité de l'individu et nécessite l'intervention de l'État pour qu'il soit mis en oeuvre et protégé. A contrario, le droit-liberté exige que l'État offre à l'individu une autonomie et la possibilité d'agir sans contrainte. En matière de vie affective et sexuelle, on parlera ainsi de droit-liberté et plus précisément d'un droit d'accès à une vie sexuelle. Dans un Ehpad, il serait difficile d'exiger de l'institution la mise en application d'un droit à la sexualité. Cela impliquerait que l'établissement doive assurer l'épanouissement sexuel du résident par tout moyen, ce qui pose notamment la question de la sollicitation d'un assistant sexuel - illégal en France[2].En revanche, l'établissement pourra mettre en oeuvre les bonnes pratiques professionnelles allant dans le sens du respect de la personne, de son corps, de son consentement, de sa dignité et du respect de sa vie privée.
L'absence de textes spécifiques
Il n'existe pas de cadre juridique précis en matière de sexualité en Ehpad. Cependant, la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002, rénovant l'action sociale et médico-sociale, a introduit le droit au respect de la vie privée et de l'intimité de l'usager. L'article L. 311-3 du Code de l'action sociale et des familles fait référence à des composantes de la vie affective et sexuelle : respect de la dignité, de l'intégrité, de la vie privée et de l'intimité. Deux textes réglementaires ainsi que les recommandations de l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) confirment également le caractère privatif de la chambre du résident[3]. La loi d'adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015 prévoit que « les maisons de retraite médicalisées [...] sont à la fois des lieux de soins et de vie [...] conçus de manière à mieux intégrer les souhaits de vie privée des résidents, leur intimité et leur vie sexuelle ». Cette disposition indique l'intention de conserver l'esprit d'un lieu de vie, alors que trop d'Ehpad sont conçus sur un modèle hospitalier où la vie intime ne peut pas s'exprimer.
Le consentement du résident vulnérable
Le consentement suggère que deux (ou plusieurs) individus ont accepté la réalisation d'un acte sexuel. Il s'agit de la manifestation de l'autonomie de la volonté qui doit s'apprécier au moment de l'acte (et non avant ou après). Les professionnels évoquent fréquemment leur appréhension vis-à-vis du résident vulnérable, atteint de troubles de la démence ou aphasique. Il est ainsi recommandé aux professionnels désireux de permettre l'exercice de la liberté tout en protégeant le résident de procéder à une évaluation pluridisciplinaire des situations. La concertation permettra une analyse des souhaits des résidents et le positionnement de l'équipe. Dans ce contexte, le droit se voit contraint de s'immiscer dans l'intimité de l'individu. À défaut de consentement exprès, il conviendra de séparer les individus afin d'éviter un abus sexuel, pour lequel la vulnérabilité sera un facteur aggravant des peines pénales encourues[4].
Garantir l'effectivité de la liberté affective et sexuelle
Respecter et considérer les désirs affectifs permettra également à chaque résident de s'épanouir sans tabou ni jugement. À l'échelle institutionnelle, différentes mesures peuvent être mises en place afin d'inclure la vie affective et sexuelle dans une démarche éthique et déontologique :
- Insérer le volet affectif dans le projet de vie du résident : pouvoir recevoir son/sa partenaire dans sa chambre, privilégier les lieux de convivialité propices aux rencontres, bénéficier d'un lit double (même médicalisé), frapper et attendre avant d'entrer dans la chambre afin d'éviter toute intrusion dans l'intimité, donner des pancartes « ne pas déranger », favoriser les chambres communicantes, respecter le plaisir solitaire ou en couple, respecter le visionnage de films pornographiques (en chambre sans importuner les autres résidents), mentionner la notion de vie affective et sexuelle dans sa diversité (hétérosexuelle, homosexuelle...) dans le livret d'accueil et le contrat de séjour/document individuel de prise en charge.
- Former et sensibiliser le personnel, informer les familles des actions destinées à respecter le désir et l'intimité du résident, qui, y compris sous protection juridique, ne peut se voir refuser de fréquenter les personnes de son choix, même à la demande de sa famille[5].
Le droit invite ainsi à réfléchir et à veiller à ce que la vie des résidents soit digne et sereine dans toutes ses dimensions, y compris celle de la vie affective et sexuelle
Anne-Sophie Moutier
Juriste, consultante, formatrice, enseignante universitaire spécialisée en droit de la santé et médicosocial