Dans le n° 163-octobre 2024  - Métier  17168

Comment mieux accompagner la fin de vie ?

Souvent la dernière demeure des personnes âgées, l'Ehpad est un acteur important des soins palliatifs en France. De plus en plus d'établissements prennent des initiatives pour briser le tabou autour de la mort et mieux accompagner les résidents en fin de vie.

« La mort est encore un sujet tabou, même à l'hôpital gériatrique où elle est pourtant quotidienne », écrit le Dr Véronique Lefebvre des Noëttes dans son dernier livre Mourir sur ordonnance ou être accompagné jusqu'au bout (éditions du Rocher). Alors qu'un décès sur cinq survient en Ehpad, ces établissements jouent un rôle clé dans le bien mourir et l'accompagnement de la fin de vie. D'après la troisième édition de l'Atlas des soins palliatifs, 80 % des structures avaient intégré un volet palliatif en 2019, contre 62 % en 2011. Toujours d'après l'étude, 91 % informent les résidents sur la possibilité de rédiger leurs directives anticipées. Pourtant, ce sujet prioritaire pour 74 % des responsables d'établissements reste délicat à aborder. « Ils s'interrogent sur le bon moment et la meilleure manière de le faire, craignant d'être trop brusques », observe Sarah Dumont, fondatrice de l'organisme de formation spécialisé sur le deuil et la mort Happy End. Pierre Bara, directeur de l'association Apreva RMS, qui regroupe sept Ehpad dans les Hauts-de-France, reconnaît cette difficulté : « Plutôt que d'en parler dès l'admission, nous organisons un rendez-vous un mois plus tard pour répondre aux questions des résidents et aborder leurs souhaits d'accompagnement. » Happy End propose une formation dédiée pour faciliter le recueil des directives anticipées. « En plus de rappeler le cadre réglementaire de la loi Claeys-Leonetti, l'idée est de fournir des outils pour leur permettre d'aborder ce sujet sensible de façon ludique, avec des jeux de cartes et de dés ou à travers un atelier d'écriture », explique Sylvie Talent, infirmière en charge de la formation. « C'est une manière plus douce de questionner la personne sur ses souhaits pour ses derniers jours », ajoute Sarah Dumont.

Sortir du déni de la mort

Le silence autour de la mort en Ehpad peut être source d'angoisse. Libérer la parole des résidents et de leur proche a été l'un des chantiers prioritaires de Marie-Odile Vincent, directrice de la résidence Jacques Bonvoisin à Dieppe et autrice de Fin de vie en Ehpad, parlons-en ! (éditions Le Coudrier). De ces échanges est né un protocole d'accompagnement à la fin de vie incluant l'écoute et la disponibilité du personnel, le respect du culte, l'évaluation de la douleur, l'intervention d'équipes spécialisées, le recueil des volontés funéraires jusqu'à la préparation de la tenue vestimentaire. La résidence La Meulière de la Marne (LNA Santé) a mis en place des « goûters deuils » afin d'offrir un espace de parole. Tous les deux mois, résidents et familles se retrouvent pour exprimer leurs angoisses, échanger sur leurs souhaits et poser des questions. « Ils veulent savoir quels sont les premiers soins réalisés, ce qu'il advient du corps ou ce que l'on a le droit de faire avec les cendres », relève l'adjointe de direction Sophie Reich, également thanadoula. Autant de réflexions qui ont conduit la direction à créer un comité de pilotage dédié à l'accompagnement de la fin de vie.

Rendre hommage aux défunts

L'accompagnement des derniers instants ne s'arrête pas au décès. Certains Ehpad instaurent des rituels d'hommage pour honorer les résidents disparus. À la résidence Jacques Bonvoisin, les défunts quittent leur dernière demeure par la grande porte lorsqu'arrivent les pompes funèbres. « Là où certains établissements cachent les corps pour les évacuer discrètement à l'heure du repas sans même l'avoir annoncé aux résidents, nous tenons à rendre hommage à ceux qui nous quittent avec musique et haie d'honneur », précise Marie-Odile Vincent. Des moments précieux réunissant famille, soignants et résidents afin que « les décès soient vécus collectivement », insiste la directrice. En plus de la haie d'honneur, une initiative particulière a été prise au sein de l'Ehpad La Meulière de la Marne : la création de couvertures de vie. « Nous avons mis en place des ateliers de couture. Ces couvertures en patchwork fabriquées par nos résidents sont placées sur les défunts à sa sortie de l'établissement, puis remises aux familles », explique Sophie Reich. « Ritualiser la mort est important, autant pour les proches que pour rassurer les résidents sur ce qui se passera pour eux. Certains départs affectent aussi les équipes. Leur permettre d'honorer la mémoire des défunts avec un pot du souvenir ou en plantant un arbre hommage, c'est aussi prendre soin d'eux », assure Sarah Dumont qui a inscrit au catalogue de Happy End, une formation sur la ritualisation de la mort en Ehpad. À la résidence Jacques Bonvoisin, un médecin bénévole anime des groupes de parole pour les soignants après chaque décès. « Cela leur permet de verbaliser leur émotion et de partager des souvenirs pour mieux dire au revoir », explique Marie-Odile Vincent.

Former des référents d'accompagnement de fin de vie

La formation des soignants est un axe prioritaire du plan national de développement des soins palliatifs. Actuellement, seuls 25 % des Ehpad comptent un membre de l'équipe formé à l'accompagnement fin de vie. De nombreux soignants sont désemparés face à la mort, ils redoutent d'effectuer une toilette mortuaire, d'annoncer un décès à la famille ou encore de vider la chambre d'un patient pour laisser place à un autre, relate le récent ouvrage de Stéphanie Träger et Lucile Rolland-Piègue, Rester soignant devant la mort (éditions Le Coudrier). « Porter la tunique blanche ne nous protège en rien des situations difficiles. On nous forme pour soigner et non pour accompagner la fin de vie », regrette Sylvie Talent. Alors que 50 % des besoins en soins palliatifs ne sont pas couverts en France, développer les nouveaux métiers du funéraire et du deuil comme celui de « référent d'accompagnement de fin de vie » ou de thanadoula devient crucial. Ces professionnels jouent un rôle clé en informant les patients sur leurs droits, en recueillant leurs dernières volontés et en soutenant leurs proches. Fort de son expérience auprès d'un public endeuillé depuis cinq ans, Happy End a ainsi lancé une formation longue de « référent d'accompagnement de fin de vie » qui s'adresse au personnel médical comme aux indépendants afin de leur donner les clés pour adopter la bonne posture d'accompagnement. Et prendre soin jusqu'à la fin.

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