Dans le n° 8-mai 2011  -  Témoignages  59

Complices envers et contre tout

Témoin : Anne-Sophie Delor, 38 ans.

Situation : son père de 62 ans est atteint de la maladie d'Alzheimer depuis cinq ans.


Face à la maladie d'Alzheimer, les familles sont démunies. Et quand la maladie survient tôt, elles le sont encore plus. Ainsi, Anne-Sophie Delor, parisienne de 38 ans et fille unique, connaît bien le sujet. Son père, aujourd'hui âgé de 62 ans, a appris le diagnostic il y a cinq ans. " Tout a été très compliqué, raconte cette intermittente du spectacle. Mon père était alors en poste à La Réunion. Il a fallu organiser son retour, trouver un logement près de chez moi. Je ne savais pas comment obtenir l'information. Le point Emeraude ne pouvait rien : mon père était trop jeune ! " La solution, Anne-Sophie Delor la trouve presque par hasard : l'OSE développe un programme expérimental à destination des jeunes malades Alzheimer. Son service social l'accompagne pour obtenir la reconnaissance de la maladie comme handicap. " Nous avons pu bénéficier de la PCH (Prestation de Compensation du Handicap), résume-t-elle. Si mon père avait eu plus de 60 ans, je ne sais pas ce qui se serait passé !" Une " chance " relative face à cet accident de la vie...

Anne-Sophie décide de consacrer ses vendredis au suivi du dossier. " Il a fallu mettre en place des aides à domicile. Mon père n'est plus du tout autonome, raconte-t-elle. Depuis un an, il est inquiet la nuit. On m'a dit que la maladie évoluait plus vite chez les patients jeunes. Il y a donc quelqu'un chez lui la nuit aussi. " Au début, c'est elle qui allait dormir là-bas. L'EHPAD alors ? Cette mère d'une petite fille de six ans n'y pense pas. " Je n'arrive pas à franchir le cap, confie-t-elle. Dans les établissements les personnes sont très âgées. J'ai l'impression que là-bas la maladie va s'accélérer. Et puis mon père a toujours été très actif, je veux lui préserver un cadre de vie qui lui correspond. Est-ce que j'ai tort ?"

Au-delà des habitudes de vie, avec la vie à domicile, c'est la relation père-fille qui est préservée. " Nous sommes toujours complices, nous rions beaucoup, s'exclame Anne-Sophie. Je passe quelques heures avec lui le week-end, quand il n'y a personne. Mon père me fait entièrement confiance. J'argumente mes choix en disant qu'il oublie beaucoup de choses, jamais en lui nommant la maladie. " Ainsi, quand sa fille propose l'accueil de jour Joseph Weil de l'OSE, qui reçoit deux fois par semaine les jeunes malades d'Alzheimer, Monsieur Delor refuse... avant d'accepter. L'intégration à la structure est optimale.

L'histoire a donc ses hauts et ses bas. Le compagnon d'Anne-Sophie a accepté la situation mais il reste le regard des voisins, " Pour eux, je suis la mauvaise fille qui abandonne son père !", les relations avec les médecins, " Beaucoup d'écoute mais pourquoi aborder le don d'organes devant mon père alors qu'il ne peut pas s'exprimer ?" et une forme d'isolement. " Autour de moi, les gens parlent de leur problèmes de crèche, moi pas..." A l'heure du débat sur le financement de la dépendance, le tabou sera bientôt levé.

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