Dans le n° 80-mai 2017  -  60 ans d'action  7347

De l'hospice a l'accompagnement

Depuis les années 60, la prise en charge des personnes âgées s'est organisée, structurée. Les progrès sont considérables et permettent un meilleur, voire un véritable, accompagnement des personnes accueillies avec des personnels formés et soucieux de l'amélioration de la qualité de vie. Retour sur 60 ans d'action et d'engagement.

11967 - Hôpital Bichat (Paris) - Service de gériatrie.

4 salles de 30 lits séparés par une table de nuit, soit 120 vieillards (plus quelques-uns dans les couloirs) en chemises de nuit de l'hôpital (ouvertes dans le dos), jamais habillés, jamais levés. Sanitaires communs au début de la salle, pas de douche. De 15 à 23?heures, dans chaque salle, une infirmière, une aide-soignante, un agent de service et une élève infirmière. Le dîner est le même tous les soirs?: une soupe de légumes "?maison?", chaude pour la première servie, tiède puis froide pour la dernière (et le micro-onde n'existait pas), dans laquelle nage un steak haché cru, la soupe étant sensée le cuire... Pour les piqûres, attention à bien passer la pierre ponce sur chaque aiguille en métal car le bout s'émoussait et forcément c'était plus douloureux...

Alors OUI, les choses ont bien changé et c'est heureux?!

1985 - Les premiers forfaits alloués par l'Assurance maladie des sections de cure médicale pour ce qui était encore des maisons de retraite et des forfaits soins courants pour les logements-foyers ont marqué le début de la médicalisation en même temps que l'éradication des hospices avec le programme SEPIA. Un des derniers, celui de Cusset, offrait bien sûr une salle commune, avec de grandes fenêtres sur un seul côté. Un directeur, bien intentionné, avait fait construire des boxes en bois sombre pour plus d'intimité mais... les personnes se trouvant du côté sans fenêtre vivaient dans la pénombre...

1990 - Premier contrat de séjour obligatoire pour les établissements sans APL et non habilités à l'aide sociale, généralisé à l'ensemble des établissements pour personnes âgées en 1997 puis à tous les ESMS en 2002 et premier règlement intérieur devenu depuis règlement de fonctionnement, le terme "?intérieur?" ayant été récupéré par le code du Travail.

Pendant toutes ces années, pas ou peu de formation pour les équipes et aucune pour les directeurs. C'était l'époque où l'amie de mon ami était nommée, notamment par certains maires ou présidents de conseil d'administration, à la direction de structures accueillant jusqu'à une centaine de personnes âgées. Une étude réalisée en 1985 par la FNADEPA sur les cursus antérieurs des directeurs en poste dénombrait une majorité d'infirmières mais aussi des cuisiniers, des assureurs, des chauffeurs de car, des carreleurs et... pas mal de "?connaissances?" des élus ou des directeurs d'organismes nationaux comme la CAF ou les Conseils départementaux.
Geneviève Laroque dénonçait alors vigoureusement le fait que "?non, les femmes ne naissent pas avec un gène particulier leur permettant d'élever les enfants et de prendre en charge les vieux?".

C'est la loi de modernisation sociale de 2002 qui a ouvert la voie de la VAE, devenue possible pour l'obtention du CAFDES en 2007 après la parution du décret précisant le niveau de qualification exigé des directeurs des établissements sociaux et médico-sociaux. Pour les directeurs de services, la même exigence date de la fin 2015.
Au milieu des années 2000, une réforme des renouvellements des autorisations a posé le principe des évaluations internes et externes obligatoires pour tous les ESSMS.

Des directeurs formés, des structures évaluées...

Très bien mais où sont les personnels indispensables pour accompagner les résidents?? Si de nouveaux mots ont envahi le vocabulaire du secteur (dignité, citoyenneté, droit au choix, efficience, etc.), le Plan solidarité grand âge initié par Philippe Bas à la suite de la canicule de 2003 n'a pas tenu toutes ses promesses. Néanmoins, force est de reconnaître que notamment grâce à la création de la CNSA en 2004, de 2.2 on est arrivé, à force de ténacité de la part des fédérations représentatives des directeurs, à pratiquement 6 de ratio moyen. Plusieurs centaines de milliers de soignants ont été recrutés pour faire face à la multiplication des personnes atteintes de troubles cognitifs. Les gouvernements successifs ont privilégié le maintien à domicile, souhaité par les français, accroissant ainsi la dépendance des personnes vivant en établissement ou aidées par les services. Les deux paramètres augmentant ensemble, les personnels se ressentent aujourd'hui maltraitants, souffrent de burn-out et ont l'impression que rien n'a changé depuis des siècles.
Pourtant si on ne prend que l'exemple de la restauration, l'émergence du secteur commercial a incité les établissements publics et associatifs à considérer les personnes accueillies comme des clients et des progrès importants ont été réalisés avec des menus au choix, un service à l'assiette, des nappes sur les tables, des verres à pied, etc. On promeut aujourd'hui une Charte nationale pour une "?alimentation responsable et durable au sein des établissements médico-sociaux?", en cohérence avec le programme national pour l'alimentation (PNA) et le programme national nutrition santé (PNNS). La signature de celle-ci par les directeurs volontaires les engage à améliorer le plaisir gastronomique des résidents.

Et un autre vocabulaire perdure

Les vieux sont devenus des personnes âgées dont on doit préserver la liberté, la dignité, la citoyenneté, les droits fondamentaux et les autres. On ne prend plus en charge, on accompagne et si le temps manque, c'est parce que les personnes conservent l'estime d'elles-mêmes, sont lavées et habillées chaque jour, changées autant que de besoin, poursuivent ou retrouvent une vie sociale, ont accès au coiffeur, au pédicure, à l'esthéticienne. Les personnes ne sont plus dépendantes mais en perte d'autonomie et depuis la loi sur l'adaptation de la société au vieillissement de la population, les résidents ne sont plus hébergés mais accueillis (dommage que dans le même temps, les EHPAD ne soit pas devenus des EAPAD - établissement d'accueil pour personnes âgées dépendantes).

Que les directeurs et leurs équipes se félicitent du travail accompli?; ce sont les acteurs formidables des changements intervenus ces dernières décennies. Sans eux, rien n'aurait été possible et si parfois ils sont découragés qu'ils repensent à l'hôpital Bichat de 1967...

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