Internalisée ou externalisée, la fonction linge nécessite des adaptations permanentes pour optimiser la qualité en matière d'hygiène et de sécurité. Au-delà de ces aspects, elle représente aussi un marqueur important de l'accompagnement de la personne âgée.
De multiples exigences de qualité à ne pas négliger
« En quoi la fonction linge impacte-t-elle la qualité de l'accompagnement personnalisé des usagers ? ». Lorsqu'elle choisit ce sujet de mémoire en 2014 dans le cadre de l'obtention du diplôme de Directrice d'EHPAD de l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), Catherine Pallard exprime la volonté de « sortir des sujets classiques liés aux soins, par le choix d'un sujet lié à l'hôtellerie, avec la conviction que l'EHPAD est avant tout un lieu de vie ». Par ailleurs, au sein de l'entreprise familiale qui compte deux Ehpad en Charente - Les Pervenches à Gémozac (61 résidents) et Le Domaine (66 résidents) à Cravans -, la question de créer une blanchisserie intégrée est clairement posée compte tenu de la dégradation des relations avec le prestataire. « La fréquence du ramassage de linge sale, le retard dans les délais de livraison, des détériorations du linge, des erreurs dans l'étiquetage des noms des résidents nous incitaient à rechercher d'autres solutions », explique Catherine Pallard. C'est en 2015 que le pas est franchi avec la mise en place d'une blanchisserie intégrée, une lingère est recrutée à temps plein aidée chaque lundi par un agent de service d'hébergement. « Le bâtiment existait déjà. Nous l'avons équipé avec deux machines à laver, deux séchoirs et une calendreuse qui sèche et repasse le linge plat, poursuit la Directrice. La solution, mutualisée pour les deux EHPAD, est économiquement plus intéressante. A cela s'ajoutent une proximité relationnelle et géographique - cinq kilomètres séparent les deux établissements - qui facilite une bonne communication et donc une qualité de service que les résidents ont relevé dans nos différentes enquêtes de satisfaction ».
Que ce soit dans son mémoire et dans sa pratique professionnelle quotidienne, Catherine Pallard a souhaité aborder toutes les dimensions du linge : sanitaire pour éviter les risques infectieux mais aussi sociale ou psychosociale. « La représentation du linge pour le résident est importante, en termes affectifs mais aussi d'estime de soi. Le trousseau est souvent la seule représentation sociale vis-à-vis de la collectivité. Et les vêtements évoquent souvent des liens forts avec leur passé ».
Des activités autour du linge
A Cravans, la blanchisserie, qui traite chaque jour 250 kilos de linge, a aussi été conçue comme un lieu « utile » et socialisant qui offre une mission aux résidents : un atelier de pliage des serviettes éponge est ainsi quotidiennement organisé. « Cette activité s'inscrit dans la continuité du savoir-faire du domicile et rend chaque résident acteur de la vie en EHPAD », poursuit Catherine Pallard pour qui le linge exprime aussi l'attachement à des droits et libertés. « Nous sommes très attentifs à laisser les résidents choisir leurs vêtements chaque matin, et nous autorisons aussi ceux qui le souhaitent à laver leurs propres sous-vêtements. La création de cette blanchisserie intégrée et la réflexion collective sur nos pratiques professionnelles nous ont permis de poser un regard différent sur la place du résident dans l'institution et de contribuer à personnaliser davantage l'accompagnement
Aujourd'hui, au-delà du gain économique lié à l'internalisation de la fonction linge, la Directrice se félicite d'une plus grande maîtrise du process, notamment en cas de bactéries multi-résistantes (BMR). « Dans ce cas, nous utilisons des sacs spécifiques et nous mettons en place une procédure qui nous permet de mieux contrôler ces événements alors que nous ignorions la procédure mise en place par notre prestataire externe. Nous sommes aussi plus réactifs en cas de dysfonctionnement, l'égarement d'un vêtement par exemple », conclut-elle.
L'externalisation solidaire
A Montluçon, la blanchisserie industrielle APM, une entreprise adaptée gérée par l'Unapei Pays d'Allier, affiche quant à elle sa volonté de se différencier des laveurs « classiques » en proposant des services personnalisés. Parmi sa clientèle, elle compte cinq EHPAD, ce qui représente 50% du volume de linge traité. « Nous avons créé la blanchisserie en 2011 pour prendre en charge le linge des autres établissements de l'association, explique Thierry Rougeron, directeur des secteurs Travail et Enfance de l'association et directeur d'APM. Puis nous avons décidé de proposer nos services d'une part aux foyers d'hébergement pour personnes handicapées et aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, et d'autre part, aux entreprises pour le nettoyage des vêtements professionnels ».
Parmi les prestations proposées aux EHPAD, le suivi individualisé du linge. « Dans ces structures, les draps récupérés ne sont pas toujours ceux qui ont été confiés dans la mesure où il s'agit souvent de produits blancs standards et donc de stocks mutualisés entre clients. Nous avons donc développé un logiciel basé sur la lecture d'un code barre permettant de personnaliser le linge mais aussi de préciser par exemple combien de fois il a été lavé », explique Jérôme Gourbé, le responsable du site. Autre avantage de ce suivi : être en capacité de restituer un dentier ou une carte bancaire égarés dans des draps souillés, comme ce fut le cas récemment.
D'autres atouts sont également mis en avant par les équipes APM : le protocole RABC qui garantit que le linge propre n'avoisine jamais le linge sale ou encore le contrôle bimensuel - via dix prélèvements bactériologiques - de l'absence de contamination. « En cas de contamination au sein d'un EHPAD, nous remettons des sacs spécifiques solubles car nous ne manipulons jamais de linge contaminé, lequel est ensuite orienté vers une zone spécifique de lavage », poursuit Jérôme Gourbé.
L'humain avant l'automatisation
Paradoxalement, l'identité de la blanchisserie APM - une entreprise adaptée - n'entre que peu en considération dans les critères de choix des clients. « Ils recherchent avant tout un prix, une qualité de service, une fréquence de passage quotidienne, beaucoup de flexibilité et une traçabilité des lavages », explique Thierry Rougeron. Selon lui, l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés intéresse peu les décisionnaires. « Ce n'est pas un élément différenciant sauf si les Directeurs ont été sensibilisés préalablement à cette démarche. Lorsque c'est le cas, certains font le choix de stipuler dans leur appel d'offres que le marché est réservé à des entreprises d'insertion ou à des entreprises adaptées. »
La blanchisserie, qui emploie vingt salariés, traite aujourd'hui chaque jour 1 200 kilos de linge et affiche un double objectif de progression à 1 700 kilos en fin d'année et à 2 500 kilos d'ici trois ans. « Nous avons un peu plus de personnel qu'une entreprise classique mais notre rendement qui est peut-être inférieur est compensé par notre qualité de service « à la carte ». Nous présentons un process de lavage mais les aspects logistiques de présentation et de finition sont réalisés en fonction de la demande des clients. Notre volonté de développement ne s'accompagne donc d'aucun projet d'automatisation car notre vocation première est de favoriser l'emploi des personnes handicapées », conclut Thierry Rougeron.