Lors de son intervention au dernier colloque de la Fnadepa, en juin 2016, Michel Billé, sociologue, invitait les professionnels du soin à bousculer leurs croyances, pour redéfinir et s'approprier le projet éthique.
Déformater et reformater les professionnels au projet éthique...
Aujourd'hui, on parle beaucoup d'éthique. Pour cela, on " missionne " quelques individus les invitant à mettre au travail ces questions d'éthique et à en faire profiter les autres.
Cette démarche est à la fois nécessaire et plus ou moins imposée par les dispositions contemporaines auxquelles les professionnels doivent se conformer : démarches qualité, certification, accréditation... Le but est de développer la fiabilité, la qualité des prestations, assurer aux usagers (qui deviennent souvent des clients) le service digne auquel ils ont droit. S'agissant des personnes souffrant de troubles cognitifs sévères, on devine, bien sûr, que ces questions prennent une importance considérable. Elles impliquent des mises en conformité, des références à des normes, l'élaboration et l'adoption de protocoles multiples auxquels on ne saurait déroger.
La définition de " bonnes pratiques " référencées et largement diffusées par l'Agence Nationale de l'Évaluation et de la Qualité des Établissements et Services Sociaux et Médico-sociaux contribue pour une grande part à développer ce qui dans le meilleur des cas pourra devenir une culture professionnelle marquée par une réflexion éthique et dans le pire, une absence de culture professionnelle palliée par des recours mécaniques à des protocoles référencés.
Démarche qualité ? Qualité de la démarche...
Dans le domaine du soin et de l'accompagnement, la démarche qualité ne peut s'appliquer qu'à condition de ne jamais perdre le sens de ce que l'on fait. C'est d'ailleurs exactement l'enjeu d'une démarche éthique. Pourtant, si tout se prétend éthique, on regarde généralement cette démarche par le petit bout de la lorgnette. C'est bien en cela que les formations nous " formatent " sans doute plus qu'elles ne nous forment et qu'il convient alors de déformater et de former...
Des bases pour une démarche d'interrogation éthique...
Parler d'éthique, c'est d'abord accepter de ne pas savoir. Paradoxe ! Parce que le plus souvent, nous cherchons avec l'éthique à obtenir une réponse pour clore une question, calmer les angoisses ou les inquiétudes.
Parler d'éthique, c'est aussi s'interroger sur les limites de l'action. C'est accepter d'avancer dans des zones d'incertitude où la question a plus d'importance que la réponse.
Parler d'éthique, c'est enfin accepter que deux choses contraires puissent être vraies en même temps. La où nous cherchons le plus souvent des réponses qui viendraient clore nos interrogations, il nous faut donc mettre au travail les paradoxes.
Valeurs, principes et règles
C'est au nom des valeurs, qui fondent l'action, que l'on ose s'adresser à la puissance publique pour demander la création d'une mission ou un financement. Le niveau éthique est donc le niveau de l'intouchable, le spirituel, le religieux. C'est ce qui donne sens et ce qui relie.
Pour que les valeurs soient mises en oeuvre, il faut les décliner en principes qui, à leur tour, deviennent fondateurs de l'action. Les principes sont le niveau de la morale. Ils organisent la vie en société, autorisent ou interdisent. On comprend que souvent la morale a été annexée par les religions qui tentent, en imposant des principes moraux, de conformer le comportement de leurs croyants à partir d'une dualité : le bien/le mal.
Les règles quant à elles permettent l'application des principes. Concrètes et codifiables, elles sont réunies dans un code de déontologie, qui favorise la mise en oeuvre de la morale et de l'éthique.
On confond souvent ces trois niveaux. La réflexion porte alors sur ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire, ce qui est permis ou défendu. La réflexion philosophique sur l'éthique est déléguée au juriste parce qu'il sait ce qui est permis ou défendu, au médecin parce qu'il sait comment réagir devant la souffrance des hommes, ou au prêtre parce qu'il connaît le bien et le mal. Or chacun peut contribuer à la réflexion éthique quelle que soit sa responsabilité, son rôle, son statut.
Toujours reposer la question du sens
Éthique et qualité se rejoignent à chaque fois que le sens de ce que l'on fait l'emporte sur la manière de le faire. Mais il ne suffit pas d'avoir son éthique et de s'en accommoder. Il faut élaborer une pensée ensemble, au sein d'un service, d'une institution, d'une équipe et cela suppose que des lieux de parole et d'élaboration soient possibles.
La réflexion éthique doit vivre en permanence, comme une exigence acceptée et partagée dans des instances accessibles et qui réunissent des praticiens impliqués et des experts non impliqués dans le fonctionnement des institutions.
L'équipe n'existe pas pour elle-même mais reliée à l'institution. L'institution s'inscrit dans un contexte qui lui donne forme et sens : un schéma départemental ou régional, gérontologique ou pour le handicap, une organisation sanitaire, etc. C'est, dans tous les cas, l'extérieur de l'institution qui donne sens à ce qui se passe à l'intérieur.
Il arrive que les murs réels et symboliques de l'institution soient si épais qu'ils font écran, qu'ils opacifient et que le sens ne soit plus perceptible. On fait peut-être bien, à l'intérieur de ces murs, mais on ne sait plus pourquoi c'est bien. Cette question du sens est posée dès l'instant où l'institution se coupe de l'extérieur et par conséquent de la mission qui lui est confiée.
Un sens difficile à trouver
Le sens est d'autant plus difficile à trouver ou à retrouver que ceux à qui l'on s'adresse l'ont eux-mêmes perdu. Ils adoptent des comportements dont le sens n'est pas directement perceptible par l'entourage, même professionnel.
Mais en changeant de regard, en acceptant de regarder l'autre avec bienveillance, sans le réduire à ses attributs négatifs, on peut se ressaisir, seul et en équipe, du sens de ce qu'on fait et, se remettre ainsi en mouvement, au service des personnes, dans le cadre de la mission confiée à l'institution.
Encadré :
1947 : Naissance à Fontenay Le Comte (85)
Sociologue spécialiste des questions liées à la vieillesse, le handicap et la famille.
Il publie :
" La chance de vieillir, essai de gérontologie sociale " Ed. L'Harmattan Coll. La gérontologie en actes. Paris mars 2004.
" La tyrannie du bien vieillir " Michel BILLÉ et Didier MARTZ Préface de François DAGOGNET, à paraître, fin août 2010, Ed. Le bord de l'eau, coll. Clair et net.
" Vieux corps ou corps de vieux " " Et ce que je redoute m'arrive " in " Vivre quand le corps fout le camp " Sous la direction de Christian GALLOPIN. Ed ? Eres 2011
" Manifeste pour l'âge et la vie. Ré enchanter la vieillesse ". Ed. ERES 2012.
" Dépendance quand tu nous tiens " Avec D. MARTZ et M.F. BONICEL Ed. ERES 2013.
" La société malade d'Alzheimer " Ed. Eres. Coll. L'âge et la vie. 2014.
" Lien conjugal et vieillissement " Ed. Eres. Coll. L'âge et la vie. 2014.