L'Economiste Nicolas Bouzou a longuement étudié la question de la dépendance. Les dépendances, les finances publiques, les réformes, la question de l'assurance. Il nous dresse un tableau clair de la situation à la veille d'une réforme que notre secteur attend avec impatience.
Dépendance : L'heure des choix
Bio express Nicolas Bouzou es économiste et Professeur à l'Université d'Assas. Il est directeur et fondateur dude société de prévisions économiques Astérès. Il est l'auteur de " Krach financier : ce qui va changer pour vous " Ed Eyrolles, Janvier 2009.
Peut-on établir un lien entre la réforme des retraites et la réforme annoncée de la dépendance ?
Absolument. Le Président de la République souhaite faire suivre la réforme des retraites de celle de la dépendance. Il y a une logique forte dans cette séquence, d'ailleurs en partie circonstancielle. La France, chacun le sait, connaît aujourd'hui des tensions importantes sur ses finances publiques. Nos déficits vont devoir être progressivement diminués. Pour régler ce problème, chacun est bien conscient du fait que la protection des recettes publiques n'est pas moins importante que la baisse des dépenses publiques. Mais, quand on parle de dépense publique en France, on parle surtout de dépenses sociales même si ce n'est pas toujours explicite. En effet, la progression de la dépense publique totale depuis une vingtaine d'année tient beaucoup plus à la progression des dépenses sociales qu'à celle de l'Etat central ou des collectivités locales. Voilà pourquoi la réforme des retraites constitue l'uns des éléments centraux de la normalisation de la situation des finances publiques françaises. Or ce qui est vrai pour la retraite l'est aussi pour la dépendance. D'ailleurs, il faut rappeler que le financement public de la dépendance est pris en charge à hauteur de 20,5% par les collectivités locales, mais de 63% par l'assurance-maladie. La vérité, c'est que ces réformes sont devenues financièrement absolument nécessaires et urgentes.
Est-ce à dire que dépendance et retraite ne constituent qu'un même sujet ?
Non bien sûr. La similitude entre les deux sujets ne signifie pas que la question de la dépendance s'identifie à celle des retraites. La retraite constitue en quelque sorte un passage obligé, ce qui n'empêche pas ce passage d'être souvent souhaité et heureux. Presque tout le monde sait qu'il sera un jour en retraite, même si cette retraite est partielle ou active. La problématique de la dépendance est d'une nature différente. Moins de 15% de la population âgée de plus de 80 ans est dépendante et 35% de celle de plus de 90 ans. Ces chiffres ne sont donc pas si élevés. Autant le dire : la probabilité de connaître, au cours de sa vie, un état de dépendance est faible. C'est un risque faible mais aussi lointain pour la majorité des actifs français, lesquels ont en moyenne moins de 40 ans. La dépendance est une maladie, or on est jamais certain de tomber malade, même quand on est très âgé. Disons-le donc clairement : les incitations à s'assurer spontanément sont faibles, et c'est déjà un miracle que 3 millions de personnes soient couvertes par une assurance-dépendance. En retour, concevoir des produits d'assurance-dépendance n'est pas simple pour des assureurs qui font face à des problèmes " d'anti-sélection " (les personnes qui s'assurent sont déjà en mauvaise santé, et ont donc une probabilité de devenir dépendantes plus forte que la moyenne de la population) et d' " aléa moral " (on peut se prétendre dépendant sans l'être forcément). C'est bien ce qui explique que l'assurance-dépendance privée soit proposée sous forme forfaitaire et non pas indemnitaire, ce qui permet à l'assureur de limiter son risque. Mais le problème, c'est que, même si les solutions individuelles sont difficiles à mettre en oeuvre, la dépendance à un coût pour la collectivité. Près de 800.000 personnes sont déjà dépendantes dans notre pays et, d'après l'INSEE, elles seront 1,2 millions en 2040. Et déjà, l'allocation personnalisée d'autonomie coûte près de 5 milliards d'euros aux départements.
Voit-on déjà se dessiner des solutions ?
Dans ce domaine complexe, rien ne nous oblige à réinventer la poudre. D'autres pays ont innové, testé des solutions, modifié leurs dispositifs, autant s'en inspirer. Le plan Eldershield de Singapour , par exemple, fournit un modèle assez consensuel, dans la mesure où il associe Etat et assureurs privés, l'Etat prenant en charge les aspects liés à la redistribution et les assureurs les aspects liés à la conception des produits et à la tarification. Il entraîne néanmoins à une obligation de souscription, et génère donc un coût incompressible pour les ménages. Dans tous les pays, les ménages sont d'une façon ou d'une autre mis à contribution., Globalement, je pense que nous devons aller dans trois directions : labelliser des contrats d'assurance minima pour rendre leur souscription obligatoire, recentrer l'action publique sur la solidarité pour laisser les questions assurantielles au secteur privé et réformer l'APA pour faire en sorte que cette aide, à enveloppe budgétaire constante bien sûr, bénéficie davantage à ceux qui sont le plus dépendants. Concernant l'APA d'ailleurs, un renforcement des contrôles serait bienvenu car les gaspillages sont légion.
En même temps, ne peut-on pas voir la bouteille à moitié pleine ? La dépendance, c'est aussi un secteur créateur de richesse.
C'est une évidence. Et finalement, aujourd'hui, beaucoup de problèmes constituent aussi des opportunités pour le secteur privé. Les besoins en la matière sont énormes qu'il s'agisse de l'assurance, de l'aide à domicile ou de l'hébergement. Dans ce domaine comme dans bien d'autre, la demande potentielle est supérieure à l'offre, ce qui fait monter les prix ! Mais le développement de ce secteur ne se fera pas sans une politique publique mieux en phase avec les besoins. Je vous donne un exemple : celui de la politique d'ouverture des EHPAD. La capacité d'accueil est trop faible puisque l'on dispose en France d'environ 470 000 places en maisons de retraite pour environ 800 000 personnes dépendantes. Cet écart pourrait sembler modéré, surtout si l'on prend en compte l'importance de l'aide à domicile. Mais en réalité, il existe des tensions fortes sur certains segments comme celui des personnes fortement dépendantes, aisées mais non fortunées. Ce hiatus entre l'offre et la demande entraîne des tensions sur les prix des EHPAD privés. Il ne faut donc pas s'étonner que certains établissements de la région parisienne tarifent 4000 ou 5000 euros par mois. Cette inflation des prix est notamment liée à une politique d'offre malthusienne, liée à la complexité d'obtention des agréments tripartites qui impliquent le Conseil Général, la DDAS et l'assurance-maladie, et à la frilosité de certains Conseils Généraux. En outre, la répartition géographique des EHPAD est assez mal calibrée par rapport aux besoins.
Il pourrait pourtant y avoir beaucoup d'emplois à la clé.
Evidemment. Mais là aussi, nous avons un problème d'inadéquation de l'offre et de la demande, de travail cette fois-ci. Car le développement du secteur de la dépendance est freiné par les difficultés de recrutement, tant du côté de l'aide à domicile que du côté de l'hébergement. L'image de ces métiers perçue par les demandeurs d'emplois demeure globalement défavorable. Les professionnels, l'Etat et les collectivités locales n'ont pas réussi à renvoyer une image suffisamment valorisante du secteur. Le public considère encore ces métiers, à tort d'ailleurs, comme peu qualifiés et peu techniques. Dans le domaine de l'aide à domicile, le travail à temps partiel reste la règle, d'où des salaires relativement bas. 80% des employés dans les services à la personne le sont de gré à gré, et ne disposent donc pas d'accès à la formation, aux contrôles médicaux, à la médiation syndicale, à l'inspection du travail... Ce problème est particulièrement prégnant auprès des jeunes, lesquels veulent légitimement inscrire leur trajectoire professionnelle dans une perspective de carrière, qui mêle formation, professionnalisation et progression salariale. Même si les opérateurs avancent en ce sens, l'attractivité de ces emplois demeure encore de ce point de vue trop faible.