L'agence régionale de santé des Hauts-de-France a mis en place un dispositif expérimental d'équipes multidisciplinaires pour soutenir les Ehpad dans leurs missions de prévention, notamment des chutes.
Des équipes ès-prévention pour accompagner les 620 Ehpad des Hauts-de-France
« Qui a dit que les Ehpad publics n'étaient ni dynamiques ni attractifs ? », s'interroge, rhétoriquement, Séverine Laboue, directrice du groupe hospitalier Loos Haubourdin (GHLH, Nord) dans un article de la Revue hospitalière de France. Pionnier, son Ehpad de 195 lits a été parmi les tout premiers, en 2019, à être retenu par l'agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France pour créer et expérimenter une « équipe spécialisée en prévention inter-Ehpad » ou ESPrévE. Avec un territoire d'intervention circonscrit à celui de la Maia de Lille Agglo, soit 43 Ehpad et 3 121 résidents.
L'appel à projet expérimental de l'ARS visait les Ehpad adossés à un établissement de santé site de filière gériatrique, avec des financements fléchés par une instruction budgétaire du 25 avril 2019 dans le sillage de la feuille de route « Grand âge et autonomie » de mai 2018.
« Certes, l'aventure a été retardée par la Covid-19, commente Séverine Laboue, mais finalement, la crise sanitaire a conforté les uns (hospitaliers) et les autres (professionnels des Ehpad) dans la nécessité de créer du lien pour une meilleure prise en soins des personnes âgées. »
Après trois appels à projets successifs, treize ESPrévE couvrent les Hauts-de-France depuis avril dernier sur la base d'une équipe calibrée pour un territoire de 30 à 50 Ehpad et/ou de 3 000 à 4 800 places totales autorisées. Avec un budget de 130 000 euros par an sur trois ans pour chacune. Les Hauts-de-France totalisent 620 Ehpad.
À partir d'une analyse de ses données régionales, l'ARS a sélectionné des thèmes clés dans le champ de la prévention en Ehpad, hélas trop laissée en friche : le premier retenu (de la liste) est la chute et la mobilité, évidemment intriqué avec les suivants : dénutrition/troubles de la déglutition, douleur, ostéoporose/sarcopénie, maladie de Parkinson ou syndromes apparentés, et contention. De quoi faire !
Ni soins ni doublons
« Les ESPrévE viennent en renfort, elles ne se substituent pas, explique Ian Hocmert, coordonnateur de celle du groupement hospitalier Loos Haubourdin et enseignant en activité physique adaptée. Elles aident les médecins coordonnateurs et les professionnels des Ehpad à s'inscrire dans une démarche globale de prévention : se former, développer des actions adaptées, organiser la vigilance et savoir anticiper les risques individuels des résidents. » Elles ont pour vocation de mettre à disposition des Ehpad des temps de professionnels dont les compétences ne sont pas ou peu disponibles, a fortiori sur les thématiques prioritaires retenues. Les frontières sont clairement posées par le cahier des charges de l'ARS : on est bien dans la prévention, et pas dans le soin.
Le modèle, souple, est d'un temps plein d'ergothérapeute et/ou de psychomotricien, un mi-temps de diététicien, un mi-temps de professionnel en activité physique adaptée auquel il faut ajouter l'accompagnement d'un gériatre (10 % d'ETP). Les ESPrévE ne donnent pas d'avis individuel... mais peuvent prendre appui sur une situation individuelle pour mettre en place un atelier d'éducation à la santé et/ou une formation. Elles n'interviennent pas non plus directement dans l'accompagnement d'un résident, mais là aussi peuvent en tirer des enseignements avec les personnels pour trouver des principes d'intervention généralisables. Pas de doublon !
Sur la lisibilité de ce cahier des charges, les Ehpad porteurs ont d'ailleurs recruté leur équipe spécialisée... sans difficulté, tant le défi se révèle stimulant. En lui garantissant aussi de mettre les moyens nécessaires à son fonctionnement, secrétariat, matériels, locaux, moyens de déplacement...
D'abord un autodiagnostic
Les premières ESPrévE ont commencé à travailler en pleine crise sanitaire. « Tout commence par l'assemblée générale de présentation de la démarche et de l'équipe, avec les Ehpad volontaires de départ, pour nous la première a été réunie en septembre 2020, explique Ian Hocmert. Ensuite, il faut le temps de l'ingénierie de projet, plusieurs mois. Le trinôme directeur-médecin coordonnateur-cadre de santé/infirmière coordinatrice est chargé d'un autodiagnostic, à l'aide d'un guide fourni par l'équipe de prévention pour identifier les forces et faiblesses et prioriser les thématiques. Nous en sommes à 25 autodiagnostics, avec deux priorités qui se partagent la première marche du podium : la dénutrition et la chute, tous deux à 37 %. »
Le travail d'analyse va permettre à l'ESPrévE d'aider les Ehpad à construire démarches, protocoles et actions adaptés à chacun, « tout en mobilisant une batterie d'outils : recommandations nationales, dispositifs innovants ("serious games", par exemple) ou sui generis, créés par chaque équipe pour et avec les Ehpad », ajoute Séverine Laboue. D'ailleurs, « les différentes équipes spécialisées en prévention inter-Ehpad des Hauts-de-France partageront leurs créations via un portail dédié pour un enrichissement réciproque » promet celle qui a été chargée de les coordonner toutes. Le rapport Libault appelait de ses voeux, en mars 2019, la création de l'Ehpad ressource du Grand âge. « Il existe déjà », concluait-elle dans la Revue hospitalière.
À voir tout de même l'articulation avec les centres de ressources territoriaux que la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 a mis sur orbite. Les ESPrévE sont en tout cas financées à titre expérimental pour une durée de trois ans : « leur renouvellement sera étudié à l'aune des bilans d'activité et des données d'évaluation produites ainsi qu'en fonction des crédits disponibles en matière de prévention pour les Ehpad », tempère l'ARS. À suivre, donc...