Et si on vivait en paix avec la mort ? Cette question, la journaliste Sarah Dumont la pose à chacun à travers son site internet happyend.life qu'elle a créé en 2018. Tous les sujets y sont abordés sans tabou. Elle coanimera le 7 octobre une conférence proposée par Géroscopie dans le cadre de Santexpo et nous parle ici de rituels à réinventer.
Deuil : des rituels à réinventer ?
« Ne pas pouvoir les voir avant leur départ est une situation cruelle pour beaucoup d'entre nous » a témoigné François Hollande à la suite du décès de son père de 96 ans en Ehpad. On le sait, l'accompagnement d'un proche en fin de vie et la cérémonie d'obsèques jouent un rôle clé dans le cheminement de deuil. Comment se résoudre à quitter ceux qu'on aime sans les couvrir de fleurs et prendre dans nos bras ceux qui restent ?
Cette situation, jamais vécue auparavant, vient perturber un rite séculaire qui permet de transcender l'épreuve. Elle engendre indéniablement une douleur supplémentaire et majore la tristesse provoquée par ce décès : sentiment d'impuissance, d'inachevé, etc. Mais ne nous méprenons pas, ce moment de recueillement ne résume pas et ne détermine pas le processus de deuil, qui repose avant tout et surtout sur la relation que l'on entretenait avec son proche, le lien qui nous unissait à lui et marque le début d'un travail de séparation psychique qui s'inscrit dans une temporalité indéfinie.
A nous de puiser dans notre créativité intérieure. Les pompes funèbres sont là pour nous accompagner dans cette étape de vie mais pas pour tracer notre chemin de deuil. Nous, seuls, devons le baliser. La particularité de cette situation doit nous amener, plus que jamais, à écouter nos besoins, nos sentiments, et à les exprimer.
Ces dernières semaines, on a vu des familles et des amis s'unir à travers un écran pour vivre ensemble l'enterrement de l'être aimé, des petits-enfants poster leurs dessins en hommage à leurs grands-parents sur Instagram. Des fleurs en papier ont été fabriquées en tribu, des galets ont été peints, des chansons écrites à quatre mains et chantées en coeur par écrans interposés, des photos ont été rassemblées pour créer un album commémoratif... Et, dans cette intimité familiale, les enfants, souvent tenus à l'écart des funérailles par souci de les préserver, ont pu participer à cette émouvante créativité. Demain, sans doute y seront-ils invités. Dans cette période, chacun est amené à inventer son propre rituel.
Pour ceux qui le souhaiteront, une cérémonie de souvenirs pourra être organisée quand les lieux réservés aux funérailles accueilleront à nouveau des assemblées nombreuses , au moment de la remise des cendres ou encore de leur dispersion. Si le cercueil n'est plus présent, il pourra être représenté par un objet symbolique. Les familles pourront alors réparer, apaiser, la douloureuse frustration et l'éprouvant sentiment d'arrachement d'un adieu inachevé.
Alors bien sûr, ce que nous vivons aujourd'hui, ou ne vivons pas à cause du confinement, imposera de redoubler de vigilance, d'écoute, d'attention. Cette crise actualise à notre conscience que le deuil n'est pas une expérience anonyme dans notre histoire, que le chagrin est légitime et qu'il a besoin d'être porté par un élan solidaire et bienveillant.
Quoi qu'il advienne, rappelons-nous que nos morts resteront confinés à jamais dans nos mémoires individuelles et collectives.
Sarah Dumont
avec Cynthia Mauro, psychologue, docteure en psychologie, vice-présidente du Centre International d'études sur la mort.