Depuis quelques temps la « ville du quart d'heure » ou le « territoire de la demie heure » sont devenues à la mode. C'est le chercheur Carlos Moreno qui a théorisé cette notion.
Distance et seniorisation de la société
En bref, il s'agit de fluidifier la ville en mutualisant les ressources et en réduisant les mobilités en rapprochant les fonctions sociales essentielles (loger et produire, accéder aux soins, s'approvisionner, apprendre et s'épanouir) du bassin de vie.
Et depuis la catastrophe de la Covid, la notion de distance a pris aussi une nouvelle réalité. En 1963, l'anthropologue Edward T. Hall développait le concept de proxémie, ou l'espace comme produit culturel spécifique. Le livre, traduit en 1971, est un grand classique des sciences de la communication[1] . Il montre que selon les cultures et les lieux, les êtres humains adoptent différentes distances physiques entre eux. C'était déjà la notion de distance sociale... Comme quoi, rien de neuf sous le soleil !
Distance et proximité
Reste que ces notions de proximité et de distance sont centrales pour réussir la seniorisation de la société. Nous avons besoin à la fois de distance (de sécurité, d'intimité...) et de proximité (pour le lien social, pour la vie commune, le soin ...). Le moins que l'on puisse dire, c'est que la distance n'est pas la bonne pour les plus âgés !
L'étude Fondation Korian pour le bien vieillir et Ipsos réalisée dans quatre pays, publiée en septembre 2020[2] , montre que face à une incapacité d'utiliser sa voiture et des difficultés pour marcher, seule une minorité de seniors peuvent encore fréquenter facilement les commerces et services dont ils ont besoin : 48% pourraient facilement se rendre dans les commerces de proximité (dont 10% « très facilement ») s'ils existent encore, les autres services cités étant encore plus difficiles d'accès, notamment les médecins spécialistes (seuls 32% pourraient toujours facilement se rendre dans leurs cabinets).
De ce point de vue-là, on comprend bien l'un des ressorts de la présence en nombre de « Gilets gris », lors du mouvement des Gilets jaunes.
L'accessibilité, une urgence bien réelle
Plus largement, les seniors jugent très durement l'adaptation de leur ville à la vie des personnes âgées. Sur ces 11 critères testés qui vont de l'accessibilité des services de santé à la sécurité ou à la présence de toilettes publiques, la note moyenne d'accessibilité accordée est de 4,5/10 seulement. Les plus jeunes partagent d'ailleurs ce constat avec une note moyenne de 4,6/10 seulement, conscients de la piètre adaptation de leur territoire aux plus âgés. De l'avis des seniors comme des plus jeunes, c'est la présence de toilettes publiques gratuites, propres et sécurisantes qui fait le plus défaut. On arrive à un taux de « satisfaction » de seulement de 2,4 en France et de 1,8 en Belgique... C'est évidemment un service qui manque à l'ensemble de la population en particulier aux personnes à mobilité réduite, aux familles avec enfants en bas âge...
Face à ce désastre, il y a deux pistes majeures trop peu investiguées : les structures itinérantes et les services de proximité en maisons de retraite. Dans l'étude Fondation Korian/Ipsos, nous les avons analysées.
Le suspense est à son comble...
Le mois prochainn je reviendrai sur les pistes proposées et leur degré de soutien par les personnes concernées.
Serge Guérin
Professeur de sociologie à l'Inseec GE, directeur du MSc « Directeur des établissements de santé », auteur de Les quincados , Calmann-Lévy