Après les chocs générés par la crise Covid et les révélations de l'affaire Orpea, l'heure est au bilan (voir notre tableau du Top 20). L'année 2022 a été marquée par de profondes remises en question de l'organisation des établissements, voire du secteur tout entier. Les attentes aussi sont nombreuses. Zoom sur les principaux enseignements de cette année 2022 dans le secteur non lucratif.
Du constat à l'action
1. La qualité pour mot d'ordre
À l'interne comme à l'externe, la transparence est devenue essentielle. Conséquence directe des affaires qui ont « sali le secteur », les groupes travaillent à de nouvelles chartes éthiques, un meilleur accompagnement de leurs salariés et plus de cohérence. Pour l'ACPPA, « la qualité doit se voir à l'intérieur comme à l'extérieur ». Alors que le projet est réinterrogé tous les cinq ans, les équipes ont construit le Cap 2028 autour des questions de qualité de vie au travail (QVT) et de qualité de vie des résidents. Il insiste aussi sur la révision des conditions salariales, économiques bien sûr, mais aussi psychologiques et fonctionnelles, pour créer une véritable marque employeur cohérente.
Selon l'association Monsieur Vincent, les difficultés rencontrées ont accéléré le déploiement d'une démarche éthique, entraînant une nécessaire amélioration des pratiques et une exigence de transparence. Elle a aussi nommé une nouvelle directrice qualité et métiers, chargée d'accompagner les établissements qui le souhaitent. Itinova a, de son côté, renforcé l'appui aux établissements par la nomination d'une chargée de mission dédiée à la direction du pôle personnes âgées.
La Fondation Partage & Vie a déployé son action en cohérence avec le projet stratégique « À nous le soin » adopté en 2020. « Ce dispositif a permis de consolider l'organisation en modernisant en particulier les outils de pilotage pour chaque directeur d'établissement. »
Pour valoriser la qualité, Univi a lancé le label Lobelia. Il propose d'identifier les pratiques vertueuses, d'éclaircir et accompagner le rôle des proches et d'améliorer l'image du secteur. Effectif depuis quelques semaines seulement, il est ouvert à tous les acteurs du grand âge et du handicap en France, publics comme privés, et s'appuie sur un comité scientifique solide.
2. Le déploiement de plateformes gérontologiques
Parce que l'approche domiciliaire est privilégiée partout, les groupes associatifs s'inscrivent dans une démarche d'ouverture, créant des plateformes dédiées au parcours en fonction du niveau de perte d'autonomie des bénéficiaires. C'est le cas notamment du groupe Adef Résidences (en Haute-Marne et en Corrèze), d'Arpavie qui devrait inaugurer prochainement une plateforme gérontologique à Villiers-le-Bel (95) ou du Groupe SOS qui s'engage à transformer les Ehpad en centres de ressources territoriaux. L'Ehpad plateforme est d'ailleurs intégré dans le plaidoyer de ce dernier depuis 2018. Deux établissements vont ainsi pouvoir lancer cette démarche, « dont l'un dès 2023, en partenariat avec d'autres acteurs sur les territoires concernés ». Ce déploiement est rendu possible par le travail engagé de longue date avec le dispositif Senior Connect et les expérimentations de service renforcé d'appui à domicile. Cette culture domiciliaire de l'accompagnement est largement engagée dans le groupe, avec le concept Mon Ehpad Mon Domicile qui propose d'encourager toutes les possibilités de liens sociaux et d'engagement dans la vie et le fonctionnement des structures.
Habitat & Humanisme insiste sur la nécessité de déployer des alternatives à l'Ehpad.
« Il faut développer l'autonomie des personnes accueillies, la logique domiciliaire, la personnalisation de l'accompagnement et l'inclusion dans la cité », explique l'association qui entend transformer deux établissements en centres de ressources gérontologiques.
La Croix-Rouge française, enfin, est naturellement, et depuis longtemps déjà, engagée dans cette démarche. Le pôle gérontologique de Nîmes (30) en est un bon exemple. Il entend favoriser le décloisonnement et permettre une coordination fluide dans les parcours entre domicile et établissement. Cet Ehpad nouvelle génération, qui sortira de terre en 2023-2024, deviendra une plateforme de services intégrés et gradués pour les personnes âgées. Pensé comme un tiers-lieu, une ressource pour tous, il se veut ouvert sur la vie locale, pour favoriser la rencontre entre résidents et habitants d'un quartier.
3. Une diversification des services
L'année 2022 a permis aux groupes associatifs de démontrer leurs capacités d'innovation, de renouvellement et de résilience : téléconsultation avec Toktokdoc et refonte du site web pour mieux communiquer avec les familles pour l'association Monsieur Vincent, thérapies non médicamenteuses pour Itinova, Edenis ou Temps de vie, création d'une pièce de théâtre pour Les Bruyères...
Le groupe VYV3 s'est largement engagé dans le virage numérique (télémédecine, dossier médical partagé, messagerie sécurisée et achats de nouvelles technologies connectées). Il marque aussi par ses engagements dans le secteur de la prévention santé : démocratie participative en santé, création de maisons sport santé, sensibilisations au risque de dénutrition...
La Fondation Partage & Vie a développé son intervention sur les territoires en accroissant son réseau d'établissements dans une logique d'organisation des parcours de soin et de vie. En témoignent en 2022 la reprise de six établissements et services et les appels à projet remportés.
Le Groupe SOS a continué de développer les projets initiés. Citons pour mémoire la plateforme de lutte contre l'isolement Ogénie, le programme Silver Fourchette, Kitchen Lab, la cohabitation intergénérationnelle, les prises en charge alternatives à l'Ehpad (résidences autonomie, logements adaptés...), etc.
4. Le statut associatif, garant et protecteur
Si certains établissements disent avoir souffert de la crise Orpea, le statut « non lucratif » semble les avoir partiellement protégés. Pour l'association Monsieur Vincent, c'est « l'occasion de revaloriser les missions associatives ». Pour répondre aux difficultés de recrutement, Itinova indique de son côté chercher à affiner son identité associative. La structure « sans but lucratif » rendrait plus attractif l'exercice des métiers et favoriserait la stabilisation des équipes.
Une analyse confirmée par l'ACPPA qui ne se dit « pas touchée par les joutes politiques et l'Ehpad bashing grâce à son statut associatif ». Si elle souligne une exigence accrue des familles, l'association indique que « le dialogue a toujours été maintenu et préservé ».
Adhévie (ex MBV) se voit toutefois conforté dans la nécessité de proposer des établissements et services à tarifs maîtrisés et de viser l'exemplarité employeur.
5. Des groupes qui investissent dans la formation et la valorisation de leurs salariés
En réponse à la crise de sens et de vocations, au turn-over et aux difficultés de recrutement, les établissements ont engagé des actions de formation et de développement des compétences. Création d'une école de formation pour Habitat & Humanisme, valorisation des talents par la voie interne pour le Groupe SOS, développement de modes de communication agiles fondés sur la coopération pour Temps de Vie : les initiatives sont diverses et portées par les établissements eux-mêmes.
Ils continuent toutefois de demander des engagements plus larges du gouvernement pour mieux accompagner et former les managers, offrir des conditions d'exercice plus attractifs. Comme l'explique la Fondation Cos Alexandre Glasberg, l'absentéisme semble stabilisé mais la perte d'attractivité des métiers et le manque de reconnaissance alimentent les tensions et rendent les recrutements et la gestion des projets plus difficiles.
Chemin d'espérance, au-delà des difficultés de recrutement, va même jusqu'à souligner des séquelles psychosociales.
6. Un TO en demi teinte
La Fondation Cos Alexandre Glasberg souligne que, sur le plan de l'activité, la crainte de nouvelles mesures de confinement voire d'isolement, de restriction des libertés et de risques de maltraitances institutionnelles reste forte. Elle enregistre une baisse des demandes d'admission et note une entrée en établissement globalement plus tardive. Les nouveaux entrants sont plus dépendants et dans un état de santé plus fragile. « Cela augmente la pénibilité observée et ressentie et fait peser une charge plus forte sur les équipes. »
Si pour beaucoup la reprise d'activité semble difficile, Edenis et VYV3 indiquent quant à eux une reprise d'activité normale depuis l'été.
7. Quels engagements pour demain ?
Interrogés sur les priorités à mettre en oeuvre pour les soutenir dans la sortie de crise, les groupes se rejoignent dans l'expression de leurs besoins.
Naturellement ils plébiscitent une véritable politique de l'âge, avec dans l'ordre :
1- Un renforcement de l'attractivité des métiers et du secteur, auprès des jeunes notamment, par le développement des services civiques, la formation en alternance et continue pour faciliter les recrutements, la réinterrogation des organisations et des modes de travail. Les expérimentations d'équipes dites autonomes, sur le modèle de Buurtzorg ou du Parcours Soleil, produisent des effets positifs en termes de motivation des équipes et de renforcement du sens.
2. L'allocation de moyens nécessaires à la prise en charge de la perte d'autonomie, pour que l'accompagnement se déroule dans de bonnes conditions et que les professionnels s'y consacrent sans épuisement. Un ratio d'un professionnel pour un résident est largement plébiscité, conformément aux conclusions des rapports officiels. Ils demandent également la mise en place de mesures légales pour réguler juridiquement le départ des salariés dans l'intérim.
3. D'une manière générale, les groupes souhaitent une révision des modes de financement des Ehpad, la fusion des forfaits soins et dépendance, un financement des départements pour l'aide sociale à l'hébergement à hauteur de l'inflation (taux directeur départemental identique au taux directeur national), la réouverture de l'attribution des forfaits soins courants en résidence autonomie, mais aussi une refonte de la gouvernance (répartition des compétences entre les ARS et les conseils départementaux) et une revalorisation des salaires.
Des propositions pour aller plus loin
- La modernisation des Ehpad via des Ehpad ouverts et la mise en place d'Ehpad hors les murs.
- Le développement de la gestion à but non lucratif pour lever les contraintes qui pèsent aujourd'hui sur le développement du secteur.
- Un soutien financier à l'investissement pour travaux permettant de réduire les consommations et atteindre les objectifs du décret tertiaire et la neutralité carbone (rendre ces travaux éligibles au PAI de la CNSA).
- Des moyens pour accompagner la vie jusqu'au bout dans le respect et la dignité.
- Le financement du temps de qualiticien pour aider au développement de la culture qualité et gestion des risques et accompagner le déploiement de l'évaluation HAS.
- Des perspectives claires sur la façon dont les personnes âgées pourront être accompagnées dans les années à venir à domicile, mais aussi en résidences, avec services ou médicalisées, et à l'hôpital.
- La mise en place d'une convention collective commune à tous les secteurs pour stopper la concurrence déloyale, un soignant est un soignant quel que soit son lieu de travail ou son secteur d'activité.